La Russie ébranle «l’ordre mondial» occidental
Par Samer Zoughaib
Certes, c’est l’armée russe qui a pénétré en territoire ukrainien et qui assiège les villes de ce pays et non l’inverse. Mais cette version simpliste suffit-elle pour expliquer les raisons et les enjeux de ce conflit ? Ne faut-il prendre du recul pour comprendre ce qui se passe et déterminer les responsabilités réelles des uns et des autres ?
La lecture au premier degré présentée par les médias mainstream dit que «l’Ukraine se défend contre une invasion russe». Cette explication est servie par les élites dirigeantes américaines et européennes à leur opinion publique sous forme de matraquage continu. Tout l’arsenal de la propagande est déployé : exagération, amalgames, montages de photos et de vidéos, victimisation des uns et diabolisation des autres. Pour s’assurer que cette seule version arrivera aux populations occidentales, les pays soi-disant démocratiques ont procédé à une vaste censure des avis contraires pour étouffer toute voix discordante au mépris de la liberté d’expression et de la diversité des sources ; des valeurs au nom desquelles l’Occident a mené des guerres et assujetti des peuples. Mais lorsque ces valeurs ne servent plus ses intérêts, ce même Occident les piétine sans état d’âme.
Une guerre de l’Otan contre la Russie
Ce qui se passe en ce moment n’est pas une «invasion de l’Ukraine» par la Russie mais une guerre de l’Otan contre ce pays.
Moscou a choisi de passer à l’action avant que l’étau ne se referme sur ses frontières. Avant d’en arriver là, elle a essayé par tous les moyens de se faire accepter comme Etat souverain et indépendant par ses «partenaires» occidentaux, selon le terme utilisé par les dirigeants russes. Mais les Occidentaux ne veulent pas des partenaires. Ils exigent des vassaux, des «alliés» prêts à abandonner une partie ou toute leur souveraineté, pour être acceptés dans le club des «grands» en tant qu’acteur subalterne, simple exécutant des rôles et des fonctions attribués dans un monde aménagé autour des intérêts des Etats-Unis.
Or la Russie, comme la Chine, l’Iran et d’autres pays, refuse ce rôle. Elle exige que ses intérêts soient pris en considération par la puissance hégémonique et parmi ces intérêts figure, en premier lieu, sa sécurité et son intégrité territoriale.
Il est inconcevable qu’un pays souverain accepte un dispositif militaire hostile à ses frontières. L’élargissement de l’Otan vers l’Est, malgré les promesses contraires faites à la Russie dans la foulée du démantèlement de l’Union soviétique, n’ont pas été respectées.
Le processus d’encerclement de la Russie s’est accéléré ces deux dernières décennies avec la complicité des Européens bien que la Russie a exprimé à maintes occasions une volonté d’établir une dynamique de coopération sincère bénéfique à tous. Mais Washington et ses alliés ont fait la sourde oreille à ces propositions.
Objectif de la Russie: un monde multipolaire
La réaction de la Russie au processus d’encerclement était inévitable et prévisible. En ignorant les craintes et les mises en garde de Moscou, les élites dirigeantes occidentales ont pris consciemment le risque de replonger l’Europe et le monde dans une nouvelle guerre froide et de placer l’humanité au seuil d’une troisième guerre mondiale.
La Russie a décidé de passer à l’attaque pour se défendre avant qu’il ne soit trop tard. Elle s’attaque avant tout à un «ordre mondial» imposé par l’Occident.
Son objectif déclaré est de permettre l’aménagement d’un ordre mondial multipolaire, débarrassé de l’hégémonie des Etats-Unis, responsables de 70% des conflits qui ont éclaté depuis la seconde guerre mondiale, comme l’a montré un communiqué publié par l’ambassade de Chine à Moscou.
L’acte fondateur de ce nouvel ordre, basé sur des relations équilibrées et une coopération bénéfique pour tous, a été énoncé dans un communiqué conjoint publié par les présidents russes et chinois après leur sommet, le 4 février dernier.
Sur un plan strictement militaire, le but de la Russie n’est pas d’occuper l’Ukraine mais de convaincre ce pays d’accepter un statut de neutralité pour mettre en échec son encerclement par l’Otan.
A ce stade de l’opération militaire, l’armée russe n’utilise pas toute sa puissance de feu, évite d’entrer dans les grandes villes ukrainiennes –se contentant de les encercler- et de provoquer d’importantes destructions des infrastructures civiles.
L’Occident, lui, cherche à entraîner les Russes dans une longue guerre d’usure pour tenter de rééditer le scénario afghan qui a accéléré la chute de l’Union soviétique.
Dans ce conflit, Américains et Européens ont oublié leurs petits désaccords et font front commun contre la Russie, n’hésitant pas à fournir armes, matériel, hommes et argent pour que les Ukrainiens se battent à leur place. Ce n’est pas grave si le peuple ukrainien sert de chair à canon pour maintenir l’hégémonie occidentale sur le monde.
La Russie non plus n’est pas seule. D’importants pays, comme la Chine et l’Iran, la soutiennent, ou refusent de la condamner, comme l’Inde, le Brésil et la plupart des pays africains et asiatiques. Car la Russie aussi se bat pour tous les autres afin de les débarrasser de l’hégémonie américaine.