«Daech» ressurgit en Irak avec la bénédiction américaine
Par Samer Zoughaib
Le groupe terroriste «Daech» a multiplié ses attaques contre les Forces de la mobilisation populaire (al-Hachd al-Chaabi) et les troupes irakiennes ces dernières semaines. L’opération la plus sanglante s’est produite le 2 mai dans la province-clé de Salaheddine, dans la région de Mkeichifa, non loin de la ville de Samarra (107 kilomètres au nord de Bagdad).
L’assaut, mené sur plusieurs axes par des dizaines de membres de «Daech» a duré jusqu’à l’aube avant d’être repoussé par les unités du Hachd, avec l’appui de l’aviation irakienne. Onze combattants des forces de la mobilisation populaire ont été tués dans ces affrontements.
Cette attaque montre que «Daech» dispose toujours de moyens logistiques importants, d’un armement sophistiqué, dont des lunettes à vision nocturne, et d’une capacité non négligeable de collecte de renseignements.
D’autres attaques se sont produites dans les jours qui ont suivi à Salaheddine mais aussi dans d’autres régions d’Irak. Le Hachd et les forces de sécurité irakienne ont par ailleurs lancé, lundi 4 mai, une vaste opération dans la vallée de Hourane, dans la province d’al-Anbar à l’ouest de Bagdad, pour pourchasser des cellules du groupe terroriste actives dans le secteur.
L’instabilité politique et la crise du coronavirus profitent à «Daech»
«Daech» s’était déjà manifesté en mars dans la région de Janaqine, dans la province de Diyala frontalière de l'Iran, en attaquant des postes des forces de sécurité. Il a aussi pilonné aux obus de mortier des quartiers des villes de Toz Jurmatu et Amerli (province de Salaheddine) pour la première fois depuis des années.
Ce regain d’activité militaire s’est accompagné d’une recrudescence des assassinats de notables ou de membres de tribus sunnites alliés au Hachd al-Chaabi, imputés à des cellules dormantes de l’organisation terroriste.
Certains observateurs affirment que le groupe terroriste a mis à profit l’instabilité politique en Irak, secoué pendant des mois par un mouvement de contestation, et sans Premier ministre depuis la démission de Adel Abdel Mahdi en novembre, ainsi que la crise sanitaire due au coronavirus, pour se réorganiser et repasser à l’offensive.
Certes, ces deux facteurs ont sans doute contribué au regain d’activité de «Daech», d’autant que les forces de sécurité étaient occupées à lutter contre les débordements et à faire respecter les consignes de confinement que la population a eu du mal à accepter.
Mais expliquer la résurgence de «Daech» par ces deux seuls facteurs serait absoudre les Etats-Unis de toute responsabilité. La coalition internationale conduite par Washington a déployé quelque 5200 soldats et des dizaines d’avions dans des bases partout dans le pays, et s’est enorgueillie d’avoir éradiqué «Daech» en 2017. Mais le groupe terroriste est toujours là trois ans après la proclamation de la victoire et ceux qui lui font face sur le terrain sont le Hachd al-Chaabi et les forces de sécurité irakiennes.
Le scénario de 2014 se répète
Si le groupe terroriste est encore présent et dispose toujours de capacités opérationnelles c’est parce que les Etats-Unis lui ont laissé une marge de manœuvre dans le but de l’instrumentaliser le moment venu, exactement comme ils l’avaient fait en 2014, lorsqu’ils ont utilisé la menace représentée par le groupe terroriste pour revenir en Irak, qu’ils avaient été contraints de quitter en 2010 sans obtenir un accord avec les autorités irakiennes.
Aujourd’hui, c’est le même scénario qui se répète. Après l’assassinat, le 3 janvier, du chef de la force al-Qods des Gardiens de la révolution iranienne, le maréchal Qassem Suleimani, et du vice-président du Hachd al-Chaabi, Abou Mehdi al-Mouhandis, le Parlement irakien avait exigé, deux jours plus tard, le retrait des troupes américaines et de leurs alliés occidentaux. Depuis cette date, les troupes de la coalition internationale sont dans une situation illégale en Irak.
Depuis, Washington tergiverse. Tantôt Donald Trump exige des compensations financières, tantôt le Pentagone laisse filtrer une lettre annonçant le retrait de ses troupes, avant de se rétracter. Vers la mi-février, les Etats-Unis ont annoncé l’évacuation de certaines bases et le regroupement de leurs forces sur d’autres.
Dans le même temps, l’armée américaine a déclaré une guerre multiforme au Hashd al-Chaabi, véritable artisan de la défaite de Daech, sous prétexte de contrer l’influence de l’Iran en Irak et dans toute la région. Ses chefs ont été inscrits sur la liste des sanctions américaines, ses forces ont subi des raids de l’aviation américaine et de drones «israéliens»… Ces pressions contre le Hashd sont le meilleur service qui puisse être rendu à «Daech».
Washington veut arracher des concessions aux Irakiens
Dans une interview publiée récemment par le quotidien irakien Al-Sabah, le porte-parole du commandant en chef des forces armées irakiennes, le général Abdel Karim Khalaf, a annoncé que les négociations portant sur le retrait américain auront lieu en juin entre Washington et Bagdad.
La recrudescence des attaques de «Daech», facilitées par le redéploiement des troupes américaines et les pressions exercées sur le Hachd al-Chaabi, ne peut être séparée de l’approche de cette échéance.
Les Etats-Unis veulent négocier avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des Irakiens, afin de leur arracher des concessions sous prétexte que la menace terroriste persiste et s’amplifie. Mais si Washington souhaitait réellement en finir avec cette menace, il cesserait ses agressions contre les Forces de la mobilisation populaire et apporterait l’aide technique et matérielle nécessaire à l’armée irakienne.
Les concessions que les Américains veulent obtenir sont d’ordre politique, de manière à préserver leur influence au sein des institutions constitutionnelles. Elles sont aussi militaires, dans le but de maintenir des leviers au sein des forces armées et des services de sécurité irakiens, et économiques, afin de profiter des contrats de reconstruction du pays et d’avoir leur mot à dire dans la gestion des immenses réserves pétrolière de l’Irak.
«Daech» fait partie des instruments qui pourraient être utilisés pour atteindre ces objectifs.