Cheikh Qassem : «Le risque d’un embrasement existe»
Propos recueillis par Mériadec Raffray pour Valeurs Actuelles
Secrétaire général adjoint du Hezbollah depuis 1992, Naïm Qassem, 70 ans, ne reçoit jamais de journalistes. Pour rencontrer ce conservateur diplômé en théologie, qui est l’homme des relations avec les partis islamiques dans le monde et l’interlocuteur privilégié des forces chrétiennes au Liban, le protocole de sécurité est strict.
Le rendez-vous est fixé dans un immeuble décati du quartier de Baada, sur l’ancienne ligne de démarcation entre quartiers chrétiens et musulmans de Beyrouth. De là, notre chauffeur est prié de s’insérer dans la circulation à la suite d’un scooter hors d’âge sur lequel un homme transporte une bonbonne d’eau minérale, qui nous conduit au siège officiel du «bloc» parlementaire du Hezbollah, derrière l’aéroport. À l’étage, entre deux gardes du corps, Naïm Qassem apparaît soudain. Droit, l’œil vif, volontiers souriant, le cheikh aime à l’évidence la dialectique. Sachant parfaitement à quel public il s’adresse, il comprend le français mais s’exprime en arabe. N’esquivant aucune question, ses réponses sont franches et précises.
Doit-on craindre une nouvelle guerre au Sud-Liban ?
Des informations laissent à penser qu’«Israël» va élargir la zone de guerre. Une agression de sa part engendrerait une réaction du Liban. Personne ne peut dire si cette probabilité s’accroît ou diminue. Je me limite à dire que le risque existe.
On dit que la clé de la «paix» serait l’application réelle de la résolution 1701 de l’Onu, qui encadrait le cessez-le-feu de 2006. Qu’en pensez-vous ?
«Israël» agite l’idée d’amender cette résolution pour faire patienter son opinion publique. Il n’y a pas besoin d’en discuter, il faut l’appliquer. Le vrai signe sera quand «Israël» libérera les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba [territoires frontaliers revendiqués par le Liban non loin de la Syrie, NDLR], et que son aviation arrêtera de violer notre espace aérien.
En 2006, votre face-à-face a dégénéré. La situation actuelle vous est moins favorable. Une flotte américaine vogue en Méditerranée…
Le spectacle des navires américains ne change rien à la donne. Le nombre n’est pas important. Pour juger qui gagne une guerre, il faut connaître les objectifs de chacun. Cinquante jours se sont écoulés depuis le début de la guerre que mène «Israël» à Gaza, et qui a tourné en une agression contre des femmes et des enfants. Leurs dirigeants clament qu’ils vont supprimer le Hamas et libérer les otages. Sur le terrain, on voit que le Hamas agit librement, et que c’est lui qui rend les otages. Jusqu’à maintenant, les deux objectifs d’«Israël» ne sont pas atteints. Et cette entité a beaucoup perdu sur le plan international en apparaissant comme une entité cruelle.
L'armée israélienne serait en échec face au Hamas ?
Tout ce que l'armée israélienne pouvait faire sur le terrain, elle l’a fait. Et je vais vous dire plus. Si la guerre continue encore cinquante jours, c’est le Hamas qui va gagner, et «Israël» perdre. Car jusqu’à maintenant, le Hamas conserve toutes ses forces.
Au Liban, les chrétiens vous accusent d’entraver la nomination du président de la République. Que leur répondez-vous ?
Le président est élu par les 128 députés: 64 chrétiens et 64 musulmans. Parmi ceux-ci, 15 sont membres du Hezbollah.
Comment pouvons-nous bloquer? Celan ne fonctionne pas entre les chrétiens. Ils s’accusent mutuellement d’être des traîtres à leur pays. Nous, nous voulons un président et nous pensons que le retard est dommageable au pays.
Un nouveau nom est apparu: celui du général Joseph Aoun, qui doit être reconduit à la tête de l’armée en janvier…
Notre candidat à la présidence est Sleiman Frangié [maronite chrétien réputé proche de la Syrie et du Hezbollah, NDLR]. On en est là. Quant au chef d’état-major de l’armée, nous n’avons aucun problème pour sa reconduction.
Les chrétiens disent qu’Emmanuel Macron est l’ami du Hezbollah. Est-ce vrai ?
Le président français est intéressé par le Liban, où il pense qu’il n’y a pas de solution sans une entente avec le Hezbollah. Notre relation est basée sur notre intérêt réciproque pour le Liban.
Selon eux, vous étouffez sciemment les institutions pour mieux en prendre le contrôle…
À la fin du mandat de Michel Aoun, la plupart des Libanais réclamaient le blocage du gouvernement. Nous, nous avons milité pour qu’il poursuive la gestion des affaires courantes. Nous voulons contribuer à faire avancer le pays. Nous sommes aussi avec le Parlement pour voter les lois. Malheureusement, les chrétiens ne veulent pas que les comités parlementaires se réunissent avant l’élection d’un président.
Alors, qui bloque ? Donc, le problème du Liban, ce sont les chrétiens ?
Non. Ce sont les têtes qui veulent utiliser le Liban pour leurs propres intérêts.
Des noms ?
Au Liban, 90 % des mouvements politiques, chrétiens et musulmans, pensent d’abord à eux. Intérêts confessionnels, personnels, partisans : pour eux, le Liban n’existe pas.
On dit que le Hezbollah est le vrai patron du pays. Quel est votre projet politique ?
Nous ne sommes pas les «patrons», mais j’accepte que vous me disiez que nous sommes forts, influents et tenons nos promesses. Cela n’est pas suffisant pour diriger le pays. Le point de départ est l’élection d’un président. Quand certains disent : nous voulons un président contre le Hezbollah, ils bloquent son choix.
Quelles sont vos relations avec l’Iran ?
Nous sommes une force libanaise, respectueuse du pacte social. Nous ne prenons d’ordre de personne, combattons dans le Sud pour la libération de notre terre. Nos morts sont libanais. En revanche, nous avons une seule référence religieuse dans le monde : l’iman Ali Khamenei [le guide suprême de la révolution islamique iranienne, NDLR].
Cela ne signifie pas que nous travaillons à ses intérêts. Cependant, les Iraniens croient à la libération de la Palestine, et nous aussi ; à l’indépendance du Liban, et nous aussi. Ils refusent les politiques américaines. Nous aussi.
Est-ce que nous disons que la France est devenue une diaspora américaine ?
Non. Eh bien, le Liban n’appartient pas à l’Iran. L’Occident nous traite sur la base de ses propres règles, qui ne sont pas justes mais favorisent ses intérêts. Nous, nous sommes ailleurs, cheminons dans une autre direction. Et n’avons pas peur.