Présidentielle libanaise: Une séance qui a montré les limites de la candidature de Jihad Azour
Par Fouad Karam
En dépit de l’état de tension dans lequel les déclarations des membres des partis dits de l’opposition avaient plongé le pays, en laissant entendre que «l’autre camp» pourrait recourir à des secousses sécuritaires, la douzième séance d’élection présidentielle s’est déroulée sans incident majeur. Elle a juste montré une fois de plus que les Libanais, et surtout le camp qui se déclare dans l’opposition, sont incapables de saisir la main tendue et de chercher une véritable entente, préférant maintenir les barricades entre les Libanais.
Après la douzième séance, il semble donc que le dossier présidentiel libanais soit encore plus complexe qu’auparavant. Pour certains, le pays pourrait se diriger vers une plus grande polarisation politique, entre d’un côté, les principales parties chrétiennes et certains groupes de l’opposition et de l’autre le duo chiite et ses alliés alors que pour d’autres, il se trouve désormais devant un nouveau paysage, celui de l’inévitable recherche d’un compromis.
Aucun des deux camps n’a donc été en mesure d’assurer à son candidat les 65 voix requises pour être élu à la présidence de la République. Mais il y a toutefois une nuance importante : Avec toute la mobilisation en faveur de Jihad Azour, le candidat dit de l’opposition, celui-ci n’a pas pu obtenir plus de 59 voix, alors que le candidat opposé en a obtenu 51 avec des possibilités d’en avoir plus, dépendamment de l’évolution des positions régionales et internationales.
En réalité, même si le camp dit de l’opposition ne le reconnaît pas, il a essuyé lors de la séance un important revers. Alors qu’au cours des derniers jours, les pointages que ce camp effectuait donnaient à Jihad Azour plus de 60 voix- certains parlaient même de 70 voix-, il n’en a finalement obtenu que 59, après avoir fait le plein des voix du bloc de la République forte (Forces Libanaises) et du Liban Fort (CPL, sans le parti Tachnag), ainsi que celles de la Rencontre Démocratique ( le camp de Joumblatt). Autrement dit, dans une prochaine séance, il semblerait que le candidat Jihad Azour ne pourra pas obtenir un plus grand nombre de voix, alors que pour le candidat Sleiman Frangié, la chasse aux voix est encore ouverte et elle dépend de l’issue des contacts régionaux et internationaux.
Ce qui est devenu clair après cette douzième séance d’élection présidentielle, c’est justement le fait que la convergence d’intérêts entre les différentes forces qui appuient la candidature de Jihad Azour est provisoire et elle ne semble pas être bâtie sur une conviction profonde de leur part qu’il est l’homme de la situation.
En effet, il a fallu de longues discussions marquées par des déclarations parfois violentes les uns contre les autres pour que quelques jours avant la tenue de la séance, le 14 juin, les principaux partis chrétiens annoncent qu’ils se sont entendus sur le candidat Jihad Azour. D’ailleurs, le chef du CPL Gebrane Bassil a clairement déclaré dans plusieurs interventions que Jihad Azour n’est pas son premier candidat mais c’est celui qui a bénéficié de l’appui des autres partis chrétiens et il y a donc eu une convergence d’intérêts à son sujet. Autrement dit, s’il avait eu le choix et s’il ne se souciait pas principalement d’aboutir à une entente chrétienne, comme le réclamaient Bkerké et le Vatican, Bassil aurait fait un autre choix... Ce qui montre bien qu’en définitive, le seul avantage de Jihad Azour c’est qu’il a pu réunir autour de sa personne les Forces Libanaises, les Kataëbs et le CPL ainsi que des groupes dits de l’opposition comme celui qui porte le nom de Tajaddod et qui regroupe entre autres l’ex-candidat Michel Mouawad. Mais ces appuis seraient prêts à aller jusqu’au bout dans le soutien à sa candidature ? C’est justement la question qui se pose désormais, après les résultats de la douzième séance parlementaire pour l’élection présidentielle.
Si les partis hostiles au tandem chiite et plus particulièrement au Hezbollah comme les Forces Libanaises ou les Kataëbs et ceux qui évoluent dans leur orbite ont immédiatement commenté les résultats en affirmant qu’ils ont réussi à «briser la volonté de ceux qui voulaient leur imposer leur candidat (Sleimane Frangié)», le chef du CPL, lui, a plutôt parlé de la nécessité de mener un dialogue sérieux pour aboutir à une véritable entente entre les Libanais. Ce qui signifie indirectement qu’il ne considère pas Jihad Azour comme un candidat définitif et que si un dialogue sérieux est lancé il pourrait aboutir à une entente sur un troisième candidat ou sur un de ceux qui existent déjà.
D’ailleurs, dans un tweet écrit juste après la fin de la séance parlementaire, Gebrane Bassil a clairement affirmé qu’il y a désormais trois parties dans le dossier présidentiel, celui de la moumanaa qui a pour candidat Sleimane Frangié, celui de la mouwajaha (Confrontation) dont le candidat caché est le commandant en chef de l’armée et son propre camp avec quelques députés du changement et d’autres indépendants, qui cherchent un programme de sauvetage pour le pays. A travers ce tweet, Bassil a exprimé son souhait que le dossier présidentiel soit entré dans une nouvelle phase. Selon les proches du CPL, la douzième séance aurait donc fonctionné comme il l’avait prévu et comme il l’avait souhaité, en montrant les limites des candidatures de Jihad Azour et de Sleimane Frangié. Désormais, il faudra donc aller vers la troisième voie, en menant un dialogue sérieux sur le programme du futur président.
Ce point de vue n’est certes pas partagé par le tandem chiite qui considère que son candidat n’est pas éliminé de la course et qu’il peut augmenter le nombre de ses voix, avec les députés hésitants qui ont mis dans l’urne soit un bulletin blanc soit un slogan. De plus si Jihad Azour se retire de la course, les voix des députés de la Rencontre démocratique pourraient aller vers Frangié. Bref, pour ce camp, son candidat a encore toutes ses chances. Il part d’un paquet de 50 voix qui peut augmenter selon les développements.
Justement, la séance du 14 juin a montré, selon de nombreux observateurs, que la présidentielle libanaise reste tributaire des développements régionaux et internationaux. Les sources proches du Hezbollah sont ainsi convaincues que les Américains ont appuyé la candidature de Jihad Azour tout en affirmant se tenir à l’écart. Ce serait d’ailleurs la raison de la convergence d’intérêts de la part des forces chrétiennes et celles du changement sur sa candidature. Mais les Américains sont-ils prêts à aller jusqu’au bout dans leur soutien à Azour ? Surtout au moment où les développements régionaux et internationaux s’accélèrent. L’Arabie saoudite a renoué avec la Syrie et elle a conclu une entente avec l’Iran et les pourparlers indirects entre l’Iran et l’Occident, notamment les Américains et les Européens, semblent avancer sur le dossier nucléaire. Dans ce contexte d’apaisement dans la région, Jihad Azour qui est pour bon nombre de ses appuis un candidat de confrontation continuera-t-il à bénéficier de l’appui des Américains ? Le Liban devrait-il continuer à être la seule scène de la région en pleine tourmente alors que tous les conflits, sauf avec l’ennemi israélien, sont en train de se calmer ?
Autant de questions dont les réponses pourraient commencer à arriver avec la visite de l’émissaire du président français à Beyrouth, l’ancien ministre Jean Yves Le Drian...