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Les déplacés syriens, entre la polémique politique et les enjeux réels

Les déplacés syriens, entre la polémique politique et les enjeux réels
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Par Fouad Karam

Il a fallu que le secrétaire général du Hezbollah sayyed Hassan Nasrallah parle ouvertement du poids intolérable que constitue la présence massive de déplacés syriens au Liban pour que ce dossier fasse la une de l’actualité politique. Aussitôt plusieurs chefs de file libanais, notamment dans ce qu’on appelle l’opposition (FL et Kataëb en particulier) ont repris pour leur compte les paroles de sayyed Nasrallah, allant même jusqu’à faire de la surenchère pour se présenter comme les champions du traitement de ce dossier.

Evidemment, aucun de ces chefs de file ne relève le fait que ce dossier existe depuis 2011, avec le déclenchement de la guerre en Syrie et l’échec des paris occidentaux et arabes faits sur «la chute imminente du régime syrien». A cette époque, le Liban officiel, dans le cadre du gouvernement présidé par le même actuel Premier ministre Négib Mikati avait ouvert les frontières en grand pour accueillir les déplacés syriens et lorsque la question était posée sur l’ampleur de cet afflux de déplacés syriens, la réponse était la suivante: «Ils sont là juste pour quelques mois et ils rentreront tous en Syrie après la chute du régime de Bachar Assad et la prise du pouvoir par les groupes révolutionnaires». Le Liban avait même créé un ministère pour les déplacés syriens qui était pris en charge par Mouïn Meraabi, une figure de Tripoli ancien membre du Bloc du Futur qui avait pris ouvertement parti contre le régime syrien et prônait l’accueil des déplacés syriens. Seul le chef du Bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun avait depuis le début mis l’accent sur le danger que représente la présence massive de réfugiés syriens pour le Liban, à la fois sur le plan social, économique et démographique. Il avait été alors accusé de racisme et la plupart des parties politiques étaient donc favorables à l’ouverture des frontières du pays à l’arrivée des réfugiés. Il est vrai que dans la foulée de l’arrivée de ces réfugiés, de nombreuses ONG internationales se sont empressées d’ouvrir des antennes au Liban pour s’occuper d’eux. Et dans les premières années de l’installation des déplacés, l’argent coulait à flots.

Le camp hostile au Hezbollah s’est d’ailleurs empressé d’accuser ce parti d’être à l’origine du déplacement massif des Syriens vers le Liban en raison de sa participation aux combats en Syrie, aux côtés du régime syrien.

Evidemment, à cette époque, personne ne s’est demandé comment les Syriens fuyant le Hezbollah pouvaient-ils venir se réfugier au Liban où il est considéré comme omniprésent ?

Cela ressemble d’ailleurs fort à la campagne menée soudainement par ces mêmes parties, aujourd’hui contre la présence des réfugiés syriens, qui accuse le régime syrien de les encourager à venir au Liban. Si c’était vrai, pourquoi ces mêmes parties refusent-elles alors de les renvoyer d’où ils viennent, au lieu de faire indirectement le jeu du régime syrien ?

C’est dire que ce dossier de plus en plus crucial pour l’avenir du Liban dans ses équilibres démographiques sensibles, est devenu un sujet de surenchère politique au lieu de pousser les différentes parties à chercher de véritables solutions avant qu’il ne soit trop tard.

C’est dans ce contexte que les parties politiques hostiles au Hezbollah occultent complètement le rôle de ce qu’on appelle la communauté internationale dans le maintien des déplacés syriens au Liban, sans tenir compte de la grave crise économique, financière sociale et démographique que traverse actuellement ce pays. Elles préfèrent concentrer leurs attaques sur le Hezbollah et sur le régime syrien, allant même jusqu’à affirmer que ce qu’on appelle «la nouvelle vague d’exode syrien vers le Liban» et qui serait essentiellement dictée par la crise économique aigüe que connait la Syrie serait dûe à une volonté russe d’embarrasser l’Europe et l’Occident pour le détourner de la guerre en Ukraine. Aux yeux de ces parties, ce serait la raison pour laquelle, dans son dernier discours, sayyed Nasrallah a proposé de laisser la mer ouverte pour ces déplacés afin qu’ils puissent se rendre dans les côtes européennes, rappelant que le Liban doit cesser d’arrêter les passagers clandestins vers l’Europe qui partent dans des bateaux et de les maintenir au Liban, faute de pouvoir les refouler vers la Syrie.

D’ailleurs, pour éviter de se prononcer sur un procédé qui a déjà fait ses preuves en Turquie- lorsque les autorités ont permis le passage des bateaux de réfugiés syriens vers l’Europe, poussant ainsi les Occidentaux à autoriser le retour des réfugiés syriens installés en Turquie dans leur pays (un peu moins d’un million de Syriens seraient ainsi retournés dans leur pays)-les parties hostiles au Hezbollah ont lancé une nouvelle idée celle de rédiger une pétition pour empêcher le UNHCR de travailler au Liban. Evidemment, il ne s’agit que d’une surenchère spectaculaire mais qui ne constitue aucune solution réelle à un problème de plus en plus grave pour le Liban. Il faudrait d’abord que la pétition fasse son chemin au Parlement et de plus si elle est adoptée, cela signifiera-t-il pour autant que les réfugiés syriens au Liban seront amenés à partir, sous prétexte qu’ils ne recevraient plus les aides de cette instance onusienne ? De plus, au moment même où le chef des Forces Libanaises Samir Geagea faisait cette proposition, une perquisition était effectuée chez un des anciens responsables de ce parti dans la Békaa et des armes remises aux Syriens y ont été découvertes...

Le problème posé par la présence massive de Syriens au Liban est bien trop menaçant pour être traité avec des idées aussi peu consistantes. Le chef du CPL Gebrane Bassil s’apprête à se rendre à Bruxelles pour exposer la gravité de ce dossier devant les parlementaires européens. Mais au lieu d’encourager une telle démarche, les critiques ont commencé à pleuvoir sur cette initiative sous prétexte que Bassil est invité par un député d’extrême droite français.

Pourtant une des clés de la solution de ce problème réside dans un changement dans la décision européenne portant sur la nécessité de garder ces réfugiés au Liban et de les intégrer au sein du tissu social libanais.

Pour de nombreux Libanais, cette décision particulièrement destructrice pour le Liban est restée inexplicable. Pourquoi les Européens et avec eux les Américains tiennent-ils à tout prix à l’intégration des déplacés syriens au Liban sachant que les cartes de leur déploiement sur l’ensemble du territoire libanais montrent qu’ils sont plus nombreux que les citoyens de ce pays dans certaines régions à dominante chiite, comme la Békaa et Baalbeck-Hermel ?

Parmi les explications données à cette position claire des Occidentaux, il y aurait le refus de reconnaître le régime syrien en l’autorisant à ramener les Syriens chez eux. Ceux qui disent cela disent aussi en même temps que le régime refuse le retour des déplacés...Il y en aurait aussi une autre que les milieux politiques libanais évoquent moins et qui porterait sur une volonté occidentale de créer une force sunnite (la grande majorité des déplacés syriens au Liban appartiennent à cette communauté) face à la force chiite que tous les plans établis depuis 2006, date de la guerre israélienne contre le Liban, n’ont pas réussi à affaiblir...Si cette explication se vérifie, cela signifierait que les Occidentaux auraient un plan de provoquer une nouvelle guerre au Liban, comme en 1975 mais cette fois, les Syriens remplaceraient les Palestiniens, et les Chiites remplaceraient les chrétiens...

Si une telle perspective ne pousse pas les chefs de file libanais à réagir, c’est que ceux-ci sont soient totalement coupés des réalités, soit incapables de prendre position, soit complices... Malheureusement, c’est le Liban tout entier qui paiera le prix, pas seulement dans le présent, mais aussi pour l’avenir.

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