Les cent milles combattants du sayed Nasrallah…
Par Fouad Karam
Comme à chaque fois qu’il s’exprime, sayed Hassan Nasrallah marque l’actualité libanaise et même régionale. Mais son discours de lundi a eu l’effet d’un séisme politique et médiatique.
D’abord, c’est certainement la première fois que le secrétaire général du Hezbollah consacre tout un discours (qui dépasse en plus la moyenne générale de la durée des discours qui est de 60 minutes) à la situation interne libanaise. Ce qui est en soi un événement et montre que cette situation est suffisamment grave pour qu’il s’y étende aussi longuement.
Ensuite, dans son exposé, et d’une façon tout-à-fait naturelle, il a lancé une véritable bombe que les médias tant locaux qu’étrangers ont immédiatement relayée. Sayed Nasrallah, généralement si discret sur tout ce qui touche aux détails militaires du Hezbollah a déclaré le plus simplement du monde que celui-ci compte 100 000 combattants. Il a eu beau parler pendant plus de 90 minutes, c’est ce que la plupart des médias occidentaux, israéliens et hostiles au Hezbollah ont retenu de cet important discours.
Immédiatement, des experts de toutes les nationalités ont été sollicités pour expliquer si le chiffre avancé par le sayed est plausible ou s’il s’agit d’une amplification systématique des effectifs militaires du Hezbollah pour tenter de décourager tous les ennemis réels ou potentiels qui songeraient à se lancer dans une aventure militaire contre lui.
En avançant un tel chiffre, sayed Hassan Nasrallah a une fois de plus créé l’événement et suscité une réelle panique chez les ennemis du Hezbollah. Il faut rappeler à ce stade, que la chaîne Al Jazeera ainsi qu’une chaîne israélienne avaient diffusé son discours en direct, alors que certaines chaînes libanaises qui refusent systématiquement de le faire, se sont retrouvées dans l’obligation d’en reprendre de larges extraits en raison de son impact sur la vie politique et médiatique.
Immédiatement après la fin du discours, les experts se sont donc lancés dans des estimations précises, pour tenter de voir si le sayed a dit la vérité. Pour les médias libanais hostiles au Hezbollah, le chiffre de cent mille combattants est considéré comme faux, ce parti ne pouvant pas avoir un tel nombre de guerriers. Les estimations moyennes parlent en effet de 50 000 combattants au grand maximum et ces experts sont revenus sur les estimations au sujet de la participation du Hezbollah à la guerre en Syrie qui s’élevaient, selon les meilleurs pronostics à 15 000 combattants. Dans ces médias, la tendance générale était donc de considérer que sayed Nasrallah a sciemment «gonflé» les chiffres de ses effectifs pour «faire peur aux chrétiens» et «décourager» ceux qui seraient tentés de l’affronter.
D’autres médias, toujours hostiles au Hezbollah, ont fait un rapide calcul, selon lequel si le Hezbollah verse effectivement 500 dollars par mois à chacun de ses combattants, cela signifierait qu’il disposerait d’un budget mensuel qui s’élèverait à plusieurs millions de dollars car il faut aussi compter les dépenses logistiques et les autres frais de santé et autres. Or si le Hezbollah dispose de telles sommes en devises étrangères c’est d’une part qu’il est très riche et d’autre part, cela ne pourrait pas passer inaperçu et il n’y aurait pas une telle crise de liquidités en dollars au Liban. A partir de ce développement, ces médias et experts ont aussi conclu que le chiffre avancé par le sayed est «exagéré».
Reprenant l’esprit des médias libanais hostiles au Hezbollah, les médias occidentaux ont relayé la version de «l’exagération».
Par contre, les médias israéliens habitués à croire tout ce que dit le secrétaire général du Hezbollah ont pris au sérieux le chiffre avancé et ils ont multiplié les commentaires appelant à la vigilance, tout en faisant des pronostics pessimistes sur l’issue d’une nouvelle guerre avec cette formation.
Du côté des médias favorables au Hezbollah, la tendance était totalement contraire à celle des médias du camp opposé. Pour eux, le chiffre ne reflète pas la réalité, car il faudrait aussi lui ajouter, en cas d’affrontement, les ansars, les unités de la défense et autres groupes qui évoluent dans la mouvance du Hezbollah et qui sont aussi entraînés au combat.
Les débats sont nombreux sur cette question et rien qu’à suivre les articles dans les médias et les commentaires sur les réseaux sociaux, on ne peut que se dire que sayed Nasrallah a réussi son coup: occuper la scène médiatique en poussant les amis comme les ennemis ou les adversaires à se poser de nombreuses questions.
A moins toutefois d’aller dans les camps (secrets) d’entraînement du Hezbollah, on peut difficilement avoir des chiffres précis sur le nombre de ses combattants. Il faut donc se résoudre soit à se convaincre des pronostics des experts hostiles à cette formation… soit croire ce qu’a dit le sayed.
Mais quelle que soit la position adoptée, le plus important est de se demander pourquoi sayed Nasrallah, qui n’est jamais dans la réaction, a choisi de donner un tel chiffre, lui qui est si discret sur tout ce qui touche aux questions purement militaires.
Au lieu de se lancer dans des spéculations impossibles à vérifier, les experts auraient dû se demander à qui s’adresse le Hezbollah et si vraiment ce chiffre a été lancé contre le chef des Forces Libanaises pour le dissuader de se lancer dans une aventure militaire ou s’il s’agit plutôt de faire peur aux Israéliens et à tous ceux qui, derrière le chef des Forces Libanaises ou indépendamment de lui, pensent encore que ce parti est une force locale qu’il est facile de briser ou d’éliminer.
Le chiffre de cent milles combattants résonnera encore longtemps dans les médias et dans l’inconscient collectif des Libanais, des Israéliens et même des Arabes. Au-delà de la volonté de savoir s’il est exact ou non, le plus important est de mesurer son impact sur les rapports des forces au Liban et dans la région. Dans le doute, et grâce à la phrase du sayed, toutes les forces qui songeraient à défier le Hezbollah devraient désormais réfléchir sérieusement avant de prendre la moindre initiative qui va dans cette direction.
Qu’ils soient cent milles, 90 000 ou 150 000, les combattants du Hezbollah continuent de faire respecter, où qu’ils se trouvent, l’équation de la dissuasion…