Des élections législatives déterminantes, vraiment ?
Par Fouad Karam
La petite phrase de cheikh Naïm Qassem, secrétaire général adjoint du Hezbollah, a marqué l’actualité des derniers jours de l’année 2021. Cheikh Naïm a déclaré il y a une semaine que son parti ne se soucie pas de la majorité parlementaire. Aussitôt, les interprétations ont commencé à se multiplier dans les médias et dans le monde politique. Pour certains, cheikh Qassem a voulu préparer le terrain à une possible perte de la majorité parlementaire actuelle par le biais des élections 2022. Pour d’autres, il a surtout voulu montrer que quels que soient les paris locaux, régionaux et internationaux sur les élections législatives de 2022, cette échéance ne devrait rien changer aux rapports des forces actuels.
Toutes ces interprétations, en dépit de leurs approches divergentes aboutissent à un même résultat: toute la pression mise internationalement, régionalement et localement, sur les prochaines législatives qui devraient se tenir le 15 mai n’est pas justifiée et ne vise qu’à donner l’impression aux électeurs que cette échéance est décisive, alors qu’elle n’est qu’une étape importante certes, mais pas déterminante, dans la vie du pays.
A ceux qui pensent donc que les élections de mai 2022 devraient changer la majorité parlementaire qui est passée en mai 2018 au camp du 8 Mars et alliés, cheikh Naïm Qassem serait donc en quelque sorte en train de dire que même si cela devait arriver, cela ne changerait rien à la situation actuelle du pays.
Un petit retour en arrière s’impose. En 2005, après l’assassinat du Premier ministre martyr Rafic Hariri, le 14 février, une pression similaire avait été exercée pour pousser le camp du 14 Mars fraichement créé à remporter la majorité parlementaire, qui était entre les mains du camp dit pro-Syrien, depuis la conclusion de l’accord de Taëf et l’arrivée de la tutelle syrienne dans le pays au début des années 1990.
D’ailleurs, pour garantir ce résultat, les parties internationales impliquées au Liban avaient même poussé à l’époque, le Courant du Futur présidé par Saad Hariri et le PSP de Walid Joumblatt à conclure un accord dit l’accord quadripartite avec Amal et le Hezbollah pour pouvoir profiter de leurs voix et remporter ainsi la majorité au nouveau parlement. C’est donc ce qui est arrivé et le mouvement du 14 Mars a ainsi obtenu la majorité parlementaire et il a immédiatement renoncé à l’accord quadripartite. Dès lors, la nouvelle majorité parlementaire, qui a donné naissance à un gouvernement qui lui ressemble présidé par Fouad Siniora, a essayé par tous les moyens d’encercler le Hezbollah et de chercher à l’isoler. Mais il y avait à l’époque au palais de Baabda le président Emile Lahoud qui appuyait la résistance. Ce qui rendait difficile la concrétisation de ces efforts. D’autant qu’entre-temps, le chef du Bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun récemment rentré d’exil au pays et ayant obtenu un important bloc parlementaire dans le cadre des élections législatives, avait entamé des négociations en vue d’une entente avec le Hezbollah.
La guerre israélienne de 2006 sur laquelle les ennemis du parti avaient misé pour l’affaiblir, a donné un nouveau push au camp du 14 Mars, qui avait donc la majorité parlementaire et gouvernementale, pour porter un coup au Hezbollah. Ce dernier n’était pas, à l’époque, devenu une force régionale, comme il l’est aujourd’hui. Malgré cela, toutes les décisions prises par le gouvernement de Fouad Siniora n’ont pas pu ni encercler le Hezbollah ni l’affaiblir.
Aujourd’hui, s’il faut en croire ce que disent certains diplomates occidentaux en poste à Beyrouth, les adversaires du Hezbollah attendent des élections de mai 2022 qu’elles donnent la majorité parlementaire à un mélange de forces dites du changement , qui seraient une version modernisée du 14 Mars, pour qu’elles puissent, par la suite, au Parlement et au gouvernement qui devra suivre les élections, prendre des mesures destinées à affaiblir le Hezbollah et à mettre un terme «au phénomène des armes en dehors des forces légales», selon les termes utilisés.
Que ce plan existe réellement ou non et que les forces dites du changement se préparent avec l’aide de parties étrangères à mener en force la bataille des législatives, cheikh Naïm Qassem a donc par une petite phrase, laissé entendre que tous ces efforts et tout cet investissement international et régional dans les élections ne serviront à rien.
Même si la majorité parlementaire devait aller aux «forces du changement» qui pourraient alors former un gouvernement dans lequel elles auraient un poids considérable, cela ne devrait pas changer grand-chose aux équilibres actuels. D’autant qu’en définitive, la majorité parlementaire obtenue dans le cadre des élections de 2018 n’a pas permis au Hezbollah de faire grand-chose sur le plan national, en raison notamment des conflits quasi-permanents entre ses propres alliés, essentiellement entre le mouvement Amal et le CPL.
C’est sans doute dans cet esprit que cheikh Naïm Qassem a voulu minimiser l’importance de l’échéance électorale et surtout celle de la majorité parlementaire. Que celle-ci soit donc avec le Hezbollah et ses alliés ou non, cela ne devrait rien changer aux équilibres internes, car le Liban est aux yeux de cette formation, un pays régi par des rapports de forces très précis et délicats. Majorité parlementaire ou non, il est clair qu’aucune partie ne peut donc exclure l’autre, ni le Hezbollah ni le 14 Mars ancien ou revisité, et toutes les expériences du passé l’ont montré.
Par sa petite phrase, le secrétaire général adjoint du Hezbollah a donc voulu adresser un message clair à tous ceux qui croient pouvoir changer les équilibres actuels à travers les prochaines législatives: tous ces scénarios ont déjà été essayés et ils n’ont abouti qu’à faire perdre du temps aux Libanais. Ceux-ci, quelles que soient leurs allégeances, sont contraints de vivre ensemble et de trouver par conséquent, des terrains d’entente entre eux.
Ce message parviendra-t-il à ses destinataires ?