La visite de Raï à Damas, politique par excellence
Le président syrien, Bachar Assad, s’est personnellement intéressé à la visite du patriarche maronite, le cardinal Béchara Boutros Raï, en Syrie. Il a tenu à ce que les mesures de sécurité, prises à partir du siège du patriarcat maronite et jusqu’à l’arrivée du prélat à Damas, soient minutieusement examinées.
Des contacts ont eu lieu entre des responsables sécuritaires syriens et libanais, pour surveiller le trajet et prévenir tout incident qui pourrait affecter la visite. D’ailleurs, le directeur de la Sûreté Générale, le général Abbas Ibrahim, était au courant de ce fait.
Assad et Raï entretiennent de bonnes relations, presque conviviales. Les deux hommes partagent actuellement deux soucis. Le premier souci concerne l’extension de l’extrémisme dans la région. Le second est relatif à la situation des Chrétiens en Syrie. S’ajoutent à ce fait des messages échangés récemment entre Assad et le Vatican, autour des moyens de protéger les Chrétiens. Le général Michel Aoun, le député Sleiman Franjieh et l’ancien vice-président du Parlement, Elie Ferzli, connaissent les teneurs de ces messages.
Les préparatifs de la visite du patriarche étaient complètement confidentiels. Les milieux ecclésiastiques syriens font état de l’échange des messages. En bref, le président syrien était favorable à la visite du prélat. Si ce dernier avait demandé de rencontrer le président, il aurait été le bienvenu. Sinon, Damas comprendrait le revers pastoral de la visite et l’embarras que pourrait provoquer un tel entretien. Tout ce qui précède est important, mais le plus important, demeure la visite en soi.
Raï était amical durant les contacts précédant la visite. Il a exprimé son appui à la conduite des autorités syriennes, visant à «cesser l’extension des extrémistes d’Al-Qaida». Il a apprécié l’attachement officiel syrien à protéger les Chrétiens, ainsi que la position du président Assad dans ce contexte.
Les autorités syriennes n’ont pas hésité, dans les deux dernières années, à répondre aux demandes de l’église. Elles ont facilité les mouvements des religieux et de la paroisse. Elles ne se sont guère attardées à libérer tout détenu, arrêté par erreur ou pour des raisons insignifiantes.
Raï a contribué à l’envoi de messages clairs à l’Occident. Il a évoqué durant ses entretiens avec des responsables étrangers, la grande erreur consistant à renforcer la présence des mouvements extrémistes, aux dépens des Chrétiens de l’Orient. Il a indiqué, à plusieurs reprises, qu’un régime laïc ouvert aux chrétiens et aux autres communautés en Syrie, serait meilleur que tout autre régime totalitaire. Il a cité plusieurs exemples concernant la conjoncture dans certains pays arabes. Il a critiqué les allégations de certains sur les démocraties, au moment où ces derniers ne croient pas à la démocratie. Il a fustigé toute intervention étrangère pour imposer un fait accompli. Il s’est prononcé, à plusieurs reprises, en faveur du maintien de la diversité entre Chrétiens et Musulmans, dans la région.
Lorsque le Vatican avait encouragé, depuis deux ans, à l’élection de Raï à la tête du patriarcat maronite, il voulait qu’il suive cette même voie. Les autorités ecclésiastiques de Rome étaient marquées par les positions du prélat. Le président syrien avait donné le feu vert à l’ambassadeur syrien au Liban, pour poursuivre la communication étroite avec le cardinal Raï et répondre à ses demandes. Pour sa part, le patriarche a envoyé des missives amicales de remerciement.
Avec l’arrivée de Raï à Damas, les autorités syriennes avaient préparé l’accueil chaleureux. Des entretiens déclarés et d’autres confidentiels, ont eu lieu. Plusieurs personnalités ont assisté à la cérémonie d’intronisation parrainée par le cardinal, dont notamment le ministre syrien des Awkafs (legs islamiques : ndlr) Mohammad Abdul Sattar. Ce fait pourrait de même avoir influencé la relation tendue entre le président libanais, Michel Sleiman et son homologue syrien. Sleiman a informé certains de ses visiteurs que le contact avec Assad est désormais probable, plus que jamais.
Raï jouit donc de l’estime du commandement syrien, contrairement à son prédécesseur, le cardinal Nasrallah Boutros Sfeir, qui avait refusé, maintes fois, de visiter Damas. L’appréciation à Raï le distingue même du président Sleiman ou du Premier ministre Najib Mikati.
Le prélat a répondu à la convivialité de ses hôtes, par des propos politiques de grande importance. En effet, le cardinal est parvenu à rendre public sa position, d’une manière brève et claire. L’homme expert en politique a explicitement dit : «les soi-disant réformes et démocraties, n’égalisent pas une goutte de sang, d’un homme innocent». Il a précisé qu’il se solidarisait avec le peuple syrien. Lorsque le nouveau patriarche grec-orthodoxe, Yohanna X Yaziji, a remercié dans son discours le président Assad et Raï, le public de la cérémonie ont longtemps applaudi.
Quand le président Assad a été consulté sur la personne qu’il préfère au poste du nouveau patriarche orthodoxe, il a répondu : «Nous ne voulons pas intervenir dans cette affaire ecclésiastique. Tout ce qui nous importe, c’est que le patriarche soit d’origine syrienne».
La visite du patriarche maronite en Syrie est un évènement politique par excellence. Raï, tout comme Damas, réalisent ce fait. En effet les deux parties ont voulu que cette démarche politico-religieuse constitue un message clair, dans une période délicate de rapprochement américano-russe, où des voix de l’opposition syrienne demandent le dialogue avec le régime.
N’est-il pas naïf de dire que la visite de Raï revêt uniquement un aspect pastoral?
Source : Assafir, traduit et édité par : moqawama.org