Pour plaire au maître américain, MBS lèche les bottes d’«Israël»
Une lecture attentive de la longue interview du prince héritier saoudien Muhammad Bin-Salman avec The Atlantic montre qu’il s’agit sans doute de la plus importante interview qu’il ait jamais donnée – non seulement en raison de la nouvelle approche qu’il a dévoilée, mais aussi du fait des mesures concrètes que le jeune prince pourrait prendre une fois rentré de sa tournée de trois semaines aux États-Unis.
Le prince ne s’adressait pas au peuple saoudien dans cet entretien, mais aux décideurs, aux législateurs et à l’État profond étasuniens. Il voulait prouver que sa façon de voir les choses, et les projets qu’il a, faisaient de lui un allié fiable et digne de confiance, afin d’obtenir le «feu vert» des États-Unis à son accession au trône saoudien – ce qu’il espère voir advenir dans les jours ou les semaines qui suivront son retour.
Bin-Salman a choisi ses mots avec beaucoup de soin. Il savait ce qu’il voulait dire, ce qu’il devait éviter de dire, et à qui il voulait le dire. Il a cherché à gagner la confiance de l’allié suprême en exposant ses projets politiques, sociaux et économiques, et il semble avoir atteint son objectif, en tous cas pour ce qui est de la Maison-Blanche du président Donald Trump et du «cabinet de guerre» qu’il est en train de mettre en place.
On peut tirer plusieurs conclusions en analysant les questions et les réponses de cette interview soigneusement rédigée, ainsi que l’introduction de l’intervieweur Jeffrey Goldberg, et aussi en lisant entre les lignes.
Bin-Salman a reconnu, pour la première fois dans l’histoire du conflit arabo-israélien, que les Juifs ont le droit d’établir un État dans «une partie de leur patrie ancestrale». Dennis Ross, l’ancien lobbyiste israélien qui s’est occupé des négociations arabo-israéliennes sous les administrations américaines successives, s’est réjoui de cette reconnaissance sans précédent. Auparavant, a-t-il noté, les gouvernements arabes «modérés» avaient reconnu l’existence d’«Israël» comme un fait accompli, mais aucun d’entre eux n’était allé jusqu’à franchir cette ligne rouge.
Tout au long de l’interview, comme l’a rapporté Goldberg, Bin-Salman «n’a jamais rien dit de négatif» au sujet d’«Israël», et n’a fait aucune mention de l’annexion de Jérusalem occupée comme capitale d’«Israël» – au contraire, il a loué «Israël» et ses réalisations économiques. Il n’a pas non plus fait référence à un État palestinien avec al-Qods (Jérusalem) comme capitale. Il s’est contenté d’exprimer sa conviction que «les Palestiniens et les Israéliens ont le droit à leur propre terre».
Il a divisé le Moyen-Orient en deux camps (exactement comme le faisait l’ancien chef d’Al-Qaïda, Oussama Bin-Laden, bien qu’en utilisant une terminologie différente). Tout d’abord, il y a le «triangle du mal» comprenant l’Iran et le Hezbollah, les Frères musulmans et divers groupes terroristes ; opposé à un camp modéré comprenant la Jordanie, l’Égypte, les Émirats arabes unis, Bahreïn, Oman, le Koweït et le Yémen aux côtés de l’Arabie saoudite. Il est frappant de constater qu’il n’a pas inclus le Maroc ou d’autres pays d’Afrique du Nord dans cette liste.
Le prince héritier saoudien a reconnu que son pays avait autrefois utilisé les Frères musulmans pour lutter contre le communisme qui, selon lui, avait menacé les États-Unis, l’Europe et l’Arabie saoudite elle-même pendant la guerre froide. Dans ce contexte, il a qualifié le régime de l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser de «communiste».
Il a nié catégoriquement l’existence du wahhabisme en Arabie Saoudite, et a insisté sur le fait qu’il n’existait pas d’autre école que les quatre grandes écoles de théologie sunnite classique et qu’il n’y avait pas de discrimination entre sunnites et chiites dans le royaume.
Il a nié que l’Arabie saoudite ait jamais financé des groupes terroristes ou extrémistes, mais a tout de même admis que des Saoudiens – qu’il n’a pas nommés – aient pu en soutenir.
Il a catégoriquement refusé de répondre à des questions sur sa prétendue campagne anti-corruption. Goldberg a admis qu’il ne l’avait même pas interrogé là-dessus, car lorsqu’on l’avait interrogé sur l’achat d’un yacht de 500 millions de dollars et d’autres achats lors d’une entrevue antérieure avec CBS, il avait répondu avec colère qu’il s’agissait d’affaires privées.
Enfin, Bin-Salman a lancé une attaque particulièrement féroce contre le dirigeant iranien Ali Khamenei, pire qu’Hitler, selon lui, parce qu’Hitler n’avait voulu conquérir que l’Europe alors que Khamenei veut conquérir le monde entier. Il faut donc le stopper au lieu d’essayer de l’amadouer comme les Européens ont fait avec Hitler avant qu’ils ne réalisent à quel point il était dangereux.
On peut conclure de tout cela, que le prince héritier saoudien planifie une future alliance avec «Israël» dans le cadre d’un axe arabe «modéré» qui s’opposerait à l’Iran avec le soutien des États-Unis, il se propose de faire d’«Israël» un partenaire économique et de renforcer ses liens avec cet état en fonction de leurs intérêts mutuels. Il a semblé faire dépendre ce rapprochement d’un règlement de paix régional juste. Mais il n’a fait aucune mention du plan de paix arabe, ni de ses dispositions, alors même qu’il a été rédigé à l’origine par l’Arabie saoudite elle-même.
Reconnaître un droit juif «ancestral» à la Palestine est un développement très sérieux. Le roi Salman s’est empressé de «corriger» l’impression donnée par son fils en appelant Trump pour réaffirmer l’engagement de l’Arabie saoudite en faveur d’un État palestinien avec Jérusalem comme capitale. Mais les dégâts étaient faits…. et le vrai dirigeant de Riyad est le prince Mohammed.
Il avance dans un champ de mines. Cela vaut peut-être la peine de lui rappeler que tous les dirigeants arabes qui ont misé sur «Israël» dans le passé ont fini par le regretter. Il est encore temps d’y réfléchir à deux fois.
Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération.
3 avril 2018 – Raï-al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine