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Le dossier des déplacés syriens au Liban: un timing suspect pour un problème réel

Le dossier des déplacés syriens au Liban: un timing suspect pour un problème réel
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Par Soraya Hélou

Depuis le début de la guerre en Syrie, à partir de 2011, le Liban s’est retrouvé en première ligne dans l’accueil des déplacés syriens. Au début de cette guerre qui se prolonge depuis près de 12 ans, le Liban officiel avait ouvert ses portes de façon désordonnée, convaincu que les déplacés étaient là pour une courte période, «le temps que le régime de Bachar Assad tombe». Ce qui, selon des parties arabes et occidentales était à la fois inévitable et imminent.

Douze ans plus tard, les déplacés syriens sont devenus près de 2 millions, de nombreux enfants sont nés au Liban, sans avoir été enregistrés en Syrie et le chaos menace les Libanais en raison de cette présence massive et sans solution prochaine. Chaque jour, et cela dure depuis des mois, les incidents se multiplient entre déplacés et Libanais, dans de nombreuses localités dispersées sur l’ensemble du territoire. Les Libanais se plaignent, sans résultat et ils apprennent à vivre avec cette menace permanente.

Mais soudain, le dossier des «Déplacés syriens» est revenu en force dans les médias, devenant la priorité absolue au détriment du dossier présidentielle, de la crise financière et d’autres problèmes que les Libanais affrontent. Tous les médias commencent leurs informations par ce dossier et depuis quelques jours, les incidents qui faisaient partie des faits divers sont devenus l’événement le plus important de l’actualité, alors que les différentes parties politiques multiplient les déclarations menaçantes à l’égard de ces déplacés.

C’est comme si brusquement, les médias et les différentes forces ont compris la gravité de ce dossier alors que celui-ci est ouvert depuis plus de dix ans. Les nombres sont certes aujourd’hui effrayants, mais les déplacés syriens ne se sont pas multipliés au Liban en quelques jours. Pourquoi alors ce soudain intérêt des forces politiques et des médias pour ce dossier ?

Au cours des derniers jours, la violence des déclarations de certains chefs politiques aurait pu faire croire que le Liban était à la veille d’une nouvelle guerre, à l’image de celle de 1975, qui avait éclaté entre les organisations palestiniennes et les parties chrétiennes libanaises. Mais cette fois, les Syriens pourraient remplacer les Palestiniens. Plusieurs municipalités ont ainsi pris des mesures contre les déplacés syriens et les habitants locaux ont commencé à former des groupes en principe destinés à protéger les Libanais contre d’éventuelles exactions de la part de déplacés syriens. De même, certains articles de presse ont fait état de la présence parmi les déplacés d’éléments formés au maniement des armes et qui seraient donc prêts à se battre à la moindre friction.

Cette tension et le malaise accentué par les médias entre les déplacés syriens et les Libanais ont poussé certaines parties politiques et sécuritaires à réagir. Les premières pour rappeler que les déplacés syriens sont eux aussi des victimes de la guerre qui a fait rage dans leur pays et qu’il ne faut donc pas les traiter comme des intrus et des coupables, mais plutôt œuvrer à favoriser leur retour dans leur pays. Les secondes ont réagi en surveillant de près certains groupes de déplacés soupçonnés de vouloir provoquer des troubles.

En même temps, les responsables officiels ont décidé (enfin) de réagir en formant une commission ministérielle qui serait chargée de discuter avec les autorités syriennes des modalités d’un retour des déplacés qui se sont rendus récemment en Syrie, ce qui leur enlève le statut de déplacés et pousse à leur rapatriement. Ils seraient au nombre de 37000. Le chiffre peut paraître dérisoire comparé à la présence syrienne massive au Liban, mais il peut constituer le début d’un processus de retour dans le cadre d’un dialogue avec les autorités syriennes.

Ce point reste justement en suspens. Jusqu’à récemment, de nombreuses parties libanaises, sur la base des positions internationales et arabes, refusaient tout dialogue avec les autorités syriennes. Mais soudain, et comme par hasard alors que la tendance générale est aux ententes dans la région, notamment après l’ouverture d’un dialogue entre l’Arabie et la Syrie et l’annonce de la conclusion d’une entente entre l’Arabie et l’Iran, sans parler des tentatives de rapprochement entre la Syrie et la Turquie.

En principe, ces développements considérés comme positifs, car toutes les ententes dans la région sont de nature à faire baisser les tensions, devraient avoir des conséquences sur le Liban. Mais ces conséquences sont diversement interprétées au Liban.

Les parties hostiles au Hezbollah ne cachent pas leur méfiance à l’égard de ces rapprochements et ce serait la raison pour laquelle elles se seraient brusquement intéressées au dossier des déplacés syriens, prenant des positions en flèche contrairement à celles qu’elles avaient dans le passé pour justement détourner l’attention générale des conséquences possibles de l’accord irano-saoudien sur le Liban. Des sources sécuritaires évoquent cette possibilité, tout en s’empressant d’ajouter que jusqu’à présent, il n’y a aucune décision régionale et internationale de déstabiliser le Liban. Par conséquent, les déclarations enflammées de ces parties seraient destinées à la consommation interne et en même temps, elles adressent un message d’inquiétude à leurs parrains régionaux et internationaux.

Selon une autre interprétation, la soudaine campagne médiatique et politique au sujet du dossier des déplacés syriens serait destinée à montrer l’importance d’élire un président en mesure de traiter ce dossier avec les autorités syriennes pour amorcer un retour digne et sûr des Syriens chez eux. Quelles que soient les parties qui sont derrière cette campagne, celle-ci servirait les intérêts du candidat Sleimane Frangié pour la présidence de la République.

Il existe encore une troisième interprétation selon laquelle l’ouverture politique et médiatique de ce dossier en ce timing précis viserait à provoquer une grande angoisse de la détérioration de la sécurité chez les Libanais. Or, en général, dans ce pays, lorsque les gens sont inquiets ils se tournent vers l’armée qui reste la seule institution étatique encore debout et qui jouit de la confiance des citoyens. Ce qui serait de nature à favoriser la candidature du commandant en chef de l’armée pour la présidence de la République. Toutefois, des sources militaires rejettent un tel scénario et rappellent que le commandant en chef de l’armée n’est pas candidat à la présidence et il a trop à faire pour consacrer du temps à ce genre de scénarios qui n’ont rien à voir avec la réalité.

Quelle que soit l’interprétation choisie, il n’en reste pas moins que l’ouverture politique et médiatique du dossier des déplacés syriens en ce timing précis, a ravivé les inquiétudes internes sur le maintien de ces déplacés de façon aussi massive au Liban, alors que les zones de guerre en Syrie sont devenues réduites. Pourquoi les pays donateurs qui aident les déplacés syriens au Liban refusent-ils de les aider dans leur pays ? Sachant que leur retour en grand nombre en Syrie exige des conditions sociales et économiques qui ne sont pour l’instant pas assurées. L’entente saoudo-syrienne, si elle se précise, pourrait d’ailleurs pousser le royaume wahabite à investir dans la reconstruction de la Syrie, ce qui pourrait favoriser le retour des déplacés chez eux en leur assurant des toits et des emplois.

Quant aux informations sur un refus des autorités syriennes de laisser les déplacés revenir massivement chez eux, elles ne peuvent pas être vérifiées avant d’ouvrir un dialogue sérieux avec Damas à ce sujet.

Que le dossier ait donc été ouvert pour des raisons politiques ou autres, il n’en reste pas moins que de plus en plus de Libanais sont désormais convaincus de la nécessité de ne pas garder les déplacés syriens au Liban pour des raisons démographiques, économiques et même politiques. La position occidentale de refus du retour chez eux des déplacés syriens n’est plus acceptable aux yeux de nombreux Libanais et comme l’a dit l’ancien président Michel Aoun dans un discours dimanche dernier à Jezzine, le Liban ne peut plus jouer le rôle de garde-côtes pour le compte des Européens... Autrement dit, ceux-ci pourraient venir en Europe, ce que celle-ci rejette à tout prix.

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