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L’affaire Kordahi… Et si le Liban n’était pas le premier visé?

L’affaire Kordahi… Et si le Liban n’était pas le premier visé?
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Par Fouad Karam

Le ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal Ben Farhane l’a déclaré lui-même, à partir de Rome où il participait aux travaux du sommet du G20, sachant que le prince héritier qui d’habitude représente son pays dans ce genre de rencontres, a refusé de s’y rendre. «Le véritable problème avec le Liban (pour l’Arabie saoudite), c’est l’influence du Hezbollah sur ce pays», a-t-il dit.

En d’autres termes, les propos du ministre libanais de l’Information prononcés dans le cadre d’un entretien accordé à la chaîne al-Jazeera en août dernier et diffusé récemment, ne seraient qu’un prétexte. Les dirigeants saoudiens auraient donc profité de la diffusion de cette émission sur la chaîne qatarie pour régler de vieux comptes avec le Liban.

La décision saoudienne de réclamer la démission du ministre Kordahi ou en tout cas, des mesures drastiques de la part de l’Etat libanais pour juguler l’influence du Hezbollah a certainement eu un impact sur les Libanais. Non seulement elle les a divisés comme c’est le cas sur la plupart des questions, mais elle a embarrassé le gouvernement présidé par Nagib Mikati qui n’a pas su quelle attitude adopter.

La première idée qui est venue à l’esprit du Président du Conseil et des ministres c’était la démission du gouvernement. Mais très vite, des messages d’appui occidentaux et en particulier français et américains, sont parvenus au gouvernement et à son chef pour les presser de ne pas démissionner.

Autrement dit, le maintien du gouvernement actuel est un besoin pour les Français et les Américains qui estiment que sa démission pourrait entraîner l’effondrement total de l’Etat au Liban et par conséquent faire sauter les élections législatives sur lesquelles ils comptent pour changer les rapports des forces politiques dans le pays.

Comment, dans ce cas, calmer la colère des Saoudiens, et avec eux des pays du Golfe, tout en maintenant en place le gouvernement ?

C’est la question que se sont posée les responsables libanais. L’idée de démettre le ministre Georges Kordahi a été évoquée. Mais elle a été rapidement écartée après la campagne de soutien dont il a fait l’objet de la part du camp de la résistance, lequel a même menacé de pousser les ministres chiites à démissionner en solidarité avec Georges Kordahi, si ce dernier était démis de ses fonctions.

L’idée de le pousser à présenter lui-même sa démission a alors été évoquée  et elle a été aussi rejetée, parce que rien ne dit que cette démarche sera suffisante pour calmer la colère des Saoudiens.

A partir de là, il est devenu clair que la décision saoudienne de punir le Liban, suite à des propos tout-à-fait acceptables et certainement pas injurieux du ministre Kordahi sur l’inutilité de la guerre au Yémen, a d’autres motivations que la seule colère des dirigeants du royaume contre le Liban.

C’est alors que les véritables discussions ont commencé entre les ministres mais aussi avec plusieurs parties diplomatiques. Il est ainsi apparu que les propos du ministre Kordahi ne sont qu’un prétexte pour les Saoudiens d’adresser un message de mécontentement clair aux Américains. 

En effet, depuis l’accession au pouvoir du nouveau président américain Joe Biden, (il a été élu le 2 novembre 2020) les relations entre la Maison Blanche et le royaume saoudien n’ont cessé de se détériorer. Non seulement tout au long de l’année écoulée, il n’y a eu aucune rencontre entre le nouveau président américain et le prince héritier du trône saoudien, mais les médias américains ont recommencé à parler de l’affaire Khashoggi et de la guerre au Yémen en critiquant les dirigeants saoudiens. De plus, au cours de l’année écoulée, l’administration américaine a retiré une partie des missiles Patriot installés en Arabie pour protéger le royaume et elle n’a pas caché son intention d’alléger sa présence militaire dans la région sans tenir compte des demandes répétées de l’Arabie qui se considère comme un des principaux alliés des Etats-Unis dans la région.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le royaume saoudien a entamé des pourparlers avec la République islamique d’Iran. Il s’agissait notamment de parvenir à des ententes sur les dossiers régionaux en suspens, dont la guerre au Yémen où l’Arabie est en train d’essuyer un échec flagrant. D’ailleurs, lors de la dernière séance de pourparlers, les Saoudiens auraient clairement sollicité une intervention iranienne auprès d’Ansarullah et la réponse iranienne qui suggérait aux Saoudiens d’en parler avec le Hezbollah et avec sayed Nasrallah a encore augmenté la colère saoudienne à l’égard du Liban et de l’ensemble de la situation dans la région.

Au Liban, en particulier, les Saoudiens avaient exprimé leur refus de participer de près ou de loin à la formation d’un gouvernement dans lequel il y aurait des représentants du Hezbollah. Ils croyaient avoir aussi l’appui des Américains dans cette position. Mais voilà que les Américains acceptent la formation d’un gouvernement qui comprend des ministres choisis par le Hezbollah, sans tenir compte de la position saoudienne. Ils laissent aussi le Hezbollah amener du mazout d’Iran sans réagir et plus encore, ils aident le gouvernement à acheminer du courant électrique et du gaz à partir de l’Egypte et de la Jordanie, en passant par la Syrie, tout en poussant les Irakiens à augmenter la quantité de fuel envoyé au Liban, tout cela sans même consulter les Saoudiens ou obtenir leur aval.

Face à ce tableau, on comprend mieux la soudaine réaction saoudienne aux propos du ministre Georges Kordahi. Il ne s’agit pas tant de le désavouer à lui, mais plutôt d’adresser un message de protestation aux Américains qui sont en train d’ignorer leur allié dans la région, à savoir le royaume saoudien et en particulier le Prince héritier.

Après avoir longuement discuté de la question, les responsables libanais ont abouti à cette conclusion. C’est pourquoi d’ailleurs, ils ont tenté de consulter les Américains pour trouver des solutions.

Il semble en effet que les Saoudiens aient choisi de frapper le maillon qu’ils pensent être le plus fragile, mais leur souci est de pousser les Américains à changer leur attitude à leur égard et dans la région en général. Comme ils savent que les Américains ne veulent pas l’effondrement total du Liban parce qu’il pousserait ce pays à se diriger encore plus vers l’Est et vers l’Iran, les Saoudiens auraient donc décidé de prendre cette décision qui met en difficulté le Liban… mais aussi ceux qui ne veulent pas qu’il s’effondre. C’est pourquoi le Liban préfère que les choses se calment un peu pour tenter de trouver une solution rationnelle à cette crise imprévue, dont il est la victime sans avoir rien fait pour la mériter.

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