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Michel Aoun, l’infatigable guerrier

Michel Aoun, l’infatigable guerrier
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Par Soraya Hélou

En dépit de tout ce qui a été dit sur le mandat Aoun et sur les crises qui l’ont marqué, il se termine en apothéose par la signature d’un accord technique sur l’exploitation des ressources maritimes gazières.

Pour le Liban qui entend depuis les années 50 du siècle dernier parler de ces ressources sans pouvoir même songer à les exploiter, il s’agit d’une grande première, voire d’un tournant historique. Pour le pays qui a longtemps vécu en étant tributaire des aides et des crédits accordés par les Etats du Golfe et la communauté internationale, une perspective de richesse locale se profile à l’horizon. Il a fallu le courage, l’entêtement et la détermination d’un homme, qui ne recule pas devant les obstacles et ne craint pas de s’attaquer aux tabous, parce qu’il a des convictions profondes, pour qu’un tel accord puisse être conclu. En effet, ce n’était pas évident de se lancer dans des négociations aussi délicates, alors que le pays est fragilisé par les conflits internes par une crise économique sans précédent et par le blocus qui lui est imposé de la part des Etats-Unis et d’autres. D’autant que les négociations avaient commencé depuis 2011, sans jamais parvenir à un accord en raison à la fois des exigences américaines et israéliennes, du contexte international et des rapports des forces internes.

Michel Aoun s’est donc attaqué à ce dossier et il l’a mené à terme, sans faire de concession aux Israéliens, sans glisser vers la guerre et sans se lancer dans des affrontements internes, notamment avec la résistance comme le souhaitaient les Israéliens.

Cet accord conclu à quelques jours de la fin du mandat présidentiel résume la personnalité de Michel Aoun qui va jusqu’au bout de ses choix, indifférent aux pressions et aux appâts.

Qu’on l’aime ou non, Michel Aoun est certainement une personnalité hors du commun, dont le parcours est jalonné de défaites et de victoires, mais toujours sous le même titre: celui des convictions et de la vision de son pays. En 1990, ses proches lui avaient conseillé de quitter le palais sans mener de guerre parce que celle-ci serait forcément perdue. Il avait refusé en déclarant que perdre une bataille juste est mieux que le fait de ne pas la mener, car cela préserve le droit.  Il a donc été défait par l’armée syrienne et contraint à l’exil. Il est revenu au Liban en mai 2005 après le départ des troupes syriennes pour se lancer dans l’action politique. Le chef de l’Etat ayant été privé de plusieurs prérogatives dans l’accord de Taëf devenu la Constitution, il a préféré se doter d’un important bloc parlementaire pour pouvoir peser sur les décisions du pays. C’est donc en président doté d’un important bloc parlementaire qu’il est arrivé au palais présidentiel de Baabda le 31 octobre 2016, après une vacance présidentielle de plus de deux ans et grâce à l’appui du Hezbollah.

Dès lors, il n’a cessé de prendre des décisions pour servir sa vision de la grandeur de son pays. Il a commencé par procéder à des nominations sécuritaires et militaires pour donner un nouveau souffle aux forces de ce pays et pouvoir ainsi mener la bataille du Jurd, en coopération avec la résistance et redonner ainsi à l’armée son prestige et son autorité après l’humiliation qui lui avait été infligée par les terroristes de «Daech» et d’«al-Nosra».

Aoun s’est ensuite attelé à pousser les députés à adopter une nouvelle loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel. Pourtant, des blocs parlementaires de poids préféraient ne pas changer la loi et songeaient à l’époque à proroger le mandat du Parlement pour éviter de le faire. Aoun a ainsi suspendu l’action du Parlement pour un mois afin de pousser les députés à adopter la nouvelle loi électorale. Ce n’était pas pour lui un simple projet. Il voulait à travers le mode de scrutin proportionnel assurer une meilleure représentation, en ouvrant la voie parlementaire aux petits groupes. Il s’agissait aussi pour lui d’affaiblir les leaders traditionnels qui sous prétexte de représenter leurs communautés étaient devenus incontournables dans toute les décisions. On ne peut pas dire qu’il a vraiment réussi, car il s’agit d’un long processus de maturité populaire mais il l’a au moins mis sur les rails. Il s’est ensuite attaqué au système de corruption, alors que la plupart de ceux qui l’ont précédé à Baabda soit étaient devenus partie intégrante du système, soit s’en étaient tenus à l’écart sans prendre la moindre initiative. Il s’est ici heurté à un blocage exceptionnel, mais il a quand même réussi à ébranler l’édifice...

Sur le plan international, ses positions ont surpris les traditionnels parrains du Liban, notamment lorsqu’il a dit à la tribune de l’ONU que le monde ne peut pas être gouverné selon le principe: «Je suis fort donc j’ai tous les droits», en parlant notamment de l’entité israélienne et des droits des Palestiniens. Au sommet arabe de Amman en 2017, il a aussi réclamé le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe au grand dam de certains Etats du Golfe hostiles à un tel retour.

Plus tard, en mars 2019, il avait reçu le secrétaire d’Etat américain de l’époque Mike Pompéo venu lui demander de dénoncer le Hezbollah. Il lui avait clairement répondu que pour lui, on ne peut pas qualifier des hommes qui défendent leur pays face aux agressions israéliennes de «terroristes». Cette déclaration lui a valu d’être pointé du doigt par l’administration américaine de l’époque qui a ainsi lancé le fameux blocus contre le Liban, tout en appuyant un mouvement de protestation populaire en principe destiné à changer la classe politique et le système de corruption, mais qui s’est rapidement orienté vers la lutte contre Michel Aoun et le chef du CPL, Gebrane Bassil.

Toute cette campagne d’une violence médiatique inégalée n’a pas réussi à modifier les convictions et la détermination de Michel Aoun. Même les sanctions imposées à Bassil par le Trésor américain n’ont pas réussi à faire plier celui qu’on appelle «la montagne de Baabda». Il s’est battu jusqu’au bout, contournant les pièges et refusant de répondre aux provocations et aux insultes, convaincu que la conclusion d’un accord sur l’exploitation des ressources gazières maritimes est devenue la seule planche de salut du Liban qui croule sous le poids des crises et du blocus. En dépit de toutes les pressions exercées sur lui directement ou non, il n’a jamais changé d’avis ; convaincu que les ennemis du pays voulaient le placer devant un choix impossible: mourir de faim ou se lancer dans une nouvelle guerre civile pour affaiblir le Hezbollah. Il a choisi la troisième voie, celle de l’accord parrainé par les Américains, en tout honneur et en toute dignité. A tous ceux qui misent sur sa fatigue ou son découragement, Michel Aoun dit sans hésiter: je me battrai jusqu’à mon dernier souffle, car tel est mon destin.

L’infatigable soldat qui s’est battu sur tous les fronts militaires et politiques, sans jamais renoncer à sa vision d’un Liban fort, de sa propre force, non de celle des autres, ne déposera jamais les armes...

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