Des gilets jaunes aux manifestations libanaises, convergences et divergences ?
Par Antoine Charpentier
Lorsque les manifestations au Liban ont débuté, je me suis interrogé sur les vrais raisons d’une telle mobilisation ainsi que sur le timing. Je n’ai pu m’empêcher en observant la rue libanaise de penser à ce qu’il se passe en France avec les gilets jaunes. Les mobilisations libanaises et françaises, comme d’autres dans le monde révèlent en premier lieu le ras-le-bol des peuples des systèmes économiques imprégnés par un capitalisme de plus en plus sauvage. Ce type d’économie mondiale pose de plus en plus de problème aux peuples vivants sous sa domination.
Il convient de préciser que les aspirations et les conditions de vie des deux peuples libanais et français ne sont pas identiques. Cependant, les deux subissent une forme de corruption. Pour le Liban cette corruption est enracinée dans le plus petit détail de sa vie quotidienne, avec une volonté d’appauvrir le pays matériellement et intellectuellement. Tandis que la corruption en France est discrète et moderne se traduisant par des stratégies d’influences et un appauvrissement intellectuel. Dans les deux cas le manque de confiance entre la classe politique et le peuple est criante, accompagnée par des politiques économiques sans lien véritable avec le terrain, sans prise en compte des besoins des citoyens pour une subsistance digne. Toutefois, le peuple libanais ne vit pas dans les mêmes conditions économiques et sociales que le peuple français. Ce dernier a toujours de quoi vivre dignement, tandis que le citoyen libanais manque du minimum basique qui pourra lui permettre de vivre en sécurité.
Malgré le manque de pertinence et d’organisation des gilets jaunes, le mouvement demeure un signe avant-coureur de ce que pourrait devenir la France de demain.
Quant à l’intervention des forces étrangères notamment américaine dans les mouvements contestataires, nous remarquons qu’elle est plus perceptible au Liban qu’en France. Il convient de préciser que les enjeux stratégiques ne sont pas les mêmes. En France quasiment toutes les manipulations, les stratégies et les discours autour des gilets jaunes servent quasiment à alimenter les guerres intestines entre les forces politiques françaises, où les forces de la droite dure voire de l’extrême droite essayant de faire de la mobilisation des gilets jaunes un point d’ancrage qui pourrait leur permettre de monter en devant de la scène, ainsi que de se faire entendre de ce qu’il nomme «le peuple». Ceci n’exclut en aucun cas le rôle qu’essaye de jouer l’extrême gauche française au sein de la mobilisation des gilets jaunes. La récupération politique est perçue par beaucoup de citoyens français, même si la dissimulation est à l’œuvre. Il s’agit de mettre en place le même stratagème au Liban, afin de régler les problèmes de l’ordre politique par le biais de la rue. Cependant, il existe au Liban depuis plusieurs années une guerre ouverte de la part du camp occidental contre la résistance incarnée par le Hezbollah et ses alliés, comme le président de la République Michel Aoun.
Il est nécessaire d’observer que dans le cas du Liban, les forces adverses ont déjà imposé des rudes sanctions économiques portant d’énormes préjudices au peuple libanais, sans pour autant entraver l’évolution de la résistance. Dans ce contexte les citoyens libanais sont également excédés par un lourd héritage de 30 ans de politiques économiques fondées sur la corruption et le clientélisme. Les adversaires du peuple libanais ont joué fine en mobilisant leurs éléments au Liban afin d’exciter la rue sur fond de combat contre la corruption et dans le but de se débarrasser de toute la clique politique au pouvoir. Toutefois, dès les premiers jours, les manifestations ont révélé des comportements et des slogans poussant la majorité des citoyens à sortir de la rue. Nous avons constaté que l’essentiel des slogans et du travail médiatique vise la résistance et son allié le président de la République Michel Aoun. Donc, le combat n’est pas complètement contre la corruption, dont certains manifestants ainsi que leurs chefs politiques bénéficient depuis plusieurs décennies.
La même chose s’est produite en France avec les gilets jaunes, lorsque les citoyens ont vu le comportement de certains manifestants en termes d’affrontement avec les forces de l’ordre, de pillage de magasin, de saccage de la voie publique, de la mise en place des barrages filtrants et les blocages des routes, la majorité du peuple français est sortie de la rue. Depuis les gilets jaunes sont devenus une minorité qui tente de faire du bruit, sans succès. Il est nécessaire de préciser qu’en aucun cas le refus de la majorité des français de rejoindre le mouvement des gilets jaunes doit être compris comme un quelconque acquiescement de la politique du président Emmanuel Macron et son gouvernement. À l’instar de la majorité des libanais qui ne cautionne pas le comportement de sa classe politique et la situation critique dans laquelle ils ont mis leur pays.
Aujourd’hui les deux mouvements de contestations continuent au Liban et en France, avec des intentions et des objectifs ambiguës et incompréhensibles pour la majorité des citoyens. Quant aux résultats, ils sont absolument invisibles. Le souci majeur est n’importe que fasse le président de la République française, il y aura toujours des choses à exiger. Le pouvoir politique au Liban affronte la même problématique, les manifestants qui sont actuellement dans les rues et sur les places n’ont pas l’intention, ni la volonté de se contenter de quoi qu’il en soit, ils sont en permanence dans la création des demandes qui ne concordent pas les unes avec les autres. Le concept du chaos par la contestation est en place au Liban. L’heure est grave que ce soit pour le Liban ou pour la France, mais malheureusement cette dernière malgré l’autodestruction qu’elle est en train de subir, survivra, quant au Liban son avenir à l’aube de son premier centenaire demeure incertain.