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Michel Aoun à Damas, la tête haute et la vision stratégique inchangée

Michel Aoun à Damas, la tête haute et la vision stratégique inchangée
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Par Fouad Karam

L’ancien président Michel Aoun reste fidèle à sa réputation. Les rapports américains à la fin des années 80 et au début des années 90 du siècle dernier le qualifiaient d’ «incontrôlable et imprévisible». Il a montré une fois de plus, mardi dans sa visite-surprise à Damas, qu’il est toujours le même : ni l’âge, ni l’expérience, ni le pouvoir, ni les déceptions ou les trahisons ne l’ont changé.  Aoun qui fêtera en février prochain ses 89 ans a donc réussi à surprendre une nouvelle fois même ceux qui croient le connaître.  

Certes, la visite à Damas était dans l’air depuis plusieurs mois, mais l’ancien président voulait attendre le bon timing. En tant que président de la République, il avait songé à plusieurs reprises se rendre à Damas, pour relancer officiellement les relations entre les deux pays, sachant que lui-même avait maintenu le contact avec son homologue syrien le président Bachar Assad. Mais en tant que chef de l’Etat il se heurtait toujours à une opposition de la part de nombreuses parties politiques et officielles libanaises, ce qui le faisait hésiter à franchir un tel pas alors que toutes ses démarches devaient être faites au nom des Libanais. Cela ne l’avait pas empêché de défendre la cause de la Syrie, notamment son retour au sein de la Ligue arabe, à toutes les occasions internationales et régionales et devant toutes les tribunes possibles. C’est d’ailleurs ce qui lui permettait de réclamer le retour des déplacés syriens chez eux dans les plus brefs délais, en toute bonne conscience, sachant qu’il le faisait pour l’intérêt  de son pays, le Liban, et dans celui des déplacés syriens eux-mêmes qui devraient être mieux dans leur propre pays, maintenant que les combats se sont calmés dans plusieurs régions de la Syrie. Sur ce sujet en particulier, son émissaire personnel l’ancien ministre Pierre Raffoul, maintenait le contact avec les autorités syriennes pendant les années du mandat présidentiel. C’est d’ailleurs le même Pierre Raffoul qui a accompagné Michel Aoun dans sa visite mardi à Damas.

Dans cette visite, l’élément qui ressort en premier est le timing. Sur le plan interne, elle intervient à un moment où la plupart des parties politiques internes considèrent que le CPL fondé par Michel Aoun a perdu son principal allié, le Hezbollah, avec lequel il avait conclu une entente «historique» le 6 février 2006. Cette entente avait d’ailleurs renversé les rapports de force interne et tenu bon en dépit des développements et des pressions locales, régionales et internationales pour la briser. Aujourd’hui et en raison du dossier présidentiel, les relations entre le CPL et le Hezbollah battent de l’aile et de nombreuses parties politiques considèrent qu’en perdant son principal allié, le CPL est isolé sur la scène interne...

C’est donc à ce moment précis, où le CPL et son chef honoraire pourraient se sentir seuls sur la scène interne que Michel Aoun se rend en Syrie, auprès du principal allié du Hezbollah après l’Iran. Certains y ont vu une volonté de demander l’aide du président syrien Bachar Assad soit pour renouer avec le Hezbollah, soit pour pousser ce dernier à renoncer à la candidature du chef des Maradas Sleimane Frangié. Mais ces deux hypothèses sont fausses, car ni Michel Aoun, qui préfère le titre de «général» plutôt que celui de «président», ne considère avoir besoin d’une médiation syrienne pour renouer avec le Hezbollah, ni il considère que la question présidentielle doit être traitée avec le président syrien, même si Sleimane Frangié ne cache pas son amitié personnelle avec Bachar el Assad.

Des sources proches du CPL confirment qu’au contraire, la visite à Damas en ce timing précis est un moyen de dire à tous ceux qui misaient sur un changement de la «boussole aouniste» que le général et tous ceux qui l’appuient restent dans la même vision stratégique qui leur a dicté de condamner la guerre en Syrie et la volonté de faire chuter le régime au profit de groupes extrémistes, voire terroristes. C’est cette vision qui les pousse aujourd’hui à continuer à rejeter les guerres parallèles visant à affaiblir les régimes et à empêcher le monde arabe de se ressouder et d’adopter une stratégie commune de développement.

Cette visite ne s’inscrit donc pas dans le cadre de la petite politique interne libanaise, elle montre plutôt que contre vents et marées et en dépit des souhaits de certains, le général Aoun reste à sa place sur le plan stratégique. D’ailleurs, l’accueil qui lui a été réservé par les autorités syriennes et par le président Bachar Assad montre que ceux-ci reconnaissent à Aoun l’importance de ses positions au moment où une grande partie de la communauté internationale, non seulement critiquait les autorités syriennes mais de plus, misaient sur leur chute.

D’ailleurs, sur le plan régional, cette visite intervient à un moment où la Syrie est en train de retrouver sa place au sein du monde arabe. Il y a eu d’abord le rétablissement des relations avec l’Arabie saoudite suite à des rencontres entre les responsables sécuritaires dans un premier temps, puis diplomatiques et politiques par la suite et enfin le retour officiel de la Syrie au sein de la Ligue arabe. On se souvient de l’arrivée triomphale du président Bachar Assad à Djeddah pour participer aux travaux du sommet arabe qui s’y est tenu il y a quelques semaines. Ce sommet a donc eu l’effet d’un déclic et depuis, plusieurs Etats arabes sont en train de renouer leurs relations avec la Syrie. Le timing global est donc en faveur de la Syrie et c’est ce moment précis que choisit justement le président Michel Aoun pour rencontrer Bachar Assad et lui présenter ses félicitations pour avoir tenu bon et pour être de nouveau réhabilité sur le plan arabe. De son côté, en le recevant avec les honneurs dus à un chef d’Etat comme s’il était encore en fonction, Bachar Assad a voulu montrer qu’il n’oublie pas ce qu’a fait Michel Aoun pour la Syrie au moment où elle était quasiment abandonnée par une partie de ses frères arabes et par ce qu’on appelle la communauté internationale. Le président syrien a ainsi adressé un double message clair d’une part à tous ceux dans le monde qui l’avaient condamné et qui avaient considéré qu’il était fini et d’autre part à tous ceux qui au Liban ont trahi la Syrie alors qu’ils ont été considérés comme ses alliés pendant des années.

Aujourd’hui, au Liban, les parties politiques se divisent ainsi en quatre catégories : ceux qui se rendent à Damas en secret, ceux qui demandent des rendez- vous à Damas, ceux qui n’osent même pas le faire et préfèrent se lancer dans une fuite en avant, et ceux qui s’y rendent la tête haute. Michel Aoun fait partie de cette dernière catégorie...

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