A Manama, tout l’argent du monde n’a pas suffi à acheter les Palestiniens
Par Soraya Hélou
50 milliards de dollars et toutes les pressions américaines n’ont pas suffi pour faire de la Conférence de Manama «pour la prospérité et le développement de la région et des territoires palestiniens» une réussite. Pourtant, depuis des mois, l’administration américaine, et en particulier le gendre et conseiller spécial du président Trump Jared Kushner, préparent ce plan et en parlent dans les médias comme d’une véritable planche de salut pour les Palestiniens. Kushner a même effectué plusieurs visites dans la région dans ce but, mettant à contribution son allié saoudien l’émir Mohammed ben Salmane et son allié égyptien le président Abdel Fattah al Sissi pour qu’ils convainquent les Palestiniens d’y participer, puisqu’ils sont les premiers concernés.
Le chef de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas s’est d’ailleurs rendu en Arabie et en Egypte dans ce but, mais en même temps, depuis la décision américaine de transférer l’ambassade des Etats-Unis de «Tel Aviv» vers al-Qods (Jérusalem), il a refusé de rencontrer les émissaires américains qui sont venus dans la région. Pour exercer encore plus de pression sur le président de l’AP, les Américains ont poussé les Egyptiens à favoriser une réconciliation entre le Hamas et l’OLP, dans une tentative de «récupérer» le Hamas et de l’éloigner de la résistance armée.
D’ailleurs, toute l’idée du fameux «deal du siècle» que Jared Kushner a appelé «La chance du siècle», (comme s’il s’agissait d’une opportunité unique qui ne devrait pas se produire une seconde fois avant cent ans) repose sur le principe d’acheter les Palestiniens, c’est-à-dire de leur faire miroiter le développement et la prospérité, pour les pousser en contrepartie à renoncer à leur terre, à leur pays et à leur dignité. Ce n’est donc pas un hasard si la bande de Gaza est soumise depuis plus de dix ans à un blocus économique terrible destiné à affamer ses habitants et à les pousser au désespoir, soit pour qu’ils émigrent vers d’autres cieux, soit pour qu’ils cèdent aux conditions américano-israéliennes. De même, la Cisjordanie n’est pas dans une bien meilleure situation, le plus souvent privée des fonds de l’Autorité palestinienne retenus par les Israéliens, encerclée et rognée par des colonies de peuplement qui augmentent régulièrement et se développent face au silence international.
Face à cette situation palestinienne dramatique et face à un monde arabe déchiré, dont une partie menée par l’Arabie considère désormais l’Iran comme le principal ennemi des Arabes à la place d’«Israël», Jared Kushner croyait que le moment était propice pour faire passer son plan dont il n’a dévoilé que la partie attirante, c’est-à-dire le développement et les projets économiques, laissant les concessions politiques et nationales pour plus tard, «lorsque le poisson aura été ferré» comme disent les pêcheurs et qu’il ne pourra plus se libérer.
Ce que n’a pas dit Kushner, mais que déclarent en douce des sources diplomatiques arabes et occidentales, c’est que les Américains souhaitent aussi agir vite parce qu’ils savent que les Israéliens ne peuvent plus mener et remporter une guerre rapide contre les Arabes, ayant même échoué à Gaza lors de leur dernière agression, il y a près de deux mois. Trump et son gendre souhaiteraient donc réaliser le plus vite possible un accord entre les Palestiniens et les Israéliens, pour protéger ces derniers et... gagner ainsi les voix du puissant lobby juif aux Etats-Unis lors de la prochaine élection présidentielle l’an prochain.
Malgré ce contexte qu’ils considéraient favorable, Trump et Kushner n’ont pas réussi à marquer un point lors de la conférence de Bahrein qui était un test pour la suite du plan. Les Palestiniens, toutes tendances confondues, ne sont pas venus au rendez-vous, portant un coup terrible au projet de Kushner et poussant les Israéliens à ne pas s’y rendre non plus, alors que la plupart des pays arabes présents à la conférence ont rabaissé leur niveau de représentation. Selon des sources diplomatiques citées par des médias occidentaux, même les Etats arabes les plus proches des Américains ne croyaient pas à l’efficacité de cette conférence, mais ils ne voulaient pas mécontenter les Américains en leur disant le fond de leur pensée. Même les projets qui étaient censés séduire les Palestiniens, comme la voie de communication entre Gaza et la Cisjordanie, manquait, toujours selon les sources précitées, de réalisme. Résultat, seul Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien sans gouvernement, a déclaré son optimisme, après une réunion avec Jared Kushner venu l’informer, comme il l’a dit lui-même, des résultats de la conférence. Quant à Jared Kushner, il n’a pas voulu reconnaître l’échec de son plan, en précisant qu’il s’agit d’un premier pas qui a permis de rapprocher les points de vue entre les Israéliens et les Arabes. Il a laissé toutefois transparaître sa déception lorsqu’il s’est adressé aux Palestiniens en leur disant qu’ils devraient revoir leur position, car la prospérité et le développement ne peuvent que leur être utiles.
Evidemment, Kushner qui est le digne héritier politique de son beau-père, ne peut pas comprendre que dans le cas des Palestiniens, la dignité, la justice, l’Etat et les droits sont plus importants que l’argent, même en période de grave crise économique. Le secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah lui, avait pourtant insisté sur ce point dans ses derniers discours, disant aux Palestiniens que nul ne peut leur arracher leur signature s’ils ne veulent pas la donner. L’argent va et vient et il est dépensé aussi rapidement qu’il est gagné, mais la terre, elle, reste.
La meilleure formule est d’ailleurs venue de l’ancien Premier ministre libanais Sélim Hoss qui a déclaré à l’occasion de la tenue de la conférence de Bahrein : «La Palestine n’est pas à vendre». Ceux pour qui seul compte le dollar ne peuvent pas comprendre cette logique. Il faut être de cette terre, de cette région et avoir dans les veines, un sang pétri de dignité et d’amour national pour pouvoir la comprendre.
Les Américains ne vont sans doute pas renoncer à leur plan aussi vite. Mais ils ont certainement reçu un coup direct à la conférence de Manama qui s’est tenue sans les principaux intéressés et dont le seul événement a été la présence d’une délégation de journalistes israéliens à Manama... Le monde est déjà passé à autre chose, au sommet du G20 par exemple et la conférence de Manama est tombée dans l’oubli.