Des positions françaises positives, avec des pièges cachés ?
Par Fouad Karam
Cette fois, le ministre des Affaires étrangères français Stephane Séjourné a voulu être plus subtil que les autres émissaires occidentaux. Il n’a pas voulu refaire l’erreur précédente de proposer une solution durable au Sud du Liban, sans tenir compte des développements à Gaza. C’est pourquoi, dans tous ses entretiens avec les responsables libanais, il a insisté sur le fait qu’il faut préparer une solution durable au Sud du Liban, qui serait appliquée dès que la trêve sera adoptée à Gaza. D’ailleurs, il a aussi annoncé la présentation d’un document écrit, qui a été effectivement remis par l’ambassadeur de France à Beyrouth aux autorités libanaises, après le départ de Stephane Séjourné pour Riyad puis «Israël», dans le cadre d’une tournée dans la région.
Aux yeux du Liban, ce document est plus acceptable que les propositions précédentes, puisqu’il parle de trois étapes : d’abord l’arrêt des opérations militaires des deux côtés de la frontière, puis le retour des déplacés au Sud et du côté «israélien» et enfin, l’augmentation des effectifs militaires dans la région qui assureraient une mission plus importante sur le plan du contrôle de la région et du maintien du calme dans cette zone en coopération avec la FINUL. Il faut noter que le document français, comme d’ailleurs les dernières propositions de l’émissaire présidentiel américain Amos Hochstein, ne parle pas du retrait des forces de l’unité Al Radwane de la zone frontalière. Il se contente d’évoquer d’une façon assez vague un «repositionnement» des combattants du Hezbollah dans cette zone. C’est une façon indirecte de reconnaître le droit de ces combattants à se trouver dans les localités du Sud dont ils sont souvent originaires. C’est d’autant plus plausible que le Hezbollah n’étant pas une armée régulière, mais un mouvement de résistance, n’a pas de positions claires, ni de permanences affichées. Grâce à cette formule un peu vague, le document français pouvait obtenir l’aval du Liban, car il serait dans la pure tradition des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui sont en général suffisamment floues pour permettre diverses interprétations, selon le contexte du moment.
Les responsables libanais sont donc censés étudier actuellement le document et essayer d’y répondre, alors que le ministre français doit encore consulter les autorités «israéliennes» et obtenir leur aval.
Toutefois, le problème qui se cache derrière les formules du document c’est que les Occidentaux ont visiblement hâte de le faire adopter pour qu’il soit mis en exécution dès que la trêve à Gaza sera annoncée. De fait, les milieux diplomatiques se déclarent actuellement plus optimistes que par le passé et estiment que la conclusion d’une trêve est possible, surtout si l’on prend en considération les dernières propositions égyptiennes qui auraient été acceptées par les «Israéliens» et attendent encore l’aval du Hamas. Si la trêve est annoncée à Gaza et si elle entre en vigueur, elle ne devrait pas seulement être accompagnée d’une trêve sur le front du sud, mais une solution durable commencerait alors à être appliquée au sud du Liban. Toutefois si la trêve à Gaza se termine sans la conclusion d’un cessez-le feu durable, le front du Liban ne pourrait être ouvert de nouveau, car une solution durable serait en train d’y être appliquée. C’est une véritable inquiétude pour le Hezbollah qui ne veut pas tomber dans un piège qui lui serait tendu et qui le contraindrait de facto à ne pas ouvrir le front du sud en soutien à Gaza au cas où la guerre recommencerait dans cette bande, après la trêve qui n’aurait pas abouti à une solution durable. C’est pourquoi le Hezbollah a fait savoir à tous ceux qui l’ont sollicité qu’une trêve à Gaza entraînera une trêve sur le front du sud du Liban, mais une reprise des combats à Gaza entraînera aussi forcément une réouverture du front au sud du Liban. L’équation est claire et il n’est pas question pour le Hezbollah de se laisser appâter par des propositions certes séduisantes, pour abandonner Gaza à son sort et laisser les «Israéliens» combattre les Palestiniens sans limites et sans souci d’autres fronts. Car, en dépit de certaines critiques internes, le Hezbollah sait que le front du Liban a été d’un grand soutien pour Gaza, d’abord, en occupant une partie des forces israéliennes sur ce front qui s’étend sur une longue frontière et en même temps, parce qu’en raison des missiles lancés à partir du Liban, près de cent milles colons israéliens ont été contraints à quitter la région du Nord de la Galilée depuis des mois. Ils ont certes été installés dans des hôtels dans des lieux plus sûrs, mais cette guerre qui dure depuis bientôt 7 mois commence à poser des problèmes sérieux aux colons : pourront-ils revenir chez eux en été et à la rentrée des écoles en septembre ? Que prévoit le «gouvernement» pour eux ? Autant de questions qui commencent à peser sur la scène interne israélienne et qui devraient être prises en compte dans les décisions du gouvernement.
Pour toutes ces raisons, le Hezbollah considère que le front de soutien au Sud du Liban est utile pour les Palestiniens qui se battent à Gaza et il est aussi utile pour le Liban, parce qu’il est important pour ce pays, ainsi que pour tous les Arabes, qu’«Israël» ne remporte pas une victoire contre les Palestiniens à Gaza. Dans l’optique du Hezbollah, si les «Israéliens» sortent gagnants à Gaza – ce qui est impossible car la guerre dure depuis bientôt 7 mois et les «Israéliens» attendent encore la réponse du Hamas qu’ils voulaient totalement détruire... ils se tourneront ensuite contre le Liban et contre d’autres pays arabes pour se débarrasser définitivement de la cause palestinienne et la régler aux dépens des Libanais en particulier et des Arabes en général. Il n’est donc pas question, selon des sources proches du Hezbollah, que cette formation accepte d’exécuter une solution durable au Sud du Liban, sans attendre la solution à Gaza. Toutes les manœuvres, les propositions alléchantes et les promesses ne changeront rien à cette position. C’est en tout cas le message que le Hezbollah chercherait à transmettre à tous les émissaires ceux qui lui proposent, directement ou non, monts et merveilles à condition que le front du Sud du Liban soit refermé...