Avec un «ami» comme les Etats-Unis, le Liban n’a pas besoin d’ennemis
Par Samer Zoughaib
Même si une opération de diversion est en cours pour désigner l’Iran comme ennemi des Libanais, ce sont les Etats-Unis qui menacent réellement l’unité et les intérêts du Liban et qui sont responsables de la crise multiforme qui le frappe.
Depuis l’éclatement de la crise en octobre 2019, et plus particulièrement depuis la double explosion dévastatrice du port de Beyrouth, le 4 août 2020, les Libanais affichent leurs profondes divergences sur presque toutes les questions, qu’elles soient de nature tactique ou stratégique : la conduite des affaires de l’Etat, les options économiques, le positionnement régional du Liban, l’identification des amis et des ennemis…
Certaines personnalités expriment des doutes, voire carrément une tenace hostilité vis-à-vis de la Résistance qui a libéré la terre de l’occupation «israélienne» au prix de grands sacrifices, sachant que même les mouvements de libération nationale ont rarement fait l’unanimité au sein d’un peuple, où il se trouvera toujours de zélés collaborateurs ; la France sous l’occupation nazie en est l’exemple le plus éloquent.
Les experts de renom au Liban et ailleurs affirment que la crise qui frappe le pays depuis plus de deux ans, est due aux choix économiques pris au lendemain de la fin de la guerre civile et à la corruption endémique encouragée par la nature confessionnelle du système politique. Cependant, certaines voix au Liban tentent de faire assumer au Hezbollah la responsabilité de «la pire crise économique et financière au monde depuis la moitié du XIXème», selon la Banque mondiale.
Pourtant, il n’est un secret pour personne que le Hezbollah n’a rien à voir, ni de près ni de loin, dans les choix économiques adoptés il y a plusieurs décennies, et encore moins dans la corruption qui gangrène l’administration publique, en partenariat avec une partie du secteur privé. Le Hezbollah n’est entré au gouvernement qu’à partir de 2005, et n’a jamais occupé plus de deux portefeuilles (non régaliens) dans des Cabinets de 24 ou de 30 ministres.
Mike Pompeo donne le signal dès mars 2019
Les conditions de la crise étaient réunies depuis des années, mais le système était maintenu en vie artificiellement. Ce sont les Etats-Unis qui ont choisi le timing lorsque l’Administration du président Donald Trump a décidé d’appliquer la politique des «pressions maximales».
Le détonateur a été, de l’aveu même du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, les sanctions prises par le Trésor américain contre la Jammal Trust bank (JTB), en septembre 2019. Ce signal a poussé des investisseurs et des déposants, individuels et institutionnels, à retirer hâtivement en quelques semaines seulement des milliards de dollars des banques locales, provoquant l’effondrement du système bancaire et, par conséquent, la crise économique qui a suivi.
Le signal de la guerre multiforme que subit le Liban a été donné par l’ancien secrétaire d’Etat Mike Pompeo lors de sa visite au Liban en mars 2019, soit 7 mois avant l’étincelle du 17 octobre.
A la veille de son arrivée à Beyrouth, M. Pompeo, dont l’administration a reconnu la souveraineté d’«Israël» sur AlQods (Jérusalem) et le Golan syrien occupés, a regretté que les administrations américaines précédentes n’aient pas pris des «mesures plus radicales pour limiter l’influence du Hezbollah sur le Liban». A l’époque, certains médias israéliens avaient indiqué que le chef de la diplomatie américaine «pourrait menacer de sanctions le système bancaire libanais». Quelques mois plus tard, ce secteur s’effondrait sous les coups de l’«ami» américain, entraînant la ruine de millions de Libanais.
Les Etats-Unis ont trouvé dans des personnalités et des partis politiques libanais des porte-voix et des leviers pour relayer leur discours belliqueux à l’égard du Hezbollah, qui est un parti politique présent au Parlement et au gouvernement, jouissant de surcroît d’une grande popularité au sein de la population libanaise comme l’attestent les scores cumulés obtenus par ses candidats aux dernières législatives (les plus élevés du pays).
Ces porte-voix se sont lancés dans une entreprise de diabolisation du Hezbollah, lui attribuant tous les maux dont souffre le pays. Ils n’ont pas hésité, à coups de fake news, de campagnes médiatiques systématiques, de discours politiques clivant, à essayer d’impliquer la Résistance dans le drame du port de Beyrouth.
Les leviers locaux, de simples exécutants
Comme pour détourner l’attention des véritables responsables des malheurs des Libanais, certaines personnalités tentent de dévier le débat électoral pour le focaliser sur la «libération du Liban de l’occupation iranienne».
Ce dont les Libanais ont besoin aujourd’hui c’est d’un plan de relance économique, d’une restructuration du secteur bancaire pour récupérer leurs épargnes perdues, de réformes politiques susceptibles de moderniser un système politique sclérosé, corrompu et confessionnel, non pas de discours trompeurs destinés à faire diversion des problèmes réels.
Ces leviers locaux de la politique américaine, qu’ils soient des personnalités ou des partis politiques, ou encore des ONG financés par des puissances occidentales, sont engagés corps et âme dans un effort visant à modifier les équilibres politiques lors des prochaines élections législatives.
Leur discours belliqueux à l’égard d’une composante essentielle du tissu socio-politique libanais n’a plus de plafond. Ils distribuent des certificats de patriotisme, classent les Libanais en «souverainistes» et «collaborateurs», expriment des doutes sur l’appartenance nationale d’une frange de la population.
Ces leviers ne sont que des courroies de transmission des projets américains. Pour faire échouer ce plan, il faut identifier et dénoncer en priorité les décideurs et non les exécutants.
Les Etats-Unis sont le véritable ennemi du Liban. Washington affirme haut et fort que sa priorité reste la sécurité d’«Israël» et qu’il œuvrera sans relâche pour garantir la supériorité militaire de l’entité sioniste sur les Arabes.
C’est seulement en identifiant l’ennemi, même s’il se drape dans l’habit de l’ami, et qu’il confie à des acteurs locaux la mise en œuvre de ses politiques, qu’il sera possible de faire échecs à ses plans.