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A Gaza, la France est en train de perdre son rôle traditionnel

A Gaza, la France est en train de perdre son rôle traditionnel
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Par Fouad Karam

Dans un pays comme le Liban toujours tourné vers l’étranger, l’événement marquant de la récente visite à Beyrouth de la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna est qu’elle est pratiquement passée inaperçue. D’abord, ses entretiens étaient limités aux responsables officiels et ensuite, aucun élément nouveau n’est apparu, selon les journalistes qui ont pu la rencontrer.

Il faut d’ailleurs rappeler à cet égard que la visite qui était prévue samedi dernier a été reportée de deux jours en raison d’un accident technique survenu dans l’avion qui devait l’amener à Beyrouth. C’est du moins la raison officielle qui a été évoquée. Mais cet incident technique n’a pas empêché la ministre française de se rendre dimanche à «Tel-Aviv» pour revenir le lendemain à Beyrouth. Il était donc normal que les Libanais concernés par cette visite considèrent qu’il y avait une raison cachée derrière le report de la visite au Liban, pour qu’elle intervienne après les entretiens de Colonna avec les dirigeants israéliens... Selon des informations véhiculées par certains médias libanais, Colonna aurait ainsi répondu à une demande israélienne selon laquelle ils voudraient qu’elle vienne d’abord chez eux pour pouvoir transmettre leurs demandes aux Libanais.

Que cela soit vérifié ou non, il n’en demeure pas moins que les Libanais qui ont rencontré Mme Colonna ont eu le sentiment qu’elle s’est contentée de leur rapporter les menaces israéliennes en demandant aux parties libanaises de les prendre au sérieux et en insistant sur la nécessité pour les Libanais d’empêcher à tout prix l’extension de la guerre au Liban.

Cette position de la part de la ministre française a surpris les Libanais habitués à une tradition française qui remonte au général De Gaulle puis à d’autres présidents issus de la droite comme Jacques Chirac, d’adopter une politique d’ouverture à l’égard des Arabes et en particulier des Palestiniens, dans le cadre du conflit qui les oppose aux «Israéliens». Sans être clairement pro-arabe, la France avait l’habitude d’adopter des positions mesurées et plus ou moins équitables à l’égard des Palestiniens ou du camp de la résistance en général. Elle avait ainsi joué un rôle favorable lors de la Conférence de Madrid en 1991, laquelle avait ouvert la voie à un «processus de paix» qui s’est concrétisé à travers les «accords d’Oslo» en 1993. En 1996, à la suite de l’agression israélienne appelée «Les Raisins de la Colère», c’est la France par le biais du président Jacques Chirac et de son ministre des Affaires étrangères Hervé de Charrette qui avait œuvré à la conclusion de ce qu’on a appelé «Les Arrangements d’Avril» qui ont instauré une équation selon laquelle la résistance a le droit de bombarder des «civils israéliens» si les «Israéliens» bombardent des civils au Liban... Cette politique d’ouverture de la France ne s’était jamais démentie ... Jusqu’à récemment, avec le second mandat du président français Emmanuel Macron. Non seulement ce dernier a pris ses distances avec l’Iran, alors que jusqu’à récemment l’un des points forts de la politique étrangère française était d’avoir gardé des contacts acceptables avec les dirigeants de la République islamique d’Iran. C’est ainsi que le président français avait parlé au téléphone avec le président iranien de l’époque en août 2020 avant de venir au Liban, après l’explosion du port de Beyrouth. De même, les Français avaient conservé tout au long des années, une politique qui n’est certes pas pro-palestinienne mais qui tient compte des exigences palestiniennes pour pouvoir jeter autant que possible les fondements d’une solution équitable. Mais brusquement, tout ce passé a été balayé par une nouvelle tendance marquée de la politique étrangère du second mandat d’Emmanuel Macron, qui est devenue, comme on le dit dans les médias français totalement atlantiste, c’est-à-dire alignée sur les positions des administrations américaines et parfois elle va même plus loin.

La France qui a ainsi toujours refusé que l’Union européenne considère le Hezbollah comme une «organisation terroriste», se contentant de faire une distinction entre la branche politique et celle militaire de cette formation a rapidement placé le Hamas sur la liste des «organisations terroristes». Dans la terrible guerre qui se déroule à Gaza, la France connue pour être le pays des Droits de l’homme et des valeurs républicaines est en train de prendre position en faveur de l’oppresseur, de l’occupant et de la partie qui lance des attaques barbares contre les civils.

Ce qui est étonnant dans ce constat c’est que le président français est convaincu d’adopter des positions équilibrées en déclarant dans le cadre d’un entretien accordé à la chaîne publique française France 5 il y a quelques jours que le fait de «lutter contre le terrorisme ne signifie pas vouloir raser Gaza»! De son point de vue, ou en tout cas c’est ce qu’expliquent les proches de l’Elysée dans certains médias, il a confirmé que le Hamas et ses alliés sont des «organisations terroristes», mais en même temps, il a critiqué les méthodes israéliennes qui aboutissent à raser Gaza et à frapper les civils. Macron a aussi appelé à la conclusion d’une trêve humanitaire, cédant ainsi au point de vue israélien qui refuse toute idée de cessez-le feu car ce serait reconnaître une certaine victoire au Hamas. Mais en même temps, il cherche aussi à arrêter les combats sous le titre de l’humanitaire, sans toutefois changer d’un iota sa position à l’égard du Hamas. Du point de vue français, Macron serait donc à mi-chemin entre les deux. Mais du point de vue du Hamas et de ses alliés, il est totalement aligné sur la «politique israélienne». Ce qui fait perdre à la France sa crédibilité dans toute tentative de mener une médiation entre les deux camps ou de jouer un rôle utile pour trouver des solutions durables dans la région.

Même au Liban, qui continue d’une certaine manière à subir l’influence de la période du mandat français, que ce soit dans l’enseignement du français dans les écoles, dans le nom des rues ou dans l’aura dont bénéficient les diplomates français au Liban, de moins en moins de parties politiques misent sur un rôle français déterminant. Le dossier présidentiel en est la meilleure preuve puisque les émissaires français eux-mêmes ont renoncé à l’évoquer, préférant désormais se concentrer sur la guerre à Gaza et ses conséquences sur le Liban.

Mais pourquoi la France est-elle en train de prendre ses positions radicales en faveur d’«Israël» et des Américains? Selon plusieurs spécialistes de la politique française, il y a d’abord le fait que les sociétés européennes, dont la société française, se radicalisent de plus en plus et les courants d’extrême droite sont en train de gagner du terrain. C’est ainsi que de l’aveu même du président Macron, dans son entretien sur France 5, il n’était pas d’accord sur toutes les dispositions de la nouvelle loi sur l’immigration qui a une coloration droitière marquée, notamment dans certains de ses points, mais il a été obligé de céder à la pression de l’extrême droite, car il ne dispose pas d’une majorité parlementaire. De plus, Macron a tenté à un moment de se démarquer de la politique américaine, mais il a été très vite rappelé à l’ordre, notamment concernant la guerre en Ukraine, lorsqu’il a voulu parler avec le président russe Vladimir Poutine, mais il a dû rapidement renoncer à cette idée, à cause des critiques qui lui ont été adressées. Aujourd’hui après un an et dix mois du déclenchement de la guerre en Ukraine, il est clair qu’elle a eu des conséquences désastreuses sur l’économie européenne et elle a rendu les pays de l’Union européenne encore plus dépendants des Etats-Unis, mais aussi des Etats du Golfe qui peuvent investir chez eux. En même temps, il est de plus en plus clair que le lobby juif n’est pas seulement puissant aux Etats-Unis, il l’est aussi de plus en plus en France où il contrôle les médias et même les rouages de la vie économique... Pour toutes ces raisons, il est clair que la France n’a plus le rôle qu’elle avait dans le passé et Macron a une marge de manœuvre de plus en plus réduite... A supposer qu’il veuille réellement être à égale distance des protagonistes.

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