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Jean Yves Le Drian au Liban: Que cachent ses deux demandes ?

Jean Yves Le Drian au Liban: Que cachent ses deux demandes ?
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Par Fouad Karam

L’émissaire présidentiel français Jean Yves Le Drian a surpris cette fois tous ses interlocuteurs libanais. Alors que depuis des mois, il est officiellement en charge du dossier présidentiel, cette fois, il a préféré concentrer ses entretiens avec les différentes parties libanaises sur deux sujets: le maintien du commandant en chef de l’armée à son poste après son passage légal à la retraite le 10 janvier prochain et ce qu’il appelle «l’application effective» de la résolution 1701.

Selon bon nombre de ceux qui l’ont rencontré, Le Drian a commencé ses entretiens par reconnaître lui-même qu’il n’y a pour l’instant rien de nouveau sur le plan du dossier présidentiel. Par conséquent, il serait plus utile d’essayer de traiter d’autres sujets plus pressants à l’heure actuelle, à savoir ce qu’on appelle désormais «l’affaire du général Joseph Aoun» et la situation au Sud du Liban à l’ombre de la guerre sans merci déclenchée par les Israéliens contre la bande de Gaza.

Avec une grande habileté diplomatique, Le Drian a justifié l’intérêt porté au sort du commandement en chef de l’armée par la nécessité de préserver la troupe qui constitue la seule institution étatique du Liban encore debout et il a ajouté qu’en cette période trouble, le Liban a plus que jamais besoin d’un minimum de stabilité et de sécurité que seule l’armée peut assurer.

Devant ses interlocuteurs libanais, Le Drian a insisté sur la bonne gestion du général Joseph Aoun à la tête de l’armée, rappelant ainsi que tout changement à ce niveau, en cette période particulièrement sensible pourrait être désastreux.

Selon plusieurs parties qui ont rencontré l’émissaire français, ce sujet n’a toutefois pas pris beaucoup de temps, puisque la plupart des interlocuteurs étaient d’accord sur la nécessité de maintenir Joseph Aoun à son poste. Même avec le Hezbollah, ce sujet n’a pas été longuement discuté, l’émissaire français se contentant de transmettre le message sans développer la question, et surtout sans préciser d’où vient réellement la demande, puisqu’il a seulement dit qu’il parle au nom de la commission des 5 (Etats-Unis- France- Egypte-Qatar-Arabie saoudite)...C’est seulement avec le chef du CPL Gebrane Bassil que le sujet a mal tourné, puisque, selon différentes sources, Le Drian est très vite entré dans le sujet, prenant ainsi de court son interlocuteur. Il lui aurait dit qu’il faut absolument maintenir le général Joseph Aoun à son poste parce que c’est dans l’intérêt du Liban. Et Bassil aurait répondu que la France demande aux Libanais de faire des réformes tout en les poussant vers la violation de la Constitution et des lois. L’émissaire français aurait mal pris le ton et les propos de Bassil, poussant ce dernier à dire qu’il n’est plus nécessaire de prolonger l’entretien qui a ainsi duré 7 minutes...

Il semble ainsi clair que Le Drian s’est engagé auprès des membres de la commission des 5 de la mission du maintien du commandant en chef de l’armée à son poste après son passage à la retraite et il n’a pas supporté l’opposition de Bassil, cherchant ainsi à le montrer comme un irresponsable, ne se souciant que de ses intérêts personnels. Cette attitude ne parvient toutefois pas à détourner l’attention des parties concernées sur les raisons d’une telle insistance de la part des parties étrangères proches de l’administration américaine à intervenir dans un dossier interne libanais, aussi important soit-il.

Finalement, contrairement à ce que les Libanais ont cru lorsque la visite de Le Drian a été annoncée, il est donc venu au Liban pour transmettre deux messages pressants: maintenir le général Joseph Aoun à son poste et appliquer la 1701. Les deux points vont en fait de pair puisque la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU pour mettre un terme à la guerre de juillet 2006 prévoit le déploiement de l’armée libanaise au Sud du Litani, aux côtés de la FINUL pour empêcher le Hezbollah de se trouver dans ces lieux et de lancer des attaques contre les Israéliens. Les effectifs de la FINUL qui est au Sud depuis 1978, lors de la première invasion du Liban, ont été ainsi augmentés pour permettre à cette force internationale de remplir cette mission. Mais cette FINUL renforcée n’a pas pu remplir la mission qui lui était requis. De plus, les habitants des localités du Sud sont en majorité favorables au Hezbollah et il n’a donc pas été possible de pousser cette formation vers le Nord du Litani. Ni l’armée libanaise n’a voulu se charger de cette mission ni la FINUL n’a été en mesure de l’accomplir. Il y avait donc une sorte d’accord tacite pour laisser le statu quo en place. Toutefois, cette situation déplaisait fortement aux Israéliens qui n’ont cessé de multiplier les provocations et les violations de la 1701, que ce soit à travers les survols aériens, l’envoi de drones ou des attaques diverses contre des bergers et autres, tout au long des années écoulées. Depuis deux ans, les Israéliens sont passés à l’étape supérieure, demandant au Conseil de sécurité, lors des réunions pour le renouvellement du mandat de la FINUL, de modifier la mission de cette force internationale pour la rendre plus «efficace» et pour lui permettre d’agir, sans le soutien ou l’aide de l’armée libanaise.

Jusqu’à présent, toutes ces tentatives n’ont pas réussi à provoquer un changement réel dans l’équilibre des forces au Sud. C’est pourquoi aujourd’hui, il semble que les Israéliens ont demandé à la commission des 5, ou en tout cas aux Français et aux Américains, d’introduire la 1701 dans les négociations actuelles pour mettre un terme à la violence sur le front de Gaza mais aussi sur celui du Liban.

A certains de ses interlocuteurs, jean Yves Le Drian aurait ainsi déclaré que ce qui est actuellement à l’étude, c’est une solution sur le long terme à Gaza, le moment venu. Et il ne faudrait pas que le Liban soit en reste. C’est pourquoi il est temps, selon lui, d’appliquer la résolution 1701 dans son ensemble, notamment le point concernant l’interdiction au Hezbollah d’être présent au sud du Litani. D’autant, aurait-il ajouté, que les Israéliens menacent de lancer une opération d’envergure au Sud du Liban destinée à «écarter le Hezbollah de cette région»...Selon les sources précitées, l’émissaire français aurait insisté sur la nécessité de maintenir le calme à la frontière Sud et cela, aurait-il dit, dans l’intérêt du Liban.

Le message était donc on ne peut plus clair et même si Le Drian n’a à aucun moment dit que ce sont les Israéliens qui demandent l’application de la 1701, certains de ses interlocuteurs l’ont bien compris.

Quelle sera la réponse du Liban ? Apparemment, plusieurs points sont évoqués. D’abord, la 1701 impose aussi aux Israéliens d’arrêter leurs violations et il n’est pas question que le Liban applique les dispositions qui le concernent alors que les Israéliens continuent à faire ce qu’ils veulent (du moins ce que la force de dissuasion du Hezbollah leur permet de faire). Par ailleurs, si la 1701 prévoit une zone tampon où la résistance n’a pas le droit de se déployer au Sud du Liban, la même chose devrait être réalisée du «côté israélien». Une force internationale devrait aussi se déployer de l’autre côté de la frontière et comme le Liban n’a pas perdu la guerre de 2006, il n’y a pas de raison qu’il soit le seul à faire les concessions. Enfin, dans le contexte actuel, il n’est pas logique de dire au Hezbollah de retirer ses hommes de la région au Sud du Litani, alors que des groupes palestiniens et libanais sont en train de revenir dans cette zone pour épauler les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Mais le point essentiel que les interlocuteurs libanais de Le Drian n’ont pas dit clairement c’est le refus total de susciter des frictions entre l’armée libanaise et le Hezbollah. Si c’est cela l’objectif caché de cette proposition, il ne sera pas atteint et il n’y a aucune raison de faire le lien entre le maintien du général Joseph Aoun à sa place et l’application de la 1701, car le Hezbollah voit d’un bon œil son attitude au cours des années de son mandat à la tête de l’armée...

Dans ce contexte, quel sera le sort des demandes formulées par Le Drian ? Les prochaines semaines devraient donner des réponses et l’émissaire français a déjà annoncé une prochaine visite dans les deux prochains mois.

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