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Des pages inédites sur la guerre de juillet (6): Le package deal de Rice

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Traduction: Dina Chamseddine

Le package deal de Rice : Cessez-le-feu, retrait de la résistance, déploiement de forces multinationales….et report du retour des déplacés

La résidence du président du Parlement à Ein-Tineh, assimilée au treizième jour de l’offensive israélienne à l’œil de l’ouragan, a reçu Condoleeza Rice dans la sobriété, dépourvue de fleurs et de tapis rouge, déroulé au Grand-Sérail  pour l’accueillir. Elle n’y a trouvé que « les épines » du rejet de ses propositions, conçues dans le but de provoquer une guerre qui « fera sauter le pays », comme a indiqué le président Berry.
Les lignes suivantes relateront les formules américaines piégées, les répliques libanaises, mais aussi des propos écrits de la main d’un Sayed, ayant aussi esquissé l’itinéraire de la bataille, qui avait atteint à Bent-Jbeil, Maroun, Aytaroun et Aynata son apothéose, lors de la prise d’assaut de la colonie d’ «Avivim», par les résistants.

Une seule page signée « ton frère Hassan » a renfermé toute la fierté du moment, conjuguée au pari sur la victoire, et sertie par la parfaite confiance en les « moudjahidin » (combattants sur le front) et en Nabih Berri luttant sur le front politique ; Un combattant qui a bravé le chef de de la diplomatie américaine à mains dégantées, essayant de remédier à la scène déroulée au siège de l’ambassade des USA à Awkar, par des bénéfices politiques…Sachant que certains considéraient que les propos de Rice étaient alors moins pénibles que ceux de quelques Libanais.

Le lundi 24/7/2006 : Le président Berry a tenu une série de rencontres ordinaires avec des personnalités, dont l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite Abdel Aziz Khoja et le ministre libanais des Affaires étrangères Fawzi Salloukh qui lui a annoncé l’arrivée de la secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice à Beyrouth et qui devait visiter Ein-Tineh à l’issue de son entretien avec le premier ministre Siniora au Grand-Sérail.
Le président Berri se trouvait dans son bureau lorsque nous l’avons appelé pour observer sur l’écran, la scène de l’arrivée de Rice au Grand- Sérail, où l’attendaient le ministre Fawzi Salloukh et des responsables. Le président a été surpris par l’attitude de Rice, qui s’est tenue un bon moment dans la voiture, jusqu’à l’arrivée du premier ministre Siniora à sa rencontre. Il n’a pu suivre la scène jusqu’au bout, et a regagné son bureau en disant : « cette scène regrettable est une insulte adressée à tous les Libanais. On ne doit pas sous-estimer notre morale en ce moment ». Il a refusé par la suite les justifications de M. Salloukh, qui a dit que Mme Rice considère que son poste équivaut à celui d’un chef de gouvernement.

Selon un témoin de la rencontre, Rice a exprimé sa sympathie au peuple libanais et a transmis « le solide soutien du président américain George Bush au gouvernement libanais et au rôle du premier ministre Siniora. Un rôle qu’elle a largement exposé, et qui selon ses propos, « est en parfaite harmonie avec l’intérêt du Liban, notamment en ce qui concerne la souveraineté libanaise qui, imposée, assurerait une paix permanente avec Israël ». Elle a en outre indiqué que le cessez-le-feu ne sera mis en œuvre qu’à la suite de l’approbation des démarches conduisant à l’application des résolutions internationales, notamment des résolutions 1559 et 1680.

D’après la même source, Rice a ajouté que son administration examine les propositions soumises à Washington par le ministre saoudien des Affaires étrangères, y a demandé l’avis de Siniora, estimant que ces propositions pourraient figurer sur l’agenda du congrès de Rome, durant lequel devront être débattues les questions politiques, conformément aux décisions prises par le G8 à Saint-Pétersbourg.

Siniora a pour sa part détaillé la situation humanitaire pénible, soulignant la nécessité que soit accordée la priorité au cessez-le-feu.

Rice à Ein-Tineh, « conformément aux règles »

Avant l’arrivée de Rice à Ein-Tineh, le président Berri a convoqué le directeur du protocole au Parlement Ali Hamad et lui a demandé d’accueillir seul la délégation américaine.  Le président Berry a voulu par sa démarche, riposter dans la forme, à l’accueil réservé à Rice au Grand-Sérail et adresser un message implicite que la délégation saisirait parfaitement. C’est alors que la secrétaire d’état est arrivée, accompagnée de David Welch, de l’ambassadeur Feltman et d’un grand nombre de diplomates et d’officiers.
A la suite des propos informels, Rice a pris la parole, avancé son projet, soulignant que « ce package-deal représente la seule opportunité pour le règlement du conflit ».

La proposition comprenait :
-Un cessez-le-feu simultané au retrait du Hezbollah vers le nord, au-delà du fleuve Litani.
-Déploiement de forces multinationales conjointement avec l’armée libanaise, pour contrôler la région du sud du Litani jusqu’aux frontières, (Interrogation sur le renouvellement du mandat des Casques bleus pour une période de deux mois, jusqu’à la formation de la nouvelle force).
-Des points d’observation internationaux sur les rives du Litani, pour surveiller les mouvements du « Hezbollah ».
-Les démarches précitées étant accomplies, les citoyens confiants, seront de retour à leurs villages et l’opération de la reconstruction entamée.

Le président Berry a écouté les propos jusqu’au bout, conscient qu’elle n’avait pas évoqué les deux captifs israéliens et ni les fermes de Chebaa. Agacé, mais sans le montrer, il s’est empressé de répliquer : « ce que vous avancez est un projet de guerre et non de solution. Cette formule fera sauter le pays. Savez-vous qu’il existe huit cent mille déplacés, hors de leurs villages ? »

Il a ensuite exposé les détails des massacres commis par "Israël" et a proposé un plan en deux étapes :
La première comprend :
-Un cessez-le-feu global
-Echange des captifs, dans les proches délais
-Retour des déplacés

La seconde étape comprend :
-Examiner toutes les propositions déjà avancées.
Le président Berry a expliqué  les dangers et les complications qui découleraient du report du retour des déplacés, et les répercussions d’une telle démarche sur la situation libanaise interne, en illustrant son discours d’exemples concrets.

Rice : Ce que vous avez avancé est hors de question. En tout état de cause, l’affaire des deux soldats israéliens n’est guère importante en ce moment.

Le président Berry a alors compris qu’elle suggère que sa situation et celle de l’israélien est commode, que la guerre diplomatique est plutôt menée par les Etats Unis que par "Israël", et que sa mission consiste à couvrir l’agression.
Le président s’est assis confortablement, a allongé ses jambes et détourné son regard ailleurs, un message que Rice saisit et dit : « Il parait que vous refusez de poursuivre le débat ».
Berri d’ajouter après s’être assuré que son interlocutrice a été dérangée : « Au contraire, nous désirons résoudre le conflit, mais se soumettre à la volonté de l’israélien est hors de question. Je suis sûr et certain que les informations dont vous disposez sur la situation sont erronées ou bien que vous refusez de reconnaitre la vérité.  Je vous rappelle que vous (les Etats Unis) aviez occupé l’Irak, qui jouissait de la plus grande armée au Monde Arabe, en trois semaines. Et maintenant, l’on dit que vous faites face à quatorze mille résistants depuis trois ans et que vous perdez. Pourquoi vous ne pouvez remporter la bataille ? Car vous êtes confrontés à une résistance populaire ».

S’adressant à Rice, il a poursuivi : « Croyez-vous que le « Hezbollah » mène seul le combat au Liban sud ? Toute la région livre un combat, même la terre. Moi-même en tant que président du mouvement Amal, je vous assure que le mouvement est au cœur de la bataille. Croyez-moi, vous ne pourrez pas sortir victorieux ».

Le président Berry nous a dit qu’il lui parlait comme étant partenaire dans la bataille.

Rice : Le monde entier nous appuie, y compris le Monde Arabe. Ils sont tous pour le retrait des armes du « Hezbollah ».

Berry : Vous parlez de l’avis des dirigeants arabes, alors que les peuples arabes, reprennent eux, avec la résistance,  l’image de l’époque d’Abdel Nasser.

Le président Berry a voulu intentionnellement la traiter avec indifférence, une attitude qu’elle a certainement remarquée. Il s’est ensuite adressé à l’ambassadeur Feltman, et l’a invité à commenter ses propos, mais ce dernier est resté silencieux, sans oser répondre en présence de son supérieur.
Il a repris après quelques secondes de silence tendu : Je comprends le fait que vous ne vouliez pas discuter du sujet des deux soldats, car vous désirez accorder un délai à Israël pour éliminer la résistance. Vous vous faites des illusions et vous réaliserez plus tard l’ampleur de votre défaite ».
Et de poursuivre : « En tout état de cause, qu’en est-il des fermes de Chébaa ? »

Rice : Il y existe une solution.

Berry : Mais je ne l’ai point comprise, qu’elle en est la formule ?

Elle parut hésitante et ne donna pas une réponse claire, comme si elle disait oui et non à la fois.

Le président Berry lui expliqua l’importance du retrait israélien des fermes et à la suite de sa tirade elle répondit : « Ok, j’irai en Israël pour discuter de l’affaire ».

Berry : « Je n’ai pas compris comment vous avez lié votre réponse à votre visite en Israël. Avez-vous agréé mon point de vue ou non ? »

Rice : « Vous pourriez dire, oui ».

De retour au sujet initial, le président Berry a réitéré ses positions, affirmé que le package-deal ne pourrait pas aboutir au règlement du conflit car, selon ses propos, « pour la première fois de l’histoire, l’on veut mettre un terme à un conflit sans un cessez-le-feu et sans cesser les massacres. Cela ne pourrait réussir puisque je suis sûr et certain qu’Israël ne sortira pas victorieux et je ne crois pas que vous estimez autrement ».

Du silence face aux propos répétés par Berry, la discussion est passée promptement au rôle de l’Iran et de la Syrie. La ministre américaine a dit : « Nous ne communiquons pas avec l’Iran et la Syrie, d’autres le font », et puis elle a interrogé : « Pourriez-vous contribuer à la résolution du conflit ? »

Berry lui a répondu : « Bien sûr que je le veux, mais votre projet s’avère impossible et sera voué à l’échec. »
Sur ce, il s’est mis debout, signifiant la clôture de l’entretien, et Rice a pris l’escalier pour descendre et quitter Ein-Tineh, sans adieu officiel.

Rice à Berry : le retrait de Chebaa fait partie du package-deal

Quelque temps après, le ministre Fawzi Salloukh a informé le président Berry que Rice l’avait contacté pour dire : «Peut-être que je n’avais pas été claire avec le président Berry, veuillez lui préciser que le retrait des fermes de Chébaa fait partie du package-deal que j’ai proposé ».
Ces mêmes propos ont été communiqués par David Welch à Ali Hamdan, à la sortie de la délégation américaine d’Ein-Tineh.

Le premier ministre Siniora s’est par la suite entretenu avec le président Berry de la tenue du Conseil des ministres pour y examiner l’initiative de Rice et discuter de ce qui est prévu au congrès de Rome.
Rice a quitté Beyrouth pour "Israël" dans le but de vérifier les réalités de la situation sur le terrain, de les suivre et d’interroger les autorités israéliennes sur le délai nécessaire au combat, pour qu’elle lui assure la couverture politique.

La résistance menait en ce moment une lutte inouïe sur l’axe de Bint-Jbeil-Marou el-Rass où elle a infligé à l’ennemi beaucoup de morts, de blessés et de pertes matérielles dont quatre Tanks « Merkava ». Les résistants sont même parvenus à franchir les frontières vers la colonie d’« Avivim ». Le combat terrestre fournissait à la résistance l’opportunité de réaliser des exploits.

La lettre du « Sayed » à Berry : Nous parions toujours sur vous

J’ai appelé hajj Hussein Khalil pour le mettre au courant des détails de l’entretien Berry-Rice, et des propositions échangées, ce qu’il a rapporté plus tard au Sayed Nasrallah, pour arriver vers minuit à Ein-Tineh, portant une lettre écrite de la main du Sayed et comprenant ses observations sur les tractations en cours. Ci-dessous le texte de la lettre :

Au Nom de Dieu 
Mon cher frère hajj Hussein
J’espère que vous transmettiez mes salutations au président Berri, lui réitérer que nous parions toujours sur sa personne et lui dire que s’il plait à Dieu nous sortirons ensemble la tête haute de cette bataille.
Je conviens de ce qu’il a dit sur les propos de Rice. Ce sont des conditions humiliantes que nous ne pouvons admettre, mais il parait que c’est le haut plafond qu’elle a fixé pour le début des négociations. D’après ce que j’ai compris de votre lettre, Rice n’a pas, en principe, évoqué le désarmement de la résistance, et qu’il existe une solution concernant les fermes de Chébaa ; Ces deux points sont dans notre intérêt, mais tout le reste est mauvais. J’estime qu’elle accordera à l’israélien un délai d’une semaine ou de dix jours supplémentaires avant d’être de retour à la région, et alors elle abaissera le plafond de ses conditions, s’il plait à Dieu. L’attitude du président Berry a été exemplaire et a donné une vraie impression, que nous sommes forts, sans craintes et ni pressés. Tous ces sacrifices consentis, nous refusons de perdre notre dignité. Je vous prie d’affirmer au président Berry que la situation sur le terrain est encore excellente et que le moral des combattants très élevé, notamment à la suite des exploits réalisés aujourd’hui. Comme nous l’avions indiqué au premier jour de la guerre, nous ne promettons pas que tel village ou autre ne chuterait pas, mais ce qui compte le plus c’est le prix que payera l’ennemi, et qui le fera crier en premier. Quant au gouvernement, les frères devraient y adopter une attitude similaire à celle du président Berry, et ne pas faire de compromis. Siniora peut se concerter avec le président Berry, avec lequel nous coordonnons les décisions. Je propose au président Berry de mettre le président Emil Lahhoud au courant de la teneur des récentes tractations, à la lumière de ses bonnes prises de positions et de son appui, notamment au Conseil des ministres.
Mes salutations à Tous. » 
                                                                                                                                                                     Ton frère Hassan

Le président Berry a remercié le Sayed Nasrallah pour sa lettre et dit :
« J’ai explicitement refusé la proposition de Rice. Et si le Hezbollah l’aurait acceptée, et ne l’acceptera point, je l’aurai moi-même refusée.
Le premier ministre Siniora essaie de soumettre le dossier des négociations au Conseil des ministres et nous devrons être ouverts à la discussion, tout en refusant le package-deal avancé par Rice, notamment les articles concernant les forces multinationales, et le report du retour des déplacés. La formule que j’avais proposée pour être exécutée à deux étapes, vise à rétablir la situation prévalant à la veille du 12 juillet et puis à tout discuter, à notre aise.

Je me suis entretenu par téléphone avec le président Emil Lahhoud, le général Michel Aoun, le Sayed Mohammad Hussein Fadlallah et le cheikh Abdul Amir Kabalan, pour les mettre au courant des tractations en cours. Mais nos points faibles résident dans les positions du 14 Mars, notamment du premier ministre Siniora et du député Saad  Hariri….. Ce point devrait être traité au Conseil des ministres, sans que nous parvenions au retrait des ministres, à la démission ou au vote. Nous devons de même aborder la tenue du congrès de Rome et son agenda de la même manière et où l’importance du rôle du président Lahhoud. Nous avons en outre la position Arabe, affaire que nous devrons absolument aborder et voir ce que pourront faire à ce propos, les frères syriens et iraniens qui savent parfaitement les limites de leur action. J’ai d’ailleurs eu aujourd’hui un entretien positif avec l’ambassadeur saoudien Abdel Aziz Khojah ».

La journée a été clôturée sur une situation positive sur le front, une coordination étroite sur le plan du suivi et de la gestion du dossier des négociations, ce qui a signifié à la diplomate américaine l’obligation de remettre en question ses calculs concernant une situation qu’elle avait estimée différente.
Les journalistes qui l’ont accompagnée ont même considéré que sa rencontre avec le président Berry a été la plus décisive.

Ce jour nous nous sommes mobilisés afin d’élaborer une position libanaise unie, pour faire face au congrès de Rome, humanitaire dans l’apparence, mais visant à assurer des profits politiques à "Israël", au moment où les forces du 14 Mars lançaient des paris non déclarés, mais chuchotés à l’oreille de Rice.


                               


 

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