La France change de discours : de la chute imminente du régime syrien à la crise syrienne durable
Le ton élevé adopté par la France à l’égard du dossier syrien, a complètement changé.
Les propos du ministre Français des Affaires Etrangères, Laurent Fabius, illustrent ce fait. «La situation en Syrie est loin d’être réglée». Le chef de la diplomatie française a admis que d'autres crises avaient rejeté la Syrie au second plan - allusion notamment à l'intervention militaire française au Mali.
La déclaration faite par Fabius, une des personnalités enthousiastes au renversement du régime de Bachar Assad, reflète un changement radical de la politique française dans l’approche de la crise syrienne, explosée depuis 23 moins. La diplomatie française avait prévu, durant des mois, «la chute prochaine» d’Assad !
Depuis le mandat du ministre de la droite sous Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, et puis avec son successeur de la gauche, Laurent Fabius, la diplomatie française s’est fondée dans sa lecture de la situation syrienne, sur des informations inexactes. En dépit du long mandat français en Syrie, la France n’a guère compris la structure géopolitique de ce pays.
Des sources françaises bien informées, exposent les détails des modifications survenues sur la politique française à l’égard de la Syrie. Cette politique qui confirmait la chute prochaine du régime, admet actuellement être en face «d’une crise de longue durée».
La source précitée déplore l’approche «superficielle» de la France à l’égard de la crise syrienne, dans la mesure où Alain Juppé avait dit, sans aucune hésitation : «Nous expliquerons à la Russie, quels sont ses intérêts dans la région».
La source française commente cette déclaration en disant : «Comme si la Russie- l’une des grandes puissances-attendait que la France lui détermine ses intérêts et ses points forts».
Selon cette même source, la première évaluation erronée, concernait la relation entre la Syrie et la Russie.
Il semble que le comportement français hâtif, était une compensation inopportune à l’appui tardif de la révolution de la Tunisie et au soutien absolu de Paris au régime du président tunisien Ben Ali. La diplomatie française était dans l’embarras, en raison de sa mauvaise évaluation de la situation en Tunisie, ce qui l’a poussée à appuyer les révolutions en Egypte, en Lybie et en Syrie.
Cet empressement français dans le soutien des révolutions arabes, a empêché la diplomatie française de percevoir les deux étapes de la révolution syrienne.
La première, celle des manifestations pacifiques et la seconde, celle du conflit armé.
Notre locuteur français, résident à Beyrouth, explique les points communs entre les deux étapes, à partir de ses entretiens avec de hauts officiers syriens à Damas.
Ces officiers indiquent que «le régime est devenu plus fort avec le début du conflit armé. Durant l’étape des manifestations pacifiques, les soldats hésitaient à utiliser les armes en face des manifestants, ce qui a poussé les services de renseignement à diriger les opérations. En effet, l’armée syrienne a été entraînée selon la doctrine de la protection de la patrie et non pour tirer contre le public. Aujourd’hui, l’armée s’est libérée de ce complexe, puisque ses tirs visent des combattants extrémistes et étrangers. Elle est déterminée dans sa lutte et nulle défection n’a eu lieu en son sein, après avoir mené une guerre ordinaire».
Selon cette même personne interviewée, Paris n’a pas réalisé la complexité de la situation syrienne. Elle a observé de loin, sans scruter la formation géographique, communautaire et démographique de la Syrie, tout en sous-estimant la position russe, misant longtemps sur le changement de cette dernière.
Mais la Russie n’a guère modifié sa position favorable au régime, pour plusieurs raisons, énumérées par notre source. «Les intérêts russes en Syrie sont stratégiques, ce pays étant son seul allié dans la région. A cela s’ajoutent, l’importance du port de Tartous et la concurrence russo-qatarie sur le passage des gazoducs qataris via la Syrie et ensuite vers l’Europe. La Syrie avait refusé une demande qatarie, d’installer ces gazoducs et de les superviser, donnant la priorité à la Russie, principal fournisseur de gaz à l’Europe. Pour Moscou, les gisements gaziers en Méditerranée, notamment sur la côte syrienne, sont cruciaux, car ils lui permettent de maintenir son statut avancé, en tant que fournisseur essentiel de gaz à l’Europe. De ce fait, la Russie ne renoncera guère au régime d’Assad».
De la sorte, la nouvelle vision française s’est éclaircie avec la déclaration de Laurent Fabius. «La France commence à considérer la scène syrienne dans tous ses détails et ses composantes».
La France constate désormais que «le régime syrien tient bon, en raison de la situation stable de l’armée. D’après cette logique, c’est la chute de l’armée qui aboutirait à celle du régime. Mais la consistance de l’armée s’est renforcée avec la fin de l’étape des manifestations pacifiques et le début du conflit armé».
La guerre française contre les extrémistes au Mali, a consolidé la nouvelle vision française à l’égard de la situation en Syrie. L’ironie du sort a voulu que la France ait recours aux mêmes termes, utilisés par le régime Assad depuis le début de la révolution, pour désigner les terroristes. «Après avoir qualifié les combattants de Mali de «Islamistes et de Touaregs », la France les qualifient de «terroristes», sans hésitation aucune».
Les analystes français s’interrogent en ce moment, sur la différence entre les extrémistes du Mali, et «le front Al-Nosra» en Syrie et ses alliés de djihadistes. Pourquoi les djihadistes de Mali seraient-ils des terroristes au moment où ceux de la Syrie ne le sont pas ! Et par la suite, il serait difficile de différencier entre des djihadistes bons et d’autres mauvais. Cette logique a été adoptée par les Français en raison de leur guerre au Mali. Ils ont réalisé que la distribution des armes de Kadhafi sur ces groupes extrémistes, pourrait se reproduire en cas de chute du régime syrien. «C’est ce qui a influencé la vision de la France à l’égard du conflit en cours en Syrie».
Paris a renoncé donc à son approche superficielle du dossier syrien. Mais l’annonce de Fabius ne signifie pas, selon la source française, que la France ne réclame plus le départ du président syrien Bachar Assad. «Mais ses conditions seront différentes».
S’ajoute à ce qui précède, que la France n’est plus en mesure d’ignorer le rôle primordial de la Russie. «La France sera contrainte de chercher, tout comme la Russie, une solution acceptable en Syrie. Elle sera contrainte, comme le serait l’occident notamment les Etats-Unis, à convenir des solutions sous le plafond de Moscou, laquelle écarte toute condition préalable, et précisément celle du départ d’Assad».
Par ailleurs, la vision française à l’égard de l’opposition syrienne, est désormais explicite. «Après avoir misé sur l’unification des rangs des forces opposantes, il est apparu que ces dernières n’ont aucun pouvoir sur le terrain. Elles ne figurent guère dans l’agenda du front extrémiste Al-Nosra ou des groupuscules similaires, liés à l’organisation Al-Qaida».
Les milieux politiques français cherchent actuellement de nouveaux choix concernant la Syrie, à la lumière de la conviction selon laquelle la chute du régime syrien ne sera pas dans l’avenir proche. Les hauts responsables français tenteraient alors de chercher des moyens pour amorcer des négociations entre l’opposition et le régime, tout en prenant en compte les intérêts et les constantes russes, dont, le respect des dates. Cela signifie selon la source française «que les Russes s’attacheront au maintien du président Assad au pouvoir, jusqu’à 2014. Par conséquent, la France et ses alliés occidentaux doivent trouver une solution durant ce délai précis».
La même source française signale qu’à l’issue de la guerre de Mali, l’opinion publique française s’est désintéressée du dossier syrien, en raison du combat mené par les soldats français en Afrique. Même la communauté internationale, ne place plus la crise syrienne au premier plan, comme ce fut le cas de la guerre civile libanaise qui a duré plusieurs années.
Concernant la situation libanaise, l’analyste français estime que la chute du régime syrien provoquera des tensions au Liban, puisque les deux pays sont limitrophes. Une telle chute contaminera donc le Liban, en dépit des efforts de la diplomatie française de le protéger.
«Nous estimons que la situation se compliquera davantage, en raison de l’ouverture des frontières libanaises et de l’attitude des djihadistes ayant clairement déclaré, qu’après la Syrie, viendra le rôle du Liban. Nous ne croyons pas, qu’en ce moment, la France dépêchera ses tanks et ses avions de chasse pour le protéger, comme elle l’a fait au Mali», a conclu notre invité français.
Source : Assafir, traduit par : moqawama.org