Abandonné par l’Occident, le Liban doit diversifier ses options pour survivre
Par Samer R. Zoughaib
L’annonce lors du G20 de New Delhi du lancement du «corridor économique Inde - Moyen-Orient - Europe» est un développement géopolitique majeur dans le cadre de la confrontation entre l’Occident d’un côté, la Chine et la Russie de l’autre. Laissé pour compte au profit d’«Israël», le Liban doit réfléchir à ses options.
Ce n’est pas un hasard si le G20, devenu l’un des principaux instruments de l’hégémonie occidentale, a choisi l’Inde pour annoncer le lancement, le samedi 9 septembre, du gigantesque projet baptisé le «corridor économique Inde - Moyen-Orient - Europe».
Cinquième économie mondiale et 1ère économie des pays émergents, l’Inde, qui est membre des Brics et de l’Organisation de coopération de Shanghai, est le socle sur lequel l’Occident a choisi de bâtir sa stratégie pour contrer l’ambitieux projet chinois appelé les «Nouvelles routes de la soie».
Cette initiative, lancée il y a tout juste dix ans par le président Xi Jinping et rebaptisée «L’initiative de la ceinture et de la route» (BRI, en anglais), prévoit de connecter 150 pays en Eurasie et en Afrique à travers des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars dans les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et dans le domaine des télécommunications. Ces projets ont permis la création de centaines de milliers d’emplois dans les pays concernés et ont contribué au développement de leur économie.
Le projet occidental, annoncé par le président américain Joe Biden l’an dernier au sommet du G20 de Bali, est une réponse directe aux «Nouvelles routes de la soie».
Après avoir surmonté les réticences de la France et de l’Allemagne, qui hésitaient à s’engager dans une confrontation commerciale et économique avec la Chine, les Américains ont dévoilé leurs intentions qui visent en premier et dernier lieu à pérenniser leur hégémonie planétaire à travers des alliances militaires (Aukus) et des partenariats économiques.
«Israël» au cœur du nouveau corridor
Le nouveau projet occidental est un corridor reliant l’Inde à l’Europe via le Moyen-Orient, équipé d’une liaison ferroviaire, d’un câble transcontinental haut débit et d’un futur gazoduc à hydrogène.
Si aucun investissement global n’a encore été annoncé, la participation de l’Europe serait à hauteur de 300 milliards d’euros, entre 2021 et 2027.
Les pays arabes sont directement impliqués dans cette initiative car le nouveau corridor passera par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie et «Israël», de fidèles alliés de Washington malgré les timides velléités de diversification des relations étrangères affichées par le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salmane.
On comprend maintenant le véritable but de la «normalisation» des relations entre certains Etats arabes et «Israël» entamée il y a des années sous l’impulsion des Etats-Unis et la raison de l’empressement des pétromonarchies du Golfe à normaliser leurs rapports avec l’entité sioniste sans aucune contrepartie politique, économique ou autre au bénéfice du peuple palestinien.
Le Liban est totalement absent de ces aménagements géopolitiques régionaux et internationaux en gestation. Ses alliés présumés occidentaux et ses «amis» arabes l’ont oublié.
Le Liban a perdu tous ses atouts
Par un malheureux hasard, la destruction des principaux secteurs qui faisaient la force du Liban dans la région s’est accélérée ces quatre dernières années. D’autres secteurs n’étaient déjà plus une valeur ajoutée depuis une vingtaine d’année, comme l’édition et les médias, qui se sont développés dans certains pays arabes.
Mais depuis 2019, nous assistons à un démantèlement en règle de secteurs-clé qui constituaient des atouts pour le pays du cèdre, comme les banques, les hôpitaux, l’éducation.
Sachant le rôle direct joué par les Etats-Unis dans l’effondrement du secteur bancaire (de l’aveu même de l’ex-diplomate David Schenker), on s’interroge si cette destruction systématique des points forts du Liban est une simple coïncidence ou un plan orchestré visant à mettre le pays hors-jeu dans la compétition régionale au profit des alliés des Etats-Unis, « Israël » en tête. A qui d’autres profite, par exemple, la destruction du port de Beyrouth, qui était de tout temps un hub de transit vers l’hinterland arabes ?
Vu à travers ce prisme, l’explosion du 4 août 2020 n’est-elle pas un événement «providentiel» permettant au port de Haïfa de s’emparer de ce rôle ?
Toutes ces questions deviennent légitimes lorsque l’on constate que le nouveau corridor imaginé par les Américains s’articule, dans sa partie moyen-orientale, autour d’«Israël», de l’Arabie saoudite, de la Jordanie et des Emirats arabes unis, en excluant le Liban, la Syrie et l’Irak, des pays qui ne sont pas dans l’orbite politique de Washington. Trois pays qui sont soumis à des pressions économiques ou des sanctions financières sans précédent, et, dans le cas de la Syrie, à une occupation militaire directe.
Face à la perte des atouts qui ont fait la force du Liban et lui ont permis de jouer un rôle central dans la région, les élites politiques et économiques restent passives.
Dans le meilleur des cas, cette attitude relève d’un acte d’irresponsabilité, dans le meilleur il s’agit de complicité avec des plans visant à marginaliser le pays.
Les élites occidentalisées fonctionnent toujours selon le même logiciel simpliste qui présume que les intérêts du Liban résident dans un alignement aveugle sur les politiques et les choix économiques de l’Occident.
L’Occident n’a plus le monopole du développement
Pourtant, l’évolution actuelle montre que le Liban n’a pas sa place dans les nouveaux aménagements en cours et les événements des quatre dernières années prouvent qu’il a été poussé de force vers la sortie.
Pour ne pas être marginalisé, voire disparaître dans ce monde mouvant, la seule option pour le Liban est de diversifier ses options dans le domaine des relations extérieures. Ses élites dirigeantes doivent cesser de faire obstruction à l’établissement de rapports politiques et économiques avec les puissances montantes, notamment la Chine, la Russie et l’Iran. Elles doivent admettre que l’Occident n’a plus le monopole du développement et qu’il n’est plus le seul pôle sur lequel il faut s’aligner aveuglément quitte à hypothéquer toutes les autres options.
Il faut, surtout, que ces élites réalisent enfin que les puissances occidentales ne placent plus le Liban en tête de leur priorité et que leurs préférences, dans tous les domaines, vont à «Israël».