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La guerre de juillet 2006, un espoir pour l’avenir

La guerre de juillet 2006, un espoir pour l’avenir
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Par Scarlett Haddad

Le 12 juillet 2006, le Liban était encore sous le coup de la victoire de l’Italie à la Coupe du monde de football trois jours plus tôt qu’il avait suivie dans ses moindres détails. Tôt dans la journée, les informations ont toutefois commencé à pleuvoir sur l’enlèvement de deux soldats israéliens à la frontière sud du pays dans le cadre d’un guet-apens qui leur a été dressé.

Au début, les Libanais n’ont pas mesuré l’ampleur de cet événement. Il a fallu que le secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah tienne une conférence de presse dans l’après-midi même pour qu’ils commencent à se rendre compte que quelque chose de grave était en train de se passer. C’était d’ailleurs la dernière fois que le sayed apparaissait en personne dans une occasion de ce genre...

Dès lors, les événements se sont succédé à un rythme rapide, changeant définitivement les rapports de force dans la région.

Comme d’habitude, au Liban, les gens étaient divisés. Il y avait ceux qui étaient convaincus que le Hezbollah serait détruit par les forces israéliennes (certains le souhaitaient même), ceux qui appuyaient au fond d’eux le Hezbollah mains ne croyaient pas en sa victoire et quelques irréductibles qui étaient convaincus qu’il sortirait encore plus fort de cette guerre. Le général Michel Aoun, alors chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, faisait partie de cette dernière catégorie. A tous ceux qui lui rendaient visite dans son domicile à Rabié pour sonder son opinion sur cette guerre, il affirmait qu’en tant qu’ancien militaire, il était convaincu que l’armée israélienne, en dépit de sa puissance notamment aérienne et de ses moyens ainsi qu’avec l’appui de la communauté internationale, en tête les Etats-Unis, ne serait pas en mesure de détruire le Hezbollah. Il s’empressait d’ailleurs de préciser qu’il ne disait pas cela parce que son parti avait signé le 5 février 2006, un accord avec ce parti appelé «l’entente de Mar Mikhaël», mais en raison de ses connaissance du terrain et des rapports de forces militaires.

Certains ne prenaient pas cette opinion au sérieux et d’autres estimaient qu’elle était biaisée. Mais sans prêter attention aux sceptiques, Michel Aoun a immédiatement donné des instructions à ses partisans pour que les chrétiens ouvrent les écoles et les maisons aux déplacés qui viendraient du Sud. De fait, en raison de la violence inouïe des bombardements et du plan visible israélien d’isoler le Sud du reste du pays ainsi que de couper les régions les unes des autres en détruisant les ponts et les axes routiers principaux, près d’un million de Libanais ont quitté le Sud et certaines localités de la Békaa pour se réfugier dans des régions considérées comme «plus sûres». Le plan israélien qui reposait sur cet exode forcé de la population en majorité chiite visait à susciter des frictions entre les déplacés et ceux qui devaient les accueillir. Ces frictions devaient prendre un caractère confessionnel et plonger ainsi le pays dans un conflit interne en plus de la guerre que lui menaient les Israéliens. C’était en utilisant à la fois la force pour détruire la puissance militaire du Hezbollah et en jouant sur les susceptibilités confessionnelles que les Israéliens croyaient pouvoir détruire totalement la résistance.

La demande de Aoun à ses partisans d’ouvrir les écoles et les maisons aux déplacés du Sud a fait boule de neige et certains couvents dans les villages chrétiens du Kesrouan et de Jbeil ont ainsi accueilli des familles contraintes à l’exode par l’intensité des bombardements israéliens. Si une minorité se plaignait de l’afflux de ces déplacés chez eux, l’image marquante de cette période restera l’élan de solidarité populaire des chrétiens, des sunnites et des druzes avec les chiites contraints à l’exode. On se souvient ainsi des tentes qui ont été dressées un peu partout y compris au Jardin public de Sanayeh (Beyrouth)  pour accueillir les déplacés du Sud et des aides qui leur étaient distribuées par les ONG de l’époque, notamment Caritas, les Makassed et bien d’autres.

Les combats ont duré trente-trois jours et pendant toute cette période, aucun incident n’a été enregistré entre les déplacés du Sud et les habitants des régions où ils se sont réfugiés. Au contraire, la grande majorité des Libanais était de cœur avec les déplacés et était en colère contre les Israéliens et leurs bombardements aveugles qui avaient même frappé le pont du Casino, le Nord du pays et même des lieux à Baalbeck et dans ses environs.

Alors que les résistants du Hezbollah tenaient bon au Sud et enregistraient des victoires incroyables comme à Maroun el Rass et à Bint Jbeil, où ils avaient laissé les soldats israéliens avancer avant de les prendre à revers, émergeant du sous-sol et prenant d’assaut les assaillants, la population resserrait les rangs autour des déplacés, mettant ainsi totalement en échec les plans israéliens.

Face à l’élan de solidarité populaire, dans lequel Aoun a joué un rôle prépondérant et aux développements incroyables sur le terrain, les responsables politiques qui subissaient les pressions américaines en faveur des Israéliens ont dû changer d’attitude. Le Premier ministre de l’époque Fouad Siniora avait ainsi préparé un point de cessez-le feu en 7 points qui prévoyait indirectement le désarmement du Hezbollah. Mais il s’est heurté d’une part à l’opposition du président de l’époque Emile Lahoud, mais aussi au sentiment populaire d’appui à la résistance. Dans des entretiens télévisés qu’il a donnés ultérieurement, le Premier ministre et ministre qatari des Affaires étrangères de l’époque cheikh Hamad ben Jassem, qui avait mené une partie des négociations sur la résolution 1701 qui a mis fin à cette guerre, a révélé que lui et d’autres responsables avaient été impressionnés par la bravoure des combattants du Hezbollah et par l’appui populaire dont ils bénéficiaient. Il a même déclaré que les Israéliens demandaient un cessez-le feu le plus rapidement possible, mais les Américains voulaient prolonger la guerre dans l’espoir de marquer des points contre le Hezbollah. On se souvient d’ailleurs de la fameuse déclaration de la Secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice sur le fait qu’à travers cette guerre, «un nouveau Moyen Orient est en train de naître». Par conséquent, ce qui se passait, c’était les douleurs de l’enfantement...

Finalement, les Américains ont dû se rendre à l’évidence: il fallait mettre un terme à cette guerre parce que les Israéliens n’en pouvaient plus et qu’il ne leur serait pas possible de détruire le Hezbollah. Au cours des 33 jours d’affrontements, le secrétaire général du Hezbollah avait prononcé plusieurs discours historiques qui donnaient à la fois le moral aux Libanais et boostaient les combattants. On se souvient de son discours sur le bateau Saer qui s’enflammait au large des côtes libanaises, atteint par un missile du Hezbollah et que les Libanais (et le monde entier) ont pu voir en direct. On se souvient aussi du second massacre de Cana le 30 juillet (le Premier avait eu lieu en avril 1996, lors de l’agression appelée par les Israéliens les «Raisins de la Colère») qui a fait pleurer tous les Libanais et ému le monde arabe.

Autant de moments que les Libanais ne devraient jamais oublier et qui ont scellé leur destin commun.

D’ailleurs, le 14 août, à la seconde même où le cessez-le feu est entré en vigueur, le lundi à 6 heures du matin, les déplacés du Sud ont repris massivement le chemin de leurs villages sans tenir compte de leurs maisons détruites. Sans même attendre de voir si le cessez-le feu serait respecté, ils se sont précipités sur les routes bombardées, cabossées et parfois coupées pour rentrer chez eux, sur leurs terres.

L’émotion était immense et la voie côtière du Sud était totalement bloquée par les embouteillages. Le Liban et les Libanais avaient remporté une grande victoire. Non seulement ils avaient obligé les Israéliens à se retirer sans obtenir le moindre avantage, mais ils avaient aussi évité le piège de la discorde.

Aujourd’hui avec toutes les difficultés qu’ils traversent, avec ces jours noirs qu’ils vivent sans même une perspective d’avenir, les Libanais devraient repenser à la guerre de juillet et à cet épisode glorieux de leur histoire. Cela devrait les aider à retrouver confiance dans leur avenir. Quand un peuple, une résistance et des dirigeants ont vécu une telle expérience, ils ne peuvent pas être vaincus aussi dure que soit la période actuelle.

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