Entre Macron et MBS, des grandes lignes présidentielles, mais pas encore d’accord précis
Par Fouad karam
Une fois de plus, les yeux des Libanais se tournent vers Paris. Face à l’impasse interne totale, après la séance parlementaire du 14 juin et le fait que chaque camp reste sur ses positions, la seule lueur d’espoir dans le dossier présidentiel pourrait donc venir de France après l’entretien entre le président Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.
Avec leur nombrilisme habituel, les Libanais sont convaincus que leur dossier présidentiel sera au cœur des entretiens entre les deux responsables, comme si le monde entier suspendait son souffle en attendant de savoir qui sera le nouveau président du Liban.
Certes, l’entretien suivi d’un déjeuner pour bien marquer de la part du président français l’importance qu’il attache à la visite de son invité le prince héritier saoudien, a sûrement permis aux deux hommes d’évoquer de nombreux dossiers en cours, qui vont de celui de l’Iran, en passant par le Yémen, la Syrie, les relations arabes avec la Chine et bien sûr la guerre en Ukraine, mais le Liban n’est certainement pas aux yeux de l’Arabie en tout cas, un des plus urgents...
Selon des sources concordantes donc, et n’en déplaise aux Libanais, le dossier présidentiel n’est pas celui qui a pris le plus de temps pendant les deux heures de la rencontre puis du déjeuner. D’ailleurs, toujours selon les mêmes sources, c’est le président français qui l’a soulevé, non MBS. En effet, depuis 2019, la France cherche par tous les moyens à reprendre en mains le dossier libanais, pour pouvoir se réintroduire en force dans la région du Moyen Orient, qu’elle a quittée avec la guerre de Syrie et son incapacité à s’imposer en Irak et en Jordanie. L’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 a fourni au président français une occasion idéale pour revenir en force au Liban à travers la sympathie exprimée par la France aux Libanais face à l’ampleur de la catastrophe. D’ailleurs, le président Macron est venu immédiatement à Beyrouth le 6 août, dans un grand témoignage de sympathie au Liban et aux Libanais. A cette occasion, il a même lancé une initiative en faveur de la dynamisation des institutions publiques libanaises et pour la tenue d’un dialogue interne libanais. Il est même venu au Liban une seconde fois en septembre de la même année pour confirmer son plan pour le Liban et pousser vers la formation d’un nouveau gouvernement, mais là aussi, ses efforts se sont enlisés dans les sables mouvants libanais. D’autant qu’à l’époque, les efforts français se sont concentrés sur la société civile, croyant ainsi accompagner les nouveaux acteurs politiques au Liban. Mais les élections législatives de mai 2022 ont rapidement montré les limites du pari sur la société civile au Liban, les partis traditionnels étant encore les véritables maîtres du jeu politique...
Depuis le 31 octobre 2022 et avec le début de la vacance présidentielle, le président français a de nouveau senti qu’il pouvait faire quelque chose pour le Liban et certainement pour la France car une réussite au Liban lui permettrait de revenir dans la région.
Macron a donc formé la fameuse cellule de l’Elysée, chargée du dossier libanais et composée de l’ancien ambassadeur à Beyrouth Emmanuel Bonne, du chef de la DGSE l’ancien ambassadeur Bernard Emié, de l’ambassadeur Patrick Durell et de Pierre Duquesne, ce dernier étant depuis passé à la retraite. Après s’être entretenue avec de nombreuses parties libanaises, la cellule de l’Elysée en était arrivée à la conclusion suivante : pour que les institutions puissent fonctionner il faut que le président et le premier ministre puissent travailler de concert et non se combattre, surtout que le président de la République détient la signature pour la formation du gouvernement. De même, pour pouvoir agir, le président, selon le système en place au Liban, doit avoir l’aval de toutes les composantes confessionnelles, notamment celui des chiites. Or, les deux formations chiites qui ont la totalité des députés de cette confession au Liban (27 au total), à savoir Amal et le Hezbollah, ont choisi un candidat, Sleimane Frangié, alors que les autres parties, essentiellement les formations chrétiennes se partagent entre plusieurs candidats avec pour certains un seul programme, celui de casser celui choisi par les formations chiites. Pour la France, qui prône l’entente et la coopération dans un souci d’efficacité, il semblait donc plus facile d’appuyer le candidat choisi par les chiites qui fait d’ailleurs partie des 4 leaders maronites reconnus par Bkerké, tout en essayant d’équilibrer ce choix par un Président du Conseil proche du camp adverse.
Cette idée a certes soulevé la colère des parties chrétiennes qui ont accusé la France de s’aligner sur les composantes chiites, mais surtout, elle n’a pas plus aux Saoudiens qui, à travers la réunion dite des 5 (France, Arabie, Etats-Unis, Egypte et Qatar), tenue sur une initiative française le 6 février dernier ont assuré qu’ils ne veulent pas entrer dans les noms, préférant parler des programmes. C’était une façon de dire aux Français qu’ils ne sont pas encore prêts à parler du dossier libanais.
Quatre mois ont passé et les Français ont suivi attentivement les développements importants qui ont eu lieu dans la région, notamment sur l’initiative des saoudiens. Il s’agit par exemple du rapprochement entre l’Arabie et l’Iran ainsi que du retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe grâce à une initiative saoudienne.
Les Français ont donc estimé que le dossier libanais ne devrait pas rester dans un tiroir alors que tous les autres qui intéressent la région sont en train de bouger, voire d’être réglés. C’est ainsi qu’est née l’idée de mettre ce dossier à l’ordre du jour des entretiens entre MBS et Macron.
Mais contrairement à ce qui se dit dans les médias libanais, l’évocation du dossier libanais entre Macron et MBS n’est pas encore entrée dans les détails des noms. Les deux dirigeants se sont entendus sur la nécessité de pousser les Libanais à s’entendre pour élire un président qui devrait travailler en équipe avec le gouvernement et qui devrait initier les réformes requises pour assainir à la fois les institutions et l’économie du pays. Toujours selon des sources concordantes, MBS aurait répété que son pays ne pose un véto sur aucun candidat, mais que c’est aux Libanais de choisir. Cette position peut être considérée par la France comme un pas en avant de la part des dirigeants saoudiens. Pour les Libanais, toutefois, elle reste insuffisante, car il existe au Parlement libanais un certain nombre de députés qui pourraient être influencés par la position saoudienne, seulement celle-ci devrait être plus claire pour les pousser à faire un choix clair.
Jusqu’à présent, et malgré les informations contradictoires parues dans la presse libanaise, il semble que les autorités saoudiennes n’aient pas encore fait un choix précis concernant le dossier présidentiel libanais. Selon certaines sources, les autorités saoudiennes préfèreraient discuter du dossier libanais avec l’Iran et la Syrie avant de faire un choix définitif. Or, jusqu’à présent, dans les nombreux dossiers à examiner entre ces différentes parties, celui du Liban n’est pas prioritaire. Son tour devrait venir, mais pas tout de suite. Ce serait la raison pour laquelle, avec Macron, MBS s’est contenté de parler de grandes lignes et de principes généraux, laissant pour l’instant une grande marge de manœuvre aux Libanais. Si ces derniers n’en profitent pas pour élire leur nouveau président, ils devront alors attendre que les discussions régionales et internationales se décident à entrer dans le fond du problème...Pour l’instant, cela ne semble pas imminent.
Dans ce contexte, il semble que la visite de l’émissaire du président français, jean Yves Le Drian à Beyrouth qui doit commencer mercredi est plus destinée à entendre les positions de chaque camp et à sonder les possibilités de lancer un dialogue entre les différentes parties bien plus que de lancer une feuille de route pour l’élection d’un nouveau président. Jean Yves Le Drian a prévu de rencontrer le président de la Chambre et le président du Conseil démissionnaire et il donne un déjeuner à la Résidence des Pins vendredi regroupant des représentants des blocs parlementaires. Il devrait aussi tenir des rencontres bilatérales et il repartira pour rendre compte de cette mission d’investigation à l’Elysée. La prochaine étape dépendra à la fois des résultats de ces contacts ainsi que des développements régionaux et internationaux.