MBS accumule les revers, la route du trône semée d’embûches
Par Samer Zoughaib
La décision des États-Unis de réduire leur présence militaire en Arabie saoudite s’ajoute aux revers accumulés par le prince héritier Mohammad Ben Salmane depuis qu’il est devenu l’homme fort du royaume wahhabite.
Les derniers développements au niveau des relations entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite constituent un revers supplémentaire pour le prince héritier Mohammad Ben Salmane (MBS), qui a misé sur le soutien américain, et plus particulièrement sur l’appui personnel du président Donald Trump, dans sa quête insatiable du pouvoir pour accéder au trône.
L’agence de presse Reuters, le Wall Street Journal (WSJ) et d’autres médias occidentaux ont fait état d’une décision américaine de réduire le dispositif militaire déployé en Arabie saoudite pour protéger le royaume.
Washington a décidé de retirer les batteries de missile anti-aériens Patriot ainsi que deux escadrons de chasseurs. De plus, la flotte américaine planifierait de diminuer sa présence militaire dans le golfe persique.
Les deux systèmes de défense anti-aérienne retirés avaient été déployés en septembre dernier, au lendemain de l'attaque par l’armée yéménite et les Comités populaires des installations pétrolières stratégiques d’Abqaiq et Khoureis, qui avait contraint le royaume à réduire de 50% sa production de pétrole.
Des responsables américains interrogés par le WSJ expliquent l’allègement de la présence militaire des États-Unis en Arabie saoudite par le fait que «le risque d'attaques iraniennes contre les intérêts américains aurait diminué». Pourtant, l’Iran n’a en rien modifié son discours ou ses plans. Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo avait remué ciel et terre après la mise en orbite par Téhéran, récemment, d’un satellite militaire. Washington avait aussi révélé que 11 vedettes iraniennes avaient «harcelé» des bâtiments de guerre américains dans le Golfe et le président Donald Trump avait donné l’ordre à sa marine de «détruire» tout bateau iranien qui constituerait une menace pour sa flotte.
L’argument de la baisse des tensions invoqué pour justifier le désengagement américain d’Arabie saoudite ne tient donc pas la route.
MBS humilié par Trump au téléphone
Des médias occidentaux donnent une autre explication. L’agence Reuters rapporte une conversation téléphonique, le 2 avril, entre Trump et MBS, au cours de laquelle le président américain aurait laissé éclater sa colère contre le prince saoudien pour sa décision d’inonder le marché de pétrole dans une tentative de faire plier la Russie. La hausse de la production saoudienne de 2,5 millions de barils par jour avait entraîné la chute des cours du brut, menaçant l’industrie de pétrole de schiste américain.
Selon Reuters, le président américain aurait tellement haussé le ton lors de cette conversation que MBS aurait ordonné à ses adjoints de se retirer de la salle, pour qu’ils ne soient pas témoin de l’humiliation qui lui était infligée.
Lors de cet appel téléphonique, le locataire de la Maison-Blanche aurait lancé au prince saoudien un ultimatum: il ne s'opposerait pas à la volonté de sénateurs américains qui ont déposé une loi une loi réclamant le retrait d'Arabie des systèmes américains antimissiles Patriot, si Riyad ne réduisait pas sa production de pétrole.
Moins de dix jours après cette conversation téléphonique, MBS opérait un virage de 180 degrés, en concluant un accord avec la Russie portant sur une réduction de 10 millions de barils par jour de la production, dans l’espoir de freiner la chute des prix. Mais le recul s’est poursuivi malgré cet accord. Le Fonds monétaire international demande une réduction de 20 millions de barils afin d’essayer de stabiliser les cours.
MBS a probablement essayé, en vain, de plaider sa cause auprès de Trump, lui rappelant les colossaux contrats d’armement et les investissements saoudiens aux Etats-Unis d’un montant de 460 milliards de dollars ; les 100 millions de dollars offerts à la fondation de sa fille et conseillère Ivanka Trump ; de la guerre par procuration menée par le royaume au profit des Etats-Unis au Yémen ; du financement par Riyad de ce que le président américain appelle la «protection» accordée à l’Arabie saoudite etc… Mais Trump ne veut rien entendre. Pour lui, cet allié est redevable de sa survie à Washington et tout ce qu’il peut offrir n’est pas suffisant pour payer cette dette.
Le pacte de Quincy remis en question ?
C’est la première fois que les Etats-Unis prennent une décision qui semble en contradiction avec l’esprit du pacte, signé il y a 75 ans entre le roi fondateur Abdel Aziz et le président Franklin Roosevelt, à bord du croiseur américain le Quincy. Ce pacte était censé garantir la sécurité du royaume des Saoud en contrepartie de son engagement à assurer l'approvisionnement énergétique américain ainsi que la stabilité du marché pétrolier.
Cet épisode des relations américano-saoudiennes constitue un nouvel échec pour MBS, qui s’ajoute à tous les revers enregistrés par le prince saoudien sur les plans interne et externe. De la guerre du Yémen, qui a saigné les finances du royaume sans aucun gain politique ou territorial significatif, au conflit syrien, en passant par la crise avec le Qatar ou les tentatives de modernisation de l’économie et de l’Etat saoudien, Mohammad Ben Salmane n’a essuyé que des échecs,
Après avoir dépensé des sommes astronomiques pour polir son image auprès de l’opinion publique internationale, en se présentant comme un prince moderne, désireux de libéraliser son pays, tous ses efforts sont partis en fumée avec l’assassinat sauvage du journaliste Adnane Khashoggi, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en octobre 2018.
Sur le plan interne, la poigne de fer de MBS a considérablement réduit l’assise de la monarchie, en s’aliénant une partie des princes puissants et du clergé conservateur. Dans le même temps la répression sanglante contre la minorité chiite a montré les méthodes brutales de l’homme fort du royaume, qui ne recule devant rien pour asseoir son autorité absolue.
De graves difficultés économiques et financières
Sur le plan économique, Mohammad Ben Salmane voit ses rêves s’envoler. La chute des prix du pétrole prive le pays de sa principale source de revenus. Le prix du baril de brut est tombé à 10 dollars et celui du Brent, plus léger, à 15 dollars en moyenne. La crise du coronavirus a donné le coup fatal à la saison du pèlerinage, privant le pays des 16 milliards de dollars générés par le tourisme religieux, avec les 17 millions de pèlerins annuels.
Le budget de l’Etat a enregistré au premier trimestre un déficit de 9 milliards de dollars. Le déficit pourrait atteindre, à la fin de l’année, plus de 100 milliards de dollars. Les réserves en devises de la banque centrale sont tombées à leur plus bas niveau depuis 2011. Les revenus pétroliers ont baissé de 24% depuis le début de cette année, à 34 milliards de dollars.
La situation est tellement alarmante que le ministre des Finances, Mohammad al-Jadaan, a fait état de «mesures fermes et douloureuses» pour essayer de stabiliser la situation financière. La première de ces mesures, la hausse de la TVA de 5% à 15% à partir de juillet, a été annoncée lundi 11 mai. Autre décision, la suspension de l’allocation de 267 dollars par mois accordée depuis 2018 aux 1,5 fonctionnaires de l’Etat.
Dans ces circonstances, les observateurs s’interrogent sur ce qui reste de la vision 2030 vendue au monde en grande pompe par MBS, et sur le sort du rêve hollywoodien du prince, la ville de «Neom». Ce projet pharaonique, censé être construit sur une superficie de 26500 km2 entre la mer Rouge et la Jordanie, devrait coûter 500 milliards de dollars. Il est peu probable qu’il puisse être mené à terme.
Il n’est pas excessif de dire que l’Arabie saoudite a perdu l’arme de l’argent, qui lui donnait une illusion de puissance. Sans cette arme, Mohammad Ben Salmane voit tous ses rêves brisés. Son accession au trône pourrait être sérieusement compromise.