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Riad Salamé, Game over!

Riad Salamé, Game over!
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Par Fouad Karam

Ce qui devait arriver a finalement eu lieu. Depuis quelques mois, la probité du gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé est remise en question par les justices de plusieurs pays européens. Sa fortune personnelle, les différentes sociétés qu’il a fondées avec son frère Raja et les biens donnés à ses amies, ainsi que ses moindres transactions financières sont scrutées au peigne fin. Même si le Liban officiel faisait semblant de ne rien voir, il était de plus en plus clair pour le commun des mortels que la fin de l’homme qui tient les finances de l’Etat et celles de beaucoup d’autres entre ses mains, depuis 1992 approche.

D’ailleurs, dans une rencontre informelle avec des journalistes, il y a quelques mois, un responsable officiel du pays a reconnu que les Etats-Unis étaient en train de lever la protection qu’ils accordaient à Riad Salamé et qu’ils avaient même dit aux Libanais : Vous pouvez le changer, mais nous voulons juste savoir qui va le remplacer…

Malgré ce signal clair, les responsables libanais ont continué à faire la sourde oreille et à se comporter comme si de rien n’était et que Riad Salamé est intouchable. Ils misaient sans doute sur le fait qu’avec la fin du mandat de Michel Aoun et la vacance présidentielle, il serait impossible de désigner un nouveau gouverneur et le plus simple serait donc de proroger le mandat de l’actuel… pour éviter la vacance au niveau de ce service public de la plus haute importance. Même les signaux venus d’Europe, et les visites successives de délégations judiciaires européennes à Beyrouth pour enquêter sur les fonds de Salamé n’ont pas poussé les responsables libanais à réagir. Ces derniers devaient sans doute croire que comme cela se passe au Liban, ils auraient gain de cause à l’usure, en laissant passer la vague sans réagir.

Pourtant, les soupçons qui pèsent sur la fortune de Salamé en Europe ne sont pas du genre que l’on peut occulter ou oublier en Europe. Selon les informations qui ont filtré, l’homme serait soupçonné de blanchiment d’argent et de malversations financières diverses, accomplies en Europe. Ce qui fait que les autorités judiciaires européennes pouvaient difficilement tourner la page et refermer les dossiers…

Sollicités, les Américains n’ont même pas réagi. Il était clair que l’homme qui a régné sur les finances de l’Etat depuis près de 30 ans (il avait été nommé à ce poste par le premier gouvernement présidé par le martyr Rafic Hariri) ne bénéficiait plus de l’habituelle couverture américaine. Il s’est donc rabattu, avec la complicité de ses amis libanais, sur l’intérieur du pays, essayant de trouver des raisons pour justifier son refus de répondre aux demandes judiciaires européennes. Il faut ici rappeler qu’après son interrogatoire par les juges européens, des informations avaient été publiées dans les médias libanais sur le fait qu’il aurait répondu avec aisance à toutes les questions qui lui ont été adressées via des juges libanais et il était tellement sûr de lui qu’il a même fumé le cigare pendant l’audience. Aujourd’hui, avec la publication d’un mandat d’arrêt international à son encontre toutes ces informations deviennent dérisoires. Il était peut-être à l’aise devant les juges européens, mais il ne les a certainement pas convaincus puisqu’ils ont émis un mandat d’arrêt international à son encontre.

Autrement dit, toutes les protections internationales sollicitées n’ont pas été utiles et Riad Salamé n’a plus d’autre recours que celui de se dissimuler derrière les parties libanaises qui l’appuient. En fait, depuis l’annonce de la publication du mandat d’arrêt international à son encontre, les plus embarrassés sont certainement les juges libanais et les forces de sécurité chargées d’exécuter ce mandat. Toutes les excuses avancées, d’abord le fait qu’il n’a pas été notifié selon les règles et ensuite le fait qu’il serait introuvable ne convainquent personne. Mais c’est tout ce que les puissants amis libanais de Riad Salamé ont pu trouver pour le maintenir en liberté.

Riad Salamé peut continuer à fuir la justice internationale. Il peut même trouver un refuge doré pour y couler des jours tranquilles, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne peut pas continuer à assumer ses responsabilités. Comme on dit en anglais : Game is over !

En des termes plus modernes, on peut dire que sa carte n’est plus utilisable. Elle est même périmée. Tout ce qui avait été donc dit au sujet d’une possible prorogation de son mandat (certains le voyaient même comme le seul candidat sérieux à la présidence de la République) ne tient plus la route. Sa carrière à la tête de la Banque centrale au Liban est finie de la plus humiliante des façons. Il avait refusé toutes les propositions faites au cours des dernières années de se retirer discrètement et le voilà maintenant qui n’a plus d’autre possibilité que de se trouver un refuge sûr. Mais s’il était vraiment aussi convaincu de son innocence pourquoi craindrait-il de comparaître devant les juges européens considérés comme plus autonomes que les juges du Liban qui pourraient être soumis à des pressions politiques ? Selon les milieux financiers et économiques libanais, la longue page de Riad Salamé à la Banque centrale est en train d’être tournée. Même si un jour il est innocenté, il ne lui sera plus possible de revenir à cette fonction. Même son important réseau de relations dans le monde politique, médiatique et financier ne pourra pas changer cette réalité. Selon les milieux précités, les Libanais devraient donc s’habituer à cette idée et la justice européenne prendre son cours…

Mais la question qui reste posée est la suivante : qui va prendre la relève à la tête de la Banque centrale du Liban ?

Si, il y a quelques jours encore, toute la tactique de Salamé et de ses amis était de se rendre indispensable face à l’impossibilité de lui nommer un remplaçant, aujourd’hui, avec la publication du mandat d’arrêt international, elle ne peut plus être appliquée. Selon des sources judiciaires, même si la justice libanaise n’exécute pas le mandat d’arrêt, Riad Salamé ne pourra plus exercer ses fonctions, car il sera repéré et l’excuse qu’il est introuvable ne tiendra plus.

Toutefois, le gouvernement actuel chargé d’expédier les affaires courantes ne peut pas en principe procéder à la nomination d’un nouveau gouverneur. Même le secrétaire général du Hezbollah a déclaré dans un de ses discours que son parti n’acceptera pas que le gouvernement démissionnaire procède à des nominations administratives. Il reste donc deux scénarios : soit les députés élisent un nouveau président dans les plus brefs délais et le processus constitutionnel reprendra la formation d’un gouvernement qui lui, fera les nominations nécessaires. Soit, le vice-gouverneur devrait assurer l’intérim en attendant que le processus constitutionnel puisse reprendre. De toute façon, il y aura une période relativement courte au cours de laquelle il faudra assurer l’intérim en attendant la désignation d’un nouveau gouverneur de la Banque centrale. Si Salamé reste en fonction, cela signifiera que le Liban aura perdu toute crédibilité sur le plan international…

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les candidats à la succession de Riad Salamé ont soudain fait leur apparition. Certains comme l’ancien ministre du Travail choisi par les Forces Libanaises, l’avocat international Camille Abou Sleimane font ouvertement campagne, d’autres se contentent de demander que leurs noms soient glissés dans les médias. On parle ainsi notamment de Jihad Azour, dont le nom circule aussi pour la présidence de la République, ainsi que de Samir Assaf, qui a travaillé dans le secteur bancaire, d’Alain Bifani, ancien directeur général du ministère des Finances et de Mansour Bteich, ancien ministre proche du CPL. Il y aurait peut-être aussi d’autres noms, mais pour l’instant ce sont ceux qui circulent. Ce qui est sûr, c’est que le Liban devrait faire vite, la situation économique et financière du pays ne supporte pas en effet les atermoiements et les tiraillements politiques habituels. Il y va de l’avenir immédiat du Liban et des Libanais. Il est urgent que chaque partie assume ses responsabilités…

 

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