L’affaire Fakhoury un coup de poignard dans le dos du Hezbollah
Par Soraya Hélou
L’ancien geôlier et bourreau de Khiam Amer Fakhoury est retourné auprès de sa famille aux Etats-Unis et le président américain Donald Trump a remercié le gouvernement libanais pour les efforts qu’il a déployés pour le relâcher, mais l’affaire n’est pas pour autant terminée.
Au contraire, au Liban, elle ne fait que commencer, car beaucoup de questions demeurent sans réponses. Une des premières conséquences de ce dossier choquant est la décision du président du tribunal militaire le général Hussein Abdallah de présenter sa démission suite aux accusations de traîtrise qui lui ont été adressées pour avoir décidé d’arrêter les poursuites contre le tortionnaire. Dans un tweet, le général Abdallah a fait allusion à «la loi qui met à égalité le traître et le résistant».
De fait, c’est grâce à une faille dans la loi libanaise qui n’exclut pas les crimes de collaboration avec l’ennemi israélien et ceux portant sur la torture des prisonniers de la prescription qui a permis au tribunal militaire formé de 5 membres de décider d’arrêter les poursuites contre «le bourreau de Khiam».
A ce sujet, il faut préciser que le tribunal a pris la décision avec l’accord de tous ses membres mais c’est seulement le général Abdallah qui est mis en cause dans les médias. De plus, s’il s’était opposé à la décision, alors que les autres membres du tribunal étaient d’accord, il aurait créé un précédent…
Un petit retour aux faits s’impose. Depuis le début, l’arrestation de Amer Fakhoury par un officier de la Sûreté générale a suscité de nombreuses polémiques.
Selon une rapide reconstitution des faits, Fakhoury avait été condamné à 20 ans de détention par contumace, après s’être réfugié en «Israël» en 1996. En 2016, il a confié à un avocat de «blanchir son dossier» après une prescription de 20 ans de la condamnation. De fait, le nom de Fakhoury avait été effacé du fameux bulletin 303 qui avait été créé pour contenir les noms des personnes condamnées pour des crimes précis. En principe, ce bulletin est régulièrement «nettoyé» et les noms de ceux qui ont purgé leur peine ou bénéficié d’une amnistie ou d’une prescription sont effacés. Mais dans le cas de Fakhoury qui avait été condamné par contumace, le nom reste avec la mention «nettoyé», pour qu’il soit interrogé de façon purement formelle s’il décide de revenir au Liban.
C’est donc ce qui s’est passé avec l’officier de la Sûreté générale en poste à l’aéroport Rafic Hariri au moment de l’arrivée de Amer Fakhoury. Il lui a donc demandé de revenir le lendemain pour un interrogatoire de pure forme. Fakhoury est revenu accompagné d’un général des FSI pour impressionner l’officier de la Sûreté générale et c’est là qu’il a été arrêté.
Dès lors, les pressions américaines ont commencé à pleuvoir sur les responsables libanais. L’ambassade à Aoukar, les émissaires américains qui se sont succédé à Beyrouth, Davide Hale, David Shanker notamment, puis par téléphone, le président du Conseil de sécurité nationale américain Robert O’Brien. Les Américains ont même sollicité l’aide de leurs alliés traditionnels au Liban, qui ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. Les pressions sont devenues plus insistantes à partir du moment où le dossier de Amer Fakhoury est devenu un enjeu de la bataille électorale américaine.
Une sénatrice démocrate Jeanne Shaheen très influente a soumis une proposition de loi appelée «Zero Tolerance Act» pour juger et imposer de violentes sanctions contre tous ceux qui ont été impliqués dans l’arrestation puis le jugement de Fakhoury au Liban. Ce qui pourrait mettre en difficulté Donald Trump le Républicain dans le cadre d’une surenchère interne sur la protection des citoyens américains à l’étranger. Les responsables américains ont alors dit à leurs interlocuteurs libanais que Trump lui-même demande la remise en liberté de Fakhoury sinon rien ne les protègera de sa colère.
C’est dans ce contexte que le tribunal militaire a décidé de libérer le prisonnier en arrêtant les poursuites contre lui. A peine la décision du tribunal prise, Fakhoury a été transporté à l’ambassade américaine à Aoukar, d’où il est parti ensuite le lendemain à bord d’un avion militaire vers Chypre puis vers les Etats-Unis.
Sur le plan juridique, la décision est valable, mais ce qui ne l’est point, c’est sa portée morale et sur le plan des principes.
Il faut préciser à cet égard que Fakhoury n’a pas été innocenté et il n’est pas parti en héros, mais comme un voleur.
Malgré tout, la décision est choquante et ce qui l’est encore plus, ce sont les remerciements adressés par Trump au gouvernement libanais.
Les anciens détenus de Khiam, qui ont subi les tortures imposées par Fakhoury, ainsi que les proches de ceux qui ont été tués en prison sous ses ordres et même tous les Libanais dignes ont été révoltés par ce scénario qui, au meilleur des cas, montre une grande lâcheté face aux menaces américaines.
La procédure judiciaire va sans doute se poursuivre, pour le principe et Fakhoury sera probablement condamné à mort, mais il ne sera plus là. Dieu se chargera du reste, mais pour le Liban, il s’agit d’un grand coup porté à l’honneur du pays, aux principes de justice et aux institutions.
Hélas, l’affaire n’en reste pas là. Les parties politiques qui sont dans le camp opposé de celui de la résistance ont tenté d’exploiter ce scénario honteux pour mettre en cause le Hezbollah et insinuer qu’il était d’accord avec cette issue. Pour certains, il aurait été impliqué dans un compromis conclu entre l’Iran et les Etats-Unis, pour d’autres, il a montré qu’il est prêt à laisser faire lorsque cela l’arrange, bafouant ainsi les principes qu’il affirme défendre.
Bien entendu, rien de tout cela n’est vrai. C’est même aussi faux que les accusations portées contre le Hezbollah de contrôler le pays et le gouvernement. C’est vrai que le Hezbollah a été informé par le général Abdallah de la décision que le tribunal voulait prendre, en invoquant l’ampleur des pressions américaines, mais il s’y est totalement opposé, allant même jusqu’à dire au général que cette action équivaut au crime de haute trahison. Mais contrairement à ce que disent ses détracteurs, le Hezbollah n’utilise pas avec les Libanais, la menace et la violence. S’il est fort et déterminé contre l’ennemi israélien et contre les terroristes takfiristes, ayant ainsi largement contribué à renverser la donne en Syrie, par exemple, au Liban, il est tolérant et respectueux de la diversité interne. Il est même coulant allant jusqu’à accepter toutes les critiques qui lui sont injustement adressées, sans même chercher à se défendre. D’ailleurs ses alliés lui reprochent parfois ce qu’ils appellent «un excès de démocratie». C’est d’ailleurs le Hezbollah, qui, après avoir libéré la terre de l’occupant israélien a ouvert les zones libérées à tous les Libanais, y compris les partis politiques qui lui sont hostiles. Il n’a jamais utilisé contre eux les menaces et les intimidations et il a accepté que les jugements contre les anciens collaborateurs des Israéliens (ceux qui n’ont toutefois pas joué un rôle majeur) soient allégés. C’est cela le Hezbollah, un parti noble, respectueux du Liban et féroce avec les ennemis. Dans l’affaire Fakhoury, certaines parties sans doute profité de ces qualités pour imaginer le scénario de la remise en liberté du bourreau pour calmer la colère de Trump et de ses hommes. C’est un coup dur et une grande blessure pour lui, mais c’est aussi la preuve que tout ce qu’on lui reproche est faux et dénué de tout fondement. Quand on a un parti aussi fort que le Hezbollah et en même temps aussi respectueux de ses concitoyens, on devrait le protéger et l’honorer, non lui donner un coup de poignard dans le dos.