La présidentielle en attente des développements régionaux et internationaux
Par Fouad Karam
Lors de la désignation de Négib Mikati pour former le nouveau gouvernement, il y avait comme une entente tacite entre les différents protagonistes pour qu’il soit chargé de cette mission, pour ne pas créer un conflit de prérogatives entre le Président du Conseil désigné et le Président du Conseil démissionnaire. C’est vrai que Mikati a obtenu un nombre relativement réduit de voix des députés (54), mais personne, même les blocs qui se déclarent dans l’opposition (comme les Forces Libanaises), n’ont pris la peine de donner une chance à une autre personnalité pour ce poste. Sans le dire clairement, les différentes parties politiques, y compris les forces du changement, sont convaincues qu’il n’y aura pas de nouveau gouvernement avant la fin du mandat du président Michel Aoun qui expire le 31 octobre prochain.
Même le Président du Conseil désigné n’a pas vraiment pris la peine d’entreprendre des contacts sérieux pour former un nouveau gouvernement, se contentant d’écouter ses différents interlocuteurs, lors des consultations parlementaires après sa désignation, et d’approuver de la tête leurs propositions, sans discuter ni faire de promesses. Ce que Mikati ne dit pas, ses proches le laissent entendre en précisant que le temps manque pour entamer de délicates et longues négociations pour former un nouveau gouvernement dont la durée de vie devrait finir avec l’élection d’un nouveau président…
Autrement dit, le Liban est actuellement suspendu à cette échéance qui est considérée par toutes les parties locales, régionales et internationales comme cruciale pour déterminer l’orientation du Liban pour les six prochaines années.
Désormais, dans toutes les ambassades, les salons politiques et les sièges officiels on ne parle ainsi que de l’élection présidentielle. Les médias sont remplis de noms de présidentiables et dans les milieux maronites, l’effervescence est à son comble.
Toutefois, le flou reste total et toutes les versions sont plausibles, du moment que le sort du Liban reste tributaire des développements régionaux et internationaux.
Justement, dans ce contexte, il est clair que le monde traverse actuellement une période transitoire qui devrait aboutir à un changement dans les rapports des forces internationaux. Comme l’a déclaré le président Michel Aoun dans un de ses entretiens médiatiques, le monde actuel est régi par les rapports de force, non par le droit, c’est pourquoi la présidentielle libanaise dépend en grande partie du nouvel ordre mondial qui se dessinera dans la foulée de la guerre qui se déroule depuis six mois en Ukraine. En septembre, date du début de l’automne en Europe, on saura si le Vieux Continent aura réussi à assurer de l’énergie pour son hiver rigoureux et pourra ainsi se passer du gaz et du pétrole russes. Si ce n’est pas le cas, il devra conclure des accords dans ce but, avec le président russe Vladimir Poutine que depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, ses médias ne cessent de critiquer …
La Russie étant désormais présente en force en Syrie et dans la région du Moyen Orient, alors que ses relations avec les Israéliens se détériorent, elle devrait donc avoir son mot à dire au Liban. De même, la reprise des discussions entre l’Arabie saoudite et l’Iran en Irak, annoncée comme imminente aura aussi un impact sur la situation interne libanaise, ces deux pays ayant une influence non négligeable au Liban. Enfin, le parrainage américain des négociations sur le tracé des limites maritimes entre le Liban et l’entité israélienne, qui devrait progresser dans les prochaines semaines aura aussi des conséquences sur la situation interne, même si certaines parties internes souhaitent reporter ce processus jusqu’après la fin du mandat de Michel Aoun, juste pour que le chef de l’Etat et son camp ne puissent pas en tirer le moindre bénéfice politique… Mais tout dépendra de l’urgence des besoins européens en gaz et pétrole israéliens.
Pour toutes ces raisons, il est encore trop tôt pour pouvoir préciser l’issue de l’échéance présidentielle. Selon des milieux politiques bien informés, au moment où Mikati recevra des informations sur le fait que la présidentielle n’aura pas lieu à la date prévue et que le pays est à la veille d’une période de vacance présidentielle, il s’empressera alors de former un nouveau gouvernement qui lui permettra de gérer cette période de vacance. Mais en dépit des rumeurs qui circulent à ce sujet, ces mêmes milieux pensent que le scénario le plus probable reste celui de l’élection dans les délais car les développements devraient aller vite et les contours de la prochaine étape devraient se préciser en août ou au plus tard en septembre.
Toujours selon ces mêmes milieux, les candidats extrémistes qui sont en conflit ouvert avec le Hezbollah n’ont aucune chance d’arriver à Baabda, vu qu’aucun des scénarios possibles ne suppose une défaite de ce parti ou sa perte d’influence. Même dans le cas de l’évolution du dialogue irano-saoudien, il est certain que la République islamique ne lâchera pas le Hezbollah pour faire plaisir à ses interlocuteurs, mais cherchera au contraire un terrain d’entente qui préservera ses intérêts et ceux de ses alliés.
Donc, sauf un changement total des rapports de forces régionaux et internationaux qui reste improbable, le Hezbollah devrait être un acteur incontournable dans la prochaine échéance présidentielle. Bon gré mal gré, ses détracteurs libanais devraient tenir compte de cette donnée et chercher une entente avec lui, ou un compromis. Autrement dit, les candidats de défi pour le Hezbollah devraient être écartés de la course.
Les candidats potentiels sont donc à chercher parmi ceux que peut accepter le Hezbollah. Mais jusqu’à présent, ce dernier n’est pas en train de donner d’indications précises sur ses candidats préférés, justement pour rester libre de son choix, le moment venu. Le chef du Courant des Maradas Sleiman Frangié a ainsi ses chances, d’autant qu’il a l’appui d’une grande partie de la communauté sunnite, mais le chef du CPL n’est pas non plus écarté de la course, surtout après sa dernière tournée européenne qui l’a mené en Hongrie et en France. D’autres candidats sont aussi évoqués, comme le commandant en chef de l’armée et d’autres personnalités qui ne sont pas considérées comme étant de premier plan. Il faut préciser que celles-ci ont la préférence du patriarche maronite le cardinal Béchara Raï qui dans une de ses homélies a éliminé « les candidats forts »… Mais avec l’éclatement de la crise avec l’évêque Moussa al Hajj, son rôle dans l’élections présidentielle risque de se compliquer.
Ce qui est sûr, c’est qu’en raison de la composition du nouveau Parlement, où il n’y a pas de majorité claire, s’il n’y a pas une entente préalable, il sera difficile d’assurer le quorum requis pour l’élection présidentielle. Mais si, comme attendu, les développements régionaux et internationaux vont vers de nouvelles ententes, cette question ne se posera plus et la majorité sera atteinte…