Ankara, à Téhéran et Moscou : message reçu… Erdogan osera-t-il conquérir Al-Bab?
Par Hassan Oleik*
Pourquoi le président turc Recep Tayyip Erdogan a envoyé des messagers à Téhéran ? Qu’est-ce qu’il l'a incité à appeler le président russe Vladimir Poutine deux fois en deux jours ? La réponse est simple : la Ville Al-Bab.
Alors que les États-Unis sont préoccupés par le transfert du pouvoir de l’administration de Barack Obama à celle de Donald Trump. Les puissances régionales et internationales tentent de s’impliquer directement dans la guerre syrienne afin d'imposer de nouvelles données du fait accompli sur le terrain, auxquelles fera face la prochaine administration américaine. La Russie avait déjà retardé l’incursion de l'armée syrienne vers la ville Al-Bab (à l'est d'Alep), en attendant l’évolution des conditions internationales. Ces conditions sont devenues favorables après les élections présidentielles américaines.
Un mois auparavant, Moscou et ses alliés, Damas et Téhéran, réunissaient les cartes nécessaires pour reprendre le contrôle des quartiers Est de la ville d'Alep. La Russie a pu fournir une protection contre toute éventuelle intervention militaire de l’OTAN. Les avions Humaimim, et ceux stationnés à bord du porte-avion de la Méditerranée, représentent une carte forte dans la main de l’armée syrienne aidée par les Russes. Il est vrai qu’ils n’ont toujours pas intervenu dans les batailles, mais leur présence représente une force dissuasive pour les Etats anti-Damas. Leur utilisation est possible en cas de besoin, ce qui permettra sans doute un grand soutien pour les troupes terrestres, qui repoussent les terroristes des quartiers ouest d'Alep, et effectuent de grands progrès dans les quartiers Est.
Outre la Russie, l'Iran voudrait établir une «clôture» afin d’isoler le nord de la Syrie de l'influence turque. L’Iran a sa présence sur le terrain, en termes de soldats et de conseillers, et fait partie du parapluie militaire, empêchant toute intervention directe contre l'armée syrienne.
Damas a déclaré clairement son objectif principal : purifier les territoires syriens des groupes terroristes.
D'autre part, la Turquie tente d'imposer un fait accompli sur le terrain -afin d’avoir entre les mains des cartes fortes lors des prochaines négociations politiques- empêcher l'établissement d'une zone frontalière kurde. Ankara veut également garantir la protection des groupes terroristes, qu’elle a formés et soutenus durant toute la crise en leur fournissant l’aide et l’appui provenant des États-Unis et des pays du golfe persique. Ces objectifs se combinent dans la prise de la ville Al-Bab. Ankara n’avait pas besoin de demander la permission pour envoyer ses terroristes syriens, soutenus par ses propres forces spéciales, vers la campagne Nord d'Alep (24 Août), sous le prétexte de combattre «Daech», et pour empêcher les Kurdes d'établir leur état.
Cette étape a été coordonnée avec les Russes, et les Iraniens, pour éviter tout accrochage. Ankara a déclaré ouvertement que l'intervention ne serait pas dirigée contre l'armée syrienne. Ses troupes se sont arrêtées à la frontière de la ville Al-Bab. La Turquie avait tenté de modifier les lignes de démarcation syriennes, en envoyant les forces de l'opposition pour envahir la ville d'Alep. Quand les attaques ont échoué, l’envoyé de l'ONU Steffan di Mistura, a proposé un projet visant à établir une administration locale dans les quartiers Est au nord de la ville d’Alep, pour essayer de consacrer la division de la Syrie par: une administration locale à Alep, un état kurde dans l'est, et dans l'avenir imposer une administration locale à Idlib, et un pouvoir direct turc relié aux bataillons armés. La Syrie a refusé cette proposition, et a commencé à l’aide de ses alliés à libérer les quartiers Est de la ville d’Alep, visant à donner un coup supplémentaire au projet de fragmentation de di Mistura. Ankara n’a pas attendu le résultat des opérations syriennes et s’est précipitée vers la ville Al-Bab.
Mais la réponse syrienne à cette tentative turque était directe, un raid aérien syrien sur les troupes turques a causé la mort de trois soldats turcs. Ankara a reçu le message, notamment avec le progrès des «unités de protection arabo-kurde» soutenu par l'armée syrienne vers Al-Bab. Le raid bénéficiait d'une couverture iranienne et russe. Pour cette raison, Ankara a réagi. Erdogan a appelé Poutine deux fois de suite vendredi et samedi, et a envoyé le ministre turc des Affaires étrangères Mouloud Jawish Ihsanoglu, et le chef des renseignements Hakan Fidan, à Téhéran. Le gouvernement turc voulait connaître les vraies intentions du raid syrien. Le manque de contrôle sur la ville syrienne Al-Bab signifie pour la Turquie que son projet d’intervention n’a plus aucun effet sur le déroulement des batailles de l'armée syrienne, ce qui forcera Ankara à respecter les lignes rouges qui lui ont été tracées. De plus l'acceptation des résultats du raid est conçue comme une soumission à Damas et ses alliés qui voudraient contrôler le déplacement des troupes militaires turques et leurs mercenaires syriens. C’est dans cette vision que la délégation turque s’est rendue à Téhéran.
La présence de Hakan Fidan a deux objectifs: il est le délégué turc dans les pourparlers irano-turcs qui ne se sont jamais arrêtés, en particulier avec le commandant de la brigade Al-Qods Qassem Soleimani. Il est aussi, le coordonnateur des opérations et des programmes de l'opposition syrienne, dans le Nord depuis 2011, ainsi que son importance primordiale pour le pouvoir d’Erdogan ce qui implique sa grande connaissance des dossiers qui préoccupent la Turquie dans la région. La délégation a voulu justifier l'importance du contrôle turc sur la ville Al-Bab, et son « impact positif» sur la sécurité commune turco-iranienne.
Les réponses iraniennes et russes étaient claires, exprimées par le Président iranien Hassan Rohani. Après que Téhéran, au cours des dernières années, a utilisé ses relations avec Ankara pour empêcher l'intervention directe contre l'armée syrienne. Rouhani (le visage modéré du pouvoir iranien) a modifié les priorités, en affirmant que la stabilité en Syrie et en Irak est la base de toute coopération entre Téhéran et Ankara. La Turquie est maintenant face des options à risques élevés. Il faudra qu’elle réagisse face au coup douloureux qu’ont reçu les factions de l’opposition à l'intérieur d'Alep, vu les dommages que cela représente au plan divisionniste.
Alors que le choix de ne pas répondre au raid aérien voudrait dire l’échec de son projet. L’offensive turque contre la ville Al-Bab signifie un risque de confrontation majeure, et ne sera pas limité par une confrontation entre les armées syrienne et turque. A cela se tient de nombreux obstacles, notamment que toute intervention turque doit prendre en considération les comptes de l’OTAN. Le joueur principal de l’Otan qui est Washington, est préoccupé par le transfert du pouvoir présidentiel d’une administration à une autre n’adoptant pas la même vision. De même la Turquie n’est pas prête, logiquement, à mettre en danger ses relations russes et iraniennes, en particulier avec la détérioration de l'économie turque, et la nécessité de laisser toutes les voies économiques bien ouvertes.
A la lumière de tout ce qui précède, M. Erdogan a lui-même informé les iraniens qu’un second coup d’état se préparait contre lui. Et qu’il se préparait pour y faire face notant que la poursuite des procédures de purification auront de nombreux conséquences, mais ces procédures sont primordiales pour son pouvoir, tout comme l'invasion du territoire syrien pour empêcher la création d'une entité kurde. Malgré tout cela l’éventualité d’une offensive turque contre la ville Al-Bab reste encore probable et cela mettra la région tout entière devant une confrontation majeure. Erdogan osera-t-il le faire ?
Article paru dans le quotidien Al-Akhbar, traduit par l’équipe du site