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Les bateaux iraniens et l’embarras américain

Les bateaux iraniens et l’embarras américain
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Par Fouad Karam

On a beau vouloir croire au hasard, mais ces temps-ci, il y a trop de coïncidences au Liban. A peine le secrétaire général du Hezbollah avait-il achevé son discours du dixième jour de Achoura, le 19 août, que l’ambassadrice des Etats-Unis a contacté le président de la République pour lui annoncer que son administration a donné son accord pour que le Liban puisse profiter du gaz égyptien à travers la Jordanie et la Syrie, ainsi que de l’électricité jordanienne via la Syrie.

Pour rappel, le premier projet a été évoqué il y a plus de quatre ans, à plusieurs reprises, mais il s’est toujours heurté au refus des Etats-Unis d’accorder au Liban une exception pour pouvoir conclure les accords nécessaires à son exécution avec les autorités syriennes. Pourtant, les Etats-Unis avaient accordé des exceptions de ce genre à l’Irak par exemple, notamment pour avoir des relations économiques avec la République islamique d’Iran, elle aussi  soumise aux sanctions américaines. Elle avait aussi accordé une exception à la Jordanie pour pouvoir faire transiter des marchandises via la Syrie, contrairement aux dispositions de la Loi César. Mais pour le Liban, il n’en était pas question. Toutes les tentatives effectuées par les autorités libanaises, qu’il s’agisse des responsables de haut niveau ou des hauts fonctionnaires ou encore des ministres.

Soudain, c’est devenu possible et c’est l’ambassadrice des Etats-Unis qui a pris l’initiative de contacter le président de la République pour l’en informer.

Bien entendu, on dit toujours que le Liban est le pays du miracle et on peut croire qu’une fois de plus, il est à la hauteur de sa réputation, ayant réussi après plus de quatre ans à obtenir un miracle de la part de l’Administration américaine.

En même temps, alors qu’on en parle depuis plus d’un an, l’importation de fuel irakien destiné à l’Electricité du Liban a trouvé soudainement un dénouement heureux, avec la signature d’un contrat avec une compagnie officielle émiratie pour transformer le pétrole irakien en fuel compatible avec les installations électriques libanaises. Comment cette compagnie officielle, qui appartient aux autorités de Dubaï s’est-elle brusquement mise dans la course, alors que depuis près de deux ans, on entend de la part des autorités émiraties que des déclarations de bonnes intentions qui ne se concrétisaient pas ?

On peut aussi, sans être injuste, se demander s’il n’y a pas un lien direct entre cette succession de bonnes nouvelles, la soudaine annonce de l’autorisation américaine et le discours de sayed Hassan Nasrallah dans lequel il a annoncé l’appareillage du premier navire iranien chargé de mazout à destination du Liban.

Il faut préciser que selon des sources proches de l’ambassade américaine à Awkar, l’annonce faite par sayed Nasrallah a surpris les diplomates américains. Ceux-ci en étaient arrivés à la conclusion que la menace du secrétaire général du Hezbollah d’amener du mazout et de l’essence iraniens était destinée à la propagande, à l’égard de ses partisans.

En l’entendant annoncer que le premier bateau allait appareiller dans quelques heures, les diplomates de l’ambassade ont donc été pris de court. Il fallait d’abord ôter le prétexte au sayed qui a justifié sa démarche en affirmant (à juste titre) que les Libanais n’en peuvent plus de la pénurie de carburants, en faisant une annonce positive pour calmer la colère des Libanais. Sachant évidemment que même après l’annonce faire par Mrs Dorothy Shea, le fuel irakien ne pourrait pas arriver au Liban avant au moins deux ou trois semaines.

Ensuite, les diplomates américains ont tenté de minimiser l’impact de l’annonce du secrétaire général du Hezbollah en essayant de la présenter comme une initiative isolée pour sauver la face du parti devant ses partisans et d’ailleurs la cargaison du bateau serait loin de suffire aux besoins libanais en carburants.

L’ambassadrice et ses adjoints ont donc multiplié les contacts avec les personnalités politiques, religieuses et médiatiques, influentes au Liban pour expliquer que l’annonce de sayed Nasrallah ne mérite pas qu’on s’y arrête, car elle serait plus médiatique qu’efficace et concrète.

Mais le secrétaire général du Hezbollah a bien compris la manœuvre et il est revenu à la charge dans deux autres discours successifs, le 22 août et le 27 août, annonçant l’appareillage de deux autres bateaux à destination du Liban (ou de la Syrie) mais en tout cas pour la consommation des Libanais.

Ces annonces successives ont complètement déstabilisé les diplomates de l’ambassade, qui avaient donné des instructions à leurs alliés au Liban pour minimiser l’importance de la démarche et chercher même à la rendre ridicule, en prétendant que l’Iran n’a pas d’essence à exporter et que la situation économique y est tellement mauvaise, qu’elle n’est pas en mesure d’aider son allié le Hezbollah. 

Des informations ont ainsi circulé sur les réseaux sociaux faisant état d’une réponse officielle iranienne au Hezbollah dans laquelle les autorités de Téhéran affirment ne pas être en mesure de répondre aux demandes de leur allié.

La réponse iranienne n’a pas tardé. Un communiqué officiel a été ainsi publié pour dire que l’Iran se tient aux côtés des Libanais et fera tout son possible pour les aider dans cette crise terrible qu’ils traversent.

L’appareil médiatique proche de l’ambassade des Etats-Unis ne s’est pas pour autant calmé. Depuis l’annonce faite par sayed Nasrallah, les informations selon lesquelles le premier bateau n’a pas encore pris la mer se sont multipliées…

Ces informations sont visiblement destinées à déstabiliser le public de la résistance et à calmer le sentiment de défaite chez ses adversaires.

Toutefois, lorsque le sayed annonce l’appareillage de deux bateaux, alors que le troisième attend de prendre la mer au cours des prochains jours, cela signifie qu’il s’agit d’un plan complet et non pas d’une initiative isolée destinée à sauver la face du Hezbollah et de l’Iran auprès de ses alliés.

De même, le trajet des bateaux iraniens chargés de mazout et d’essence destinés aux Libanais, ne ressemble pas au parcours d’une croisière de plaisance. Il s’agit d’un véritable défi militaire lancé par les Iraniens et par l’ensemble de l’axe de la résistance aux Américains et aux Israéliens qui pourraient songer à empêcher ces bateaux d’arriver à destination.

Si ces bateaux arrivent à bon port, cela ne signifie pas seulement que l’Iran aide le Hezbollah quand il le lui demande et pas seulement dans le domaine militaire, mais aussi que l’axe de la résistance est en mesure d’assurer la sécurité de ses bateaux qui viennent d’Iran vers la Méditerranée et passent ainsi devant les côtes égyptiennes, saoudiennes, et autres, sans être appréhendés. Il s’agit donc d’un grand développement stratégique, qui pour la première fois donne l’avantage sur les mers à l’axe de la résistance. Certes, la flotte américaine et ses alliés dans la région ont les moyens et les capacités d’attaquer ces bateaux, mais pour empêcher une cargaison d’essence et de mazout dont un peuple a terriblement besoin et sans la moindre justification en droit international (puisque les sanctions sur l’Iran sont uniquement américaines et non onusiennes), peuvent-ils prendre le risque de déclencher une guerre régionale ? Le sayed a été en effet très clair sur le sujet. Dès qu’ils prennent la mer, les bateaux iraniens seront considérés comme un territoire libanais. Par conséquent, la résistance a le droit de les défendre de toute attaque dont ils pourraient être la cible.

Les Etats-Unis et leurs alliés sont donc devant un choix difficile : soit ils attaquent -ou demandent aux Israéliens de le faire- les bateaux au risque de déclencher une guerre dans la région, au moment où ils cherchent des arrangements pour s’en retirer surtout après la catastrophe afghane. Soit ils laissent faire et laissent le Hezbollah remporter une victoire à la fois morale, militaire et sociale en se présentant au Liban comme la force en mesure d’aider la population.

Pour tenter de sortir de ce choix difficile et pénible pour eux, les Américains n’ont rien trouvé de mieux que de faire des annonces sur l’autorisation du gaz égyptien et l’électricité de Jordanie  à arriver au Liban, tout en accélérant l’arrivée du fuel irakien… dans l’espoir qu’elles feront passer au second plan l’affaire des bateaux iraniens et qu’elles voleront la vedette à sayed Nasrallah… Mais pour le Hezbollah avoir réussi à pousser les Américains à alléger le blocus qu’ils imposent indirectement au Liban est déjà une victoire. Pour les Libanais aussi.

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