Idleb, la mère de toutes les batailles
Par Antoine Charpentier
L’avancée de l’armée syrienne dans la région d’Idlib pose actuellement problème à plusieurs acteurs impliqués dans la guerre en Syrie. La bataille d’Idleb revêt une dimension internationale, à l’instar de toutes les batailles qui ont eu lieu depuis 2011 en Syrie. Elle présume l’intervention d’un ensemble d’acteurs ayant des agendas politiques différents ainsi que des intérêts stratégiques qui se télescopent.
Le président Recep Tayyeb Erdogan semble être partie prenante dans les événements actuels à Idleb, révélant par le fait son incapacité à tenir ses engagements pris à Astana et à Sotchi, ainsi que l’accord passé le 17 septembre 2018 avec le président Vladimir Poutine consistant à séparer les factions armées de la soi-disant opposition, des terroristes.
L’incapacité du président turc d’honorer ses engagements envers la Russie et ses alliés est due en quelque sorte à son appartenance au camp atlantiste. Toutefois, Il n’a jamais révélé la volonté d’y sortir de ce camp. Au contraire il a essayé tout en restant lié corps et âme à l’OTAN, donc de ce fait aux États-Unis, de profiter de la complaisance d’intérêt des russes et des iraniens à son égard, afin de réaliser ses ambitions en Syrie et au Proche-Orient.
Le président Erdogan hausse le ton face à l’avancée de l’armée syrienne à Idleb, qui ne lui laisse plus le choix de rester sur son territoire. Néanmoins, cette dernière ne fait que défendre sa souveraineté territoriale, sécurisant sa population, ainsi que les routes nationales élémentaires telles que la M15 reliant Alep à Damas en passant par Idleb, ainsi que l’axe M4 reliant Alep à l’Irak en passant par la région de Hassaké, tout en éradiquant le terrorisme.
Le renforcement des positions de l’armée turque au nord de la Syrie semble n’être qu’une démonstration de force s’inscrivant dans la logique d’une guerre psychologique. Ceci est également un message adressé d’une part à la Russie qui a trainée le président turc dans son sillage et d’autres part aux États-Unis.
Quoi qu’il en soit les terroristes à Idleb demandent la protection du président Erdogan, ce dernier les utilise sur plusieurs scènes comme c’est le cas en Syrie ou encore en Libye, afin de servir ses intérêts politiques et asseoir son pouvoir sur la scène internationale. Le président turc tente aussi par tous les moyens d’impliquer l’OTAN en Syrie, mais les indices révèlent que c’est l’OTAN qui l'utilise dans sa guerre contre la Russie, la Chine, l’Iran et leurs alliés. La représentante américaine aux Nations Unies Kelly Craft a déclaré sans aucune gêne significative qu’en cas de nécessité l’OTAN défendra la Turquie.
Les américains continuent à envoyer des signaux forts au président Erdogan tout en utilisant la tribune des Nations-Unies, afin qu’il persiste dans sa politique en Syrie qui sert leurs intérêts, leur permettant de saboter l’action russe au Moyen-Orient, d’affronter indirectement l’Iran et ses alliés, de rendre service à leur allié israélien, tout en maintenant la Syrie dans une guerre d’usure sans fin. Cette posture qui attise la violence en Syrie offre aux États-Unis l’opportunité de détourner les attentions de ce qu’il se passe en Irak concernant les demandes formulées pour la sortie définitive de ses forces armées de ce pays. Les États-Unis sont prêtes à alimenter toutes logiques d’affrontement, tous scénarios de chaos au Moyen-Orient pourvu que l’attention soit également détournée de la Palestine et du maudit «deal du siècle».
Par conséquent la bataille d’Idleb prend l’allure d’affrontement américano-russe par le biais de la Turquie.
La complaisance d’intérêts de la Russie avec le président Erdogan le place actuellement face à un choix crucial, soit se diriger plus vers l’est, soit rester dans l’axe de l'OTAN, ce qui est à tous points de vue très couteux pour la Turquie. Le président turc semble tomber dans son propre piège.
À chaque fois que l’armée syrienne remporte des victoires sur le terrain, libérant des régions syriennes du joug des terroristes, le camp occidental fait immédiatement appel aux Nations-Unies. Sept réunions ont été programmées rien que pour le mois de février au sujet de la Syrie. L’objectif est de faire à chaque fois diversion afin d’essayer de retarder la reprise des régions en question par l’État syrien.
Ceci signifie également que l’Europe manœuvre contre la Syrie, s’alignant d’une façon totale sur la politique américaine par le biais des Nations-Unies.
Cependant, l’Europe craint l’éparpillement des terroristes sur son territoire, ainsi que l’implosion des réfugiés à l’issue de la bataille d’Idleb. Ceci explique la complaisance européenne avec le président Erdogan notamment au sujet de la zone tampon que ce dernier envisage sur la frontière syro-turque, reproduisant par le fait l’expérience d’«Israël» au sud du Liban dans les décennies 1980-1990. D’autres pays européens comme la France font le choix actuellement de se rapprocher de la Grèce, établissant avec elle un nouveau partenariat stratégique de sécurité.
Quant à «Israël» par ses récentes frappes contre la Syrie, il semble vouloir tout simplement envoyer un message de soutien et d’encouragement au président Erdogan. À son tour et de différentes manières, il pousse le président Erdogan à persister dans sa logique en Syrie afin de servir ses propres intérêts.
Enfin, la bataille d’Idlib fait entrer le Proche-Orient dans une nouvelle dimension. Ceci pourrait avoir des conséquences directes sur la Turquie, notamment sur l’avenir politique du président Erdogan. L’OTAN ne pourra plus voler à son ni à son secours ni au secours d’autres alliés au Moyen-Orient. Les États-Unis s’affaiblissent de plus en plus dans la région, de ce fait leurs alliés aussi.
Le dernier mot est pour l’armée syrienne. Les indices révèlent que c’est cette dernière ainsi que ses alliés qui dessineront les contours du paysage politique à venir au Moyen-Orient. Enfin, comme l’a déclaré le ministre des affaires étrangères russe Sergei Lavrov récemment au Congrès de Munich, la victoire de l’État syrien à Idleb est imminente.