Iran-USA : lorsque le sort se retourne contre le sorcier...
Par Soraya Hélou
Après les menaces claires et les rodomontades américaines contre l’Iran, voilà que le ton baisse d’un cran. En fait, depuis quelques jours, les responsables américains alternent le chaud et le froid à l’égard de l’Iran, donnant des signaux belliqueux pour ensuite affirmer que les Etats-Unis ne cherchent pas la guerre avec l’Iran. S’agit-il d’une tactique voulue, destinée à semer le trouble chez les Iraniens ou bien est-ce le signe d’un véritable cafouillage ? Les spécialistes sont divisés sur cette question. Mais ce qui est sûr c’est que la confusion générale a atteint désormais la «coalition internationale» contre «Daech» basée en Irak. Le porte-parole adjoint de cette «coalition», le général britannique Chris Gikha a ainsi affirmé que celle-ci n’a pas perçu une hausse de la menace constituée par Al hachd al Chaabi en Irak, qui nécessite de passer à un état d’alerte supérieure des forces armées de la «coalition». Il a été aussitôt démenti par un communiqué du porte-parole de la CentCom (Le commandement des forces américaines dans la région, rattaché au Pentagone) le commandant Bill Urban qui a déclaré que la menace contre les troupes américaines en particulier et contre la «coalition internationale» a augmenté ces derniers jours. Ce qui a poussé le Pentagone à envoyer le porte-avions USS Abraham Lincoln dans la région avec une force de bombardiers. Le général Chris Gikha n’a visiblement pas été convaincu par les affirmations américaines, puisqu’il a aussi ajouté dans un communiqué que la mission de la «coalition» n’est pas de combattre l’Iran mais de vaincre «Daech».
Ce qui montre bien qu’il existe de véritables divergences entre les membres de la «coalition internationale» et les Américains au sujet de l’attitude à adopter à l’égard de l’Iran. Même les déclarations politiques de la responsable de la politique étrangère de l’Union Européenne, Federica Mogherini montrent que les Européens ne veulent pas d’une guerre avec l’Iran, tout comme ils étaient opposés à la remise en question de l’accord sur le nucléaire iranien conclu entre la communauté internationale et Téhéran.
Mais si la position européenne est claire, celle des Etats-Unis l’est beaucoup moins.
Après les déclarations belliqueuses, les responsables américains se sont voulus plus rassurants, affirmant qu’ils préfèrent le dialogue avec l’Iran et que les Etats-Unis ne cherchent pas la guerre. Plus même, le président américain a envoyé un numéro de téléphone aux Iraniens par le biais de la Suisse, en faisant comprendre qu’il attend que les dirigeants iraniens l’appellent pour entamer un dialogue et des négociations utiles. C’est d’ailleurs la première fois qu’un tel procédé peu conforme aux usages diplomatiques entre les Etats est révélé dans les médias. Ce qui montre aussi que la politique adoptée par le président américain Donald Trump ne fait pas l’unanimité dans son pays et au sein de l’intelligentsia américaine.
C’est pourquoi, la question qui se pose aujourd’hui est la suivante : jusqu’où ira Trump dans sa campagne contre l’Iran ? Des spécialistes de la politique américaine affirment que le président américain mène les questions politiques avec l’esprit d’un homme d’affaires, prêt à bluffer et à jouer sur la corde raide, avant de se rétracter au dernier moment s’il sent que son adversaire ne craint pas ses menaces. Pour ces spécialistes, l’envoi du porte-avions Abraham Lincoln et toutes les déclarations belliqueuses du président américain n’étaient pas destinées à déclencher une guerre contre l’Iran, mais plutôt à faire peur aux dirigeants de la République islamique pour les pousser à reculer et montrer ainsi qu’il est le véritable maître du monde ayant réussi à renégocier avec l’Iran un nouvel accord plus avantageux pour les Etats-Unis.
D’autres spécialistes estiment aussi que c’est le procédé qu’a utilisé Donald Trump avec la Corée du Nord et qui a pourtant montré ses limites. Ce serait donc un peu «le style Trump», hausser le ton pour reculer au dernier moment car il n’est pas un chef militaire et encore moins un guerrier, mais un businessman.
Pour d’autres analystes, Trump aurait pu vouloir aller jusqu’au bout, mais les messages directs ou non iraniens des derniers jours l’ont poussé à réfléchir. Il y a eu ainsi les déclarations claires des dirigeants iraniens qui ont commencé après la décision de l’administration américaine de mettre les Gardiens de la Révolution qui sont une institution étatique iranienne sur la liste des organisations terroristes. Les dirigeants iraniens ont déclaré que désormais, la République islamique considère les troupes américaines dans la région comme une présence terroriste. Les déclarations se sont ensuite multipliées pour préciser que l’Iran ne se laissera pas faire et qu’elle ripostera là où cela fait mal. Mais en plus des paroles, il y a eu des actes, le premier a été l’attaque de pétroliers au large du port de Foujayrah aux Emirats donnant sur la mer d’Oman, puis l’attaque du pipeline d’Aramco près de Riyad, en principe réalisé par des drones envoyés par le mouvement Ansarallah du Yémen. Indépendamment du fait que la protection américaine si chèrement monnayée à Riyad n’a pas été efficace puisqu’elle n’a pas protégé les installations pétrolières saoudiennes autour de la capitale, cette attaque montre que le front qui devrait être le plus faible après plus de quatre ans d’une guerre barbare et violente est encore en mesure de faire mal. Que serait-ce alors si d’autres fronts devaient être ouverts ou réactivés ?
La situation paraît donc complexe et dangereuse. D’autant que, selon certains rapports diplomatiques secrets, les Israéliens qui, au début poussaient vers une confrontation entre l’administration américaine et l’Iran, prôneraient aujourd’hui une plus grande prudence après avoir reçu des informations sur la possibilité de l’ouverture de plusieurs fronts avec les Israéliens au cas d’une attaque américaine contre l’Iran. Certaines têtes brûlées américaines et israéliennes estiment qu’il s’agit d’un bluff de la part des Iraniens et de leurs alliés, mais la grande majorité des médias et des spécialistes de la région pensent qu’il faut prendre au sérieux ces menaces.
La balle est donc aujourd’hui dans le camp américain. C’est lui qui a créé cette situation en se retirant de l’accord sur le nucléaire et en multipliant les menaces contre l’Iran et ses alliés et c’est à lui de trouver une solution, sans perdre la face. Si c’est encore possible, car le sort est en train de se retourner contre le sorcier...