Un nouveau livre français : Hamad ou bien Assad
Le nouveau livre français publié récemment à Paris, intitulé «Qatar et les secrets du coffre-fort» pose une problématique significative : «Hamad contre Assad, un des deux devrait partir».
Les deux auteurs français du livre, Georges Malbrunot et Christian Chesnot révèlent des données désormais évoquées dans les coulisses diplomatiques occidentales et arabes, selon lesquelles «l’émir du Qatar est obsédé par la Syrie. Il considère que la bataille y revêt un aspect personnel. Il est conscient que, si Assad échappe, cheikh Hamad en payera le prix. Pour ce, il exploite tout son potentiel en vue de le faire chuter».
Les deux auteurs citaient un des cousins de l’émir du Qatar. Ils rapportent de même les propos d’un diplomate européen résidant à Doha : «Si la crise syrienne dure longtemps, l’équilibre interne du Qatar pourrait se déstabiliser, en raison du conflit en cours entre le Premier ministre (cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr al-Thani) qui conçoit la stratégie qatarie en Syrie, et le prince héritier (Tamim), qui œuvre d’une manière différente envers le dossier syrien».
Un autre diplomate français a affirmé aux deux journalistes que «les autorités du Qatar n’élaborent pas des plans à long terme, en ce qui concerne la Syrie, ce qui constitue un point faible».
Le livre français publié chez Michel Laffont, fournit des témoignages et des informations à ceux qui désirent comprendre la structure interne du Qatar, mais aussi les mécanismes de la stratégie qatarie, ses moyens et ses objectifs à l’égard de dossiers arabes chauds, en l’occurrence, ceux de la Lybie et de la Syrie.
La Syrie : Le soutien des rebelles
Les deux auteurs racontent que depuis l’été de 2012, le Qatar a décidé d’armer l’opposition syrienne. «Pour cette fin, des unités des forces spéciales qataries se sont déployées aux frontières turques et jordaniennes avec la Syrie. Mais leurs tentatives récurrentes pour franchir les frontières ont échoué. Cependant, la situation a changé à partir de septembre dernier. Des responsables de l’ONU en Syrie ont révélé que des forces spéciales qataries ont pénétré le territoire syrien. Un fait confirmé plus tard par un membre de la famille qatarie au pouvoir».
Conformément à des informations diplomatiques françaises, les deux auteurs affirment que depuis l’été dernier «les qataris ont participé à la cellule de guerre mise en place à Adana en Turquie, par un appui saoudien, ce qui a permis aux turcs de superviser l’afflux des armes légères, notamment des Kalachnikov et de certains lanceurs antichars. Les groupes armés ont acheté ces armes du marché noir, grâce à l’argent des émissaires saoudiens, libanais et qataris».
Des divergences saoudo-qataries
Les deux journalistes français experts dans les affaires arabes indiquent que depuis août 2012, un différend a émergé entre les qataris et le saoudiens. Les Frères Musulmans appuyés par le Qatar et la Turquie, ont voulu superviser les réseaux de l’acheminement des armes aux rebelles, en vue de consolider leur pouvoir sur le terrain. Ce fait a soulevé l’ire des Saoudiens, ce qui a provoqué un clivage entre les combattants. Les Frères musulmans soutenus par le Qatar combattaient d’une part et les salafistes soutenus par l’Arabie, de l’autre.
Les deux journalistes expliquent comment les Qataris ont appliqué en Syrie, ce qu’ils ont bien expérimenté en Lybie. «Si le commandant d’une faction armée refusait leurs ordres, l’émissaire qatari communiquait avec son adjoint et le soudoyait avec une grosse somme d’argent. L’insurgé acceptait souvent de faire défection et de former son propre groupuscule. Cette tactique a abouti à la fragmentation des rebelles».
Malbrunot et Chesnot dévoilent des tentatives du Qatar pour obtenir les armes de leurs partenaires occidentaux.
Ils rapportent que durant la rencontre entre le président français, François Hollande et le Premier ministre Qatari, en automne dernier, le président a confirmé à son hôte la poursuite des opérations secrètes communes, menées par les forces des deux pays en vue de soutenir l’opposition syrienne.
Le différend Brahimi-Qatar
La tournure des faits rapportée par les deux auteurs français, citant l’ambassadeur de l’Irak auprès de la Ligue arabe, Dr.Keiss Ezzaoui, braque l’éclairage sur la manière selon laquelle l’institution panarabe est dirigée ces jours-ci par le Qatar.
Selon les propos de Ezzaoui : «Lorsque la décision de suspendre l’adhésion de la Syrie à la Ligue arabe fut prise, l’Irak, l’Algérie et le Liban ont émis des réserves. J’avais personnellement incité d’autres pays à contester la décision. J’ai contacté les ambassadeurs du Yémen, d’Egypte, du Soudan et de Tunisie. Ils m’ont tous affirmé leur refus à la décision, mais lors du vote, je fus surpris par leur approbation de la résolution contre la Syrie».
Il ajoute : «Vous savez que les qataris aident la Tunisie, l’Egypte et le Soudan. Nous pouvons évoquer dans ce contexte un genre de chantage qatari contre ces pays, pour obtenir leur approbation. Mais la protestation s’accroit à l’heure actuelle contre le Qatar dans les rangs des diplomates arabes. Ils accusent les responsables qataris d’arrogance».
Les deux auteurs français indiquent que l’émissaire international et arabe en Syrie, Lakhdar Brahimi, a constaté cette «arrogance», le 13 septembre 2012, durant son passage au Caire en route pour Damas où il devait rencontrer le président Bachar Assad.
«A son arrivée en Egypte, il fut convoqué par le Premier ministre qatari à son suite de l’hôtel Four Seasons. Mais Brahimi s’était empressé de répondre : s’il veut me rencontrer, il doit venir à mon hôtel. C’est ce qui a eu lieu plus tard, lorsque cheikh Hamad s’est entretenu avec le diplomate algérien, en présence du secrétaire général de la Ligue arabe».
Durant la rencontre, l’émissaire international a refusé les demandes du premier ministre qatari, qui lui a fixé plusieurs semaines pour assumer sa mission «sinon, les pays européens imposeront une zone d’exclusion de vol au-dessus de la Syrie».
Brahimi a répondu : «Je ne travaille pas de cette manière. Je suis l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU et je refuse que ma mission soit dictée par quiconque».
Les deux auteurs révèlent comment le représentant de l’Algérie, avait une fois insulté le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, le diplomate algérien Ahmad Ben Helli, le qualifiant de «lâche», pour s’être soumis à la diplomatie qatarie.
Le livre comprend, en outre, d’importantes informations sur la contribution du Qatar à la chute de Mouammar Kadhafi. On fait état d’armes, de financement, de convois militaires passant par le Soudan et de colère française après avoir découvert qu’une partie de ces armes ne passait pas via le Conseil transitoire libyen, mais était plutôt acheminée aux «extrémistes islamistes ». Une colère qui a poussé l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, à ne pas inviter l’émir du Qatar pour l’accompagner, et le Premier ministre britannique, David Cameroun, à Benghazi, pour célébrer la nouvelle Lybie.
Les deux journalistes expliquent les moyens adoptés par la politique Qatarie, dont l’argent, le pétrole, les relations diplomatiques, l’achat des clubs sportifs, mais réduisent toutefois le pouvoir des fonds qataris sur la France. Ils précisent dans ce contexte, que tous les investissements qataris en France, n’ont pas encore atteint le niveau de ceux des Emirats Arabes Unis.
Il convient de noter que Georges Malbrunot et Christian Chesnot avaient longtemps travaillé dans le monde arabe et ont été enlevés en Irak.
Si Chesnot maitrise la langue arabe grâce à son épouse libanaise, Malbrunot est devenu une importante source d’informations, concernant notamment la Syrie, qu’il avait visitée à plusieurs reprises durant sa crise. Il fut un des premiers à divulguer le rôle des combattants étrangers, et l’entrainement occidental des groupes des rebelles.
«Qatar et les secrets du coffre-fort» est sans doute un document important pour connaitre la structure politique interne du Qatar et les détails des évènements des deux dernières années, où «cet émirat s’est transformé d’un Etat ami de tous à un pays en état de guerre», ou en «un nain avec un appétit d’ogre».
Source : Assafir, traduit par : moqawama.org