L’ultimatum «arabe»: Des conditions israéliennes avec une encre saoudienne
Par Samer Zogheib
Le Koweït a été chargé par l’Arabie saoudite de délivrer aux dirigeants libanais un ultimatum répondant aux vieilles conditions israélo-américaines. Objectif : priver le Liban de ses atouts forts.
Sur le plan de la forme, la démarche entreprise le week-end dernier par le chef de la diplomatie koweitienne, Ahmad Nasser al-Mohammad al-Sabah, ne peut pas être appelée «médiation», ou «dialogue» visant à normaliser les relations entre le Liban et les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Les pétromonarchies, à l’exception du Qatar et du sultanat d’Oman, avaient pratiquement rompu leurs relations diplomatiques avec le Liban, fin octobre, prenant comme prétexte des propos de l’ex-ministre de l’Information, Georges Kordahi, critiquant la guerre du Yémen, plus d’un mois avant sa nomination au gouvernement.
La visite du ministre koweitien n’est pas une tentative d’apaisement. Mandaté par l’Arabie saoudite, cheikh Ahmad est venu remettre aux dirigeants libanais qu’il a rencontrés des «idées» et des «propositions», qui sont en fait des conditions. Lorsque des conditions sont doublées d’un délai pour remettre les réponses (ce samedi 29 janvier), cela devient un ultimatum.
Les ultimatums ne sont pas d’usage entre «pays amis». Selon la définition du Larousse, un ultimatum est une «note par laquelle un État somme un autre État de donner satisfaction à un certain nombre d'exigences dans un délai limité, et de façon péremptoire, faute de quoi l'état de guerre naît automatiquement à l'expiration du délai».
Des intentions belliqueuses au départ
Les intentions de Koweït et de ceux qui l’ont mandaté sont donc belliqueuses au départ, y compris sur le plan de la forme dans laquelle le message a été délivré. Elles ne visent donc pas à remettre les relations diplomatiques dans leur cadre normal.
Au niveau du fond, le message de l’Arabie saoudite, convoyé par le Koweït, comporte douze points exprimant les exigences suivantes : respect de la Constitution de Taëf et des échéances constitutionnelles ; mise en œuvre des réformes politiques et financières conformément aux termes du Fonds monétaire international et de la communauté internationale ; respect des résolutions 1559 (qui exige le désarmement de toutes les milices) et 1701 du Conseil de sécurité (qui avait rétabli en 2006 une cessation des hostilités entre «Israël» et le Liban) ; retour à la politique de distanciation et de non-ingérence dans les affaires des pays arabes, et en particulier des pays du Golfe ; prise des mesures nécessaires pour que l’État libanais ait le monopole des armes ; contrôle des frontières et des points de passage, ainsi que le renforcement des mesures de sécurité en permettant la présence de délégués des pays du Golfe aux passage frontalières (notamment le port) ; interdiction de toute activité politique menée par des parties hostiles au royaume wahhabite et aux monarchies du Golfe ; arrêt de «l’ingérence» du Hezbollah dans le conflit du Yémen.
Il n’y a pas besoin de procéder à une analyse de texte et de contenu pour voir que ces conditions auraient pu tout aussi bien être écrites et délivrées par les Etats-Unis ou «Israël».
En effet, les douze points de cheikh Ahmad reprennent mot pour mot les exigences martelées depuis des années par les responsables «israéliens» et américains, et qui ont été clairement formulées en mars 2019 par le secrétaire d’Etat Pompeo lors de sa visite à Beyrouth.
Priver le Liban de sa souveraineté et de son indépendance
Le désarmement de la résistance équivaut à priver le Liban de son plus fort atout qui lui a permis de libérer son territoire et qui le met à l’abri des agressions de l’entité sioniste.
L’exigence de la «distanciation» est une tentative d’ingérence dans la politique étrangère du Liban et dans ses relations avec les autres Etats, en l’occurrence la Syrie.
La demande du respect de l’accord de Taëf constitue une ingérence flagrante dans les affaires intérieures du Liban. Il revient aux Libanais de gérer leurs propres affaires politiques et de réfléchir à la formule qui leur semble la plus convenable pour leur système politique.
Venant de la part de monarchies absolues n’ayant jamais organisées une seule élection (à l’exception du Koweït) l’exigence du respect des «échéances constitutionnelles» relève du cynisme.
L’interdiction de «toute activité politique» est une atteinte à la liberté d’expression, considérée au Liban comme une valeur fondamentale garantie par la Constitution.
Mises ensemble, les douze conditions demandent aux Libanais de renoncer volontairement à leur souveraineté nationale et à l’indépendance de leur décision politique, et de mettre en œuvre sans protestation aucune, les instructions données par tel roi, prince ou émir.
En contrepartie de cette allégeance aveugle, les Etats du Golfe proposent, dans le dernier point, d’«examiner avec le FMI les mesures susceptibles de rendre aux Libanais leurs dépôts bancaires».
Il s’agit d’une vulgaire tentative de corruption. L’Arabie saoudite propose aux Libanais le marché suivant : «Si vous renoncez à votre souveraineté et votre indépendance, vous pouvez espérer récupérer vos épargnes bloquées dans les banques».
Il est peu probable que les pétromonarchies obtiennent satisfaction là où «Israël» a échoué malgré ses guerres et ses massacres, et où les Etats-Unis n’ont eu guère plus de succès, malgré le blocus financier et économique appelé «pressions maximales».
Les douze points de cheikh Ahmad prouvent que ceux qui assuraient que la démission de Georges Kordahi sans garanties d’un retour à la normale des relations avec le Golfe paverait la voie à de plus fortes pressions.