Du sang kurde à Paris : Trois activistes payent le prix fort de la paix
Les Kurdes se sont réveillés dernièrement sur un évènement atroce. Trois activistes du PKK ont été retrouvées tuées, dans le siège du «Centre de l’information du Kurdistan», à Paris. Un meurtre que les observateurs ont été unanimes sur sa nature politique, sans toutefois être d’accord sur la partie responsable du crime.
Les trois activistes tuées sont : Sakina Canzig, une des fondatrices du PKK, Fidan Dogan, représentante du «congrès national du Kurdistan» à Paris, et la journaliste militante Leila Soylemez.
L’enquête préliminaire est démarrée. Mais les informations rapportées par les médias français et kurdes, font état de tueurs professionnels, qui se sont infiltrés dans le centre kurde, située dans le Xe arrondissement parisien. Les acteurs du crime ont ouvert le feu sur les trois activistes kurdes avant de fermer les portes du centre kurde et de quitter calmement les lieux.
Rien dans l’immeuble portant le nombre 147, rue la Fayette, ne montre qu’il renferme un bureau du PKK. Malgré ce fait, des sources affirment que cet immeuble est fermement surveillé par les services de sécurité français, et par les renseignements turcs.
Selon des sources sécuritaires françaises, le bureau d’information kurde est réservé au PKK en France, et a été utilisé dans les années 90 comme un lieu de réunions secrètes pour les cadres du parti.
Dans ce bureau calme, les trois activistes se sont rencontrées dans l’après-midi du mercredi dernier. Elles ont entamé leurs activités normales. En début de soirée, un des membres de la communauté kurde a tenté de les rejoindre par téléphone. Mais aucune d’elles n’a répondu à l’appel. Il s’est alors dirigé vers le centre, pour le trouver fermé. D’autres membres de la communauté kurde se sont rendus au bureau dans la soirée du même jour, où ils ont trouvé des taches de sang devant sa porte, n’ayant guère été ouverte par la force. Ils ont contacté la police, qui est arrivé sur les lieux vers 2h00 après minuit, pour trouver les corps des trois femmes.
Selon les experts, les trois femmes ont été atteintes par des balles à la tête, et l’une d’entre elles à la poitrine. Des douilles ont été retrouvées à proximité des trois corps, ainsi qu’une valise, dont le propriétaire demeure inconnu.
Le responsable médiatique du parti «Union démocratique Kurde», Nawwaf Khalil, a indiqué au quotidien libanais Assafir que le crime était une catastrophe dans tout le sens du terme. Il a précisé que Sakina «n’était guère une personne ordinaire, mais une icône pour les activistes kurdes».
Selon M. Khalil, le danger du crime réside dans son timing, à la suite de la publication d’informations, concernant un accord entre le chef des services de renseignements turcs, Hakan Fidan, et le chef du PKK, Abdallah Ocalan, détenu depuis 1999 dans l’ile Emerly. Un accord sur des négociations visant à régler le conflit turco-kurde, datant depuis plus de 30 ans.
D’après des informations publiées par les médias turcs et kurdes, les négociations se déroulent selon une feuille de route, comprenant la cessation des opérations militaires jusqu’au mars prochain, comme une première étape. Une étape accompagnée de réformes juridiques menées par le gouvernement turc, dont, la publication d’amnisties en faveur d’un certain nombre de combattants kurdes, la libération d’un grand nombre de détenus politiques et l’introduction de certains articles constitutionnels en faveur des Kurdes dans la nouvelle constitution.
M. khalil estime que le meurtre des activistes kurdes visait à saboter les négociations avant qu’elles ne commencent, notant que plusieurs parties, Turques ou étrangères, sont contre la réussite de ces pourparlers. Ces parties ont voulu par le meurtre entraîner les Kurdes dans des opérations de vengeance, torpillant l’idée des négociations.
Les positions unanimes liant ce crime à la possibilité d’un compromis sur la cause turque, suscitent des interrogations sur les parties qui bénéficient du torpillage des négociations et qui seraient derrière l’assassinat.
Mais les complications du dossier kurde, ne facilitent guère l’identification de ces parties. Cependant on peut limiter les hypothèses à trois :
- Les Turcs et les services de renseignement français tendent à adopter la première hypothèse, selon laquelle le crime découlait d’un règlement de compte au sein du PKK.
Le premier à avoir posé cette hypothèse était le président du parti «justice et Développement», Hussein Tchilik et puis le Premier ministre turc Recep Tayyep Erdogan.
Ceux qui appuient cette hypothèse, estiment que des courants extrémistes au sein du PKK, rejettent le règlement politique du dossier kurde et recourent à l’escalade sur le terrain en vue d’avorter tout effort dans ce contexte.
M. Khalil écarte catégoriquement ce point de vue et affirme que tous les courants kurdes sont d’accord sur la nécessité du règlement du dossier kurde, à la lumière notamment de la feuille de route fondée sur la vision du leader Abdallah Ocalan.
M. Khalil indique à ce propos que les déclarations hâtives de «Tchilik» sur des règlements de comptes internes au sein du PKK, avant la fin de l’enquête, suscitaient plusieurs interrogations sur l’affaire.
Cependant, ceux qui suivent le dossier kurde estiment que la récente politique kurde, a créé des climats propices à l’émergence de groupes extrémistes opposés au commandement du PKK, à l’instar de l’organisation des «Aigles de la liberté» ou d’autres, infiltrées par les renseignements turcs. De ce fait, les analystes n’écartent point la présence d’organisations suspectes, lesquelles tentent de reprendre l’expérience de «l’organisation de l’armée secrète», qui a perpétré des attentats terroristes en vue d’entraver les négociations entre le président français Charles de Gaulles et les révolutionnaires d’Algérie dans les années 60 du siècle dernier.
D’autres analystes considèrent qu’un tel meurtre, dans un lieu supposé être bien surveillé, nécessite des compétences assez développées, que seuls les services de renseignements puissants peuvent détenir.
-Ceux qui soutiennent la deuxième hypothèse, pointent du doigt la Turquie. Ils accusent le gouvernement présidé par Erdogan directement ou ce que l’on nomme comme «l’Etat souterrain», en référence à des alliances puissantes au sein du régime politique turc. Des alliances regroupant des figures éminentes dans les rangs des services de renseignements locaux ou étrangers, de l’armée, des services de sécurité, du corps judiciaire ou de la mafia…
M. Khalil indique dans ce contexte qu’il existe des personnes lésées en Turquie par le lancement des négociations. De ce fait, il n’écarte pas l’implication de parties turques dans le meurtre des trois activistes.
D’autres qui suivent de près la question kurde, écartent l’implication directe du gouvernement turc dans l’assassinat. Ils font état d’un accord tacite entre ce gouvernement et le PKK, sur la cessation de tels assassinats à l’étranger, contrairement au cas du conflit entre le régime turc et l’organisation arménienne «Assala», dans les années 80.
Selon les informations publiées par des medias français, citant des sources de renseignement, «il serait difficile que le gouvernement turc perpètre un tel assassinat politique en France», puisque notamment ce gouvernement n’avait pas liquidé dans le passé des responsables politiques du PKK à l’étranger. Ces sources signalent que l’assassinat d’un important cadre du PKK en Europe est sans précédent, depuis le début du conflit turco-Kurde.
Mais ce point de vue ne semble pas convaincant, lorsqu’on énumère des parties bénéficiant du meurtre, à l’instar du parti du «Mouvement National» et des organisations nationales fondamentalistes, dont notamment l’organisation des «Léopards gris», suspectée dans des opérations d’assassinat et d’enlèvement en Turquie depuis les années 90, y compris de l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink en 2007.
Ces doutes s’appliquent de même sur des parties au sein du parti de «La Justice et du Développement», notamment celles qui refusent de reconnaitre «la cause kurde» et qui considèrent qu’elle n’est « qu’une simple affaire de terrorisme».
Des analystes citent dans ce contexte des forces au sein de l’armée turque, lesquelles se considèrent lésées par les négociations avec le PKK. Elles estiment qu’une fois la paix établie, le gouvernement Erdogan diminuera les dépenses militaires et réduira le rôle de l’institution militaire dans la vie politique.
-La troisième hypothèse avancée par des observateurs turcs et kurdes, pointe du doigt une tierce partie. Des activistes kurdes font circuler un télégramme diplomatique publié par le site Wikileaks, selon lequel Sakina Canzig était inscrite sur la liste des personnes recherchées par les Etats-Unis.
Dans le télégramme daté du 7 décembre 2007, l’ambassadeur américain auprès d’Ankara, Ross Wilson, demande au secrétariat d’Etat américain de focaliser sur deux «objectifs», à savoir Sakina Canzig et Rida Alton, afin de cesser l’appui financier provenant de l’Europe au PKK. L’ambassadeur appelle notamment à «incarcérer ces deux terroristes et à instruire des dossiers à leur encontre auprès des services de renseignements européens».
L’étape post-assassinat
Au moment où les Kurdes attendent la publication des résultats de l’enquête sur le meurtre des trois activistes kurdes, notamment que la France assume une responsabilité morale et judiciaire, des questions se posent sur l’impact de ce crime sur les négociations prévues entre Ankara et le PKK.
Un porte-parole du parti a déclaré que le PKK ne prendra aucune position avant la fin de l’enquête menée par la police française.
Mais la branche militaire du parti, a mis en garde la France, la portant responsable du crime, si elle ne divulgue pas, immédiatement, les circonstances du meurtre.
M. Khalil écarte toutefois le fait, que les Kurdes soient entraînés dans des réactions en faveur de la vengeance.
«Toutes les forces kurdes tendent pour la paix, laquelle se répercutera positivement sur la situation de la communauté en Turquie, en Irak en Syrie et en Iran. La riposte au crime doit être par la consolidation de l’union kurde», a conclu le responsable kurde au quotidien libanais Assafir.
Source : Assafir, traduit par : moqawama.org