Les Etats-Unis veulent-ils saper la stabilité du Liban?
Par Samer R. Zoughaib
La théorie du «parapluie international» déployé par les grandes puissances pour protéger le Liban des secousses internes et externes n’a pas fait long feu. Il semblerait que la stabilité du pays du cèdre ne soit plus une priorité américaine.
Les principales forces politiques libanaises ont intérêt à former le plus rapidement un gouvernement. Et pourtant, plus de trois mois après sa désignation, le Premier ministre Saad Hariri n’a toujours pas pu ou su proposer une formule ministérielle acceptable et viable. Le président de la République, Michel Aoun, et le Courant patriotique libre (CPL), veulent à tout prix faire réussir le mandat, et, par conséquent, ils sont conscients d’être les premières victimes de tout retard. Le Hezbollah, dont le souci a toujours été d’assurer un environnement national susceptible de préserver la stabilité –pour se focaliser sur la bataille essentielle-, sait pertinemment que l’absence de gouvernement pourrait être une source de tensions politiques. Saad Hariri a aussi intérêt à former son Cabinet le plus tôt pour «gouverner». C’est principalement pour revenir au pouvoir après sa longue traversée du désert qu’il a conclu ce que l’on appelle «l’entente présidentielle». Même les Forces libanaises (FL), qui apparaissent comme le parti qui entrave la formation du gouvernement, ont également intérêt, après tout, à le voir naître rapidement pour poursuivre leur campagne de charme auprès de l’opinion publique, en présentant des ministres «propres», «responsables» et «incorruptibles».
Derrière les FL et le PSP, l’ombre de Washington
Même si les revendications ministérielles des FL et du Parti socialiste progressiste (PSP) constituent la raison directe empêchant la naissance du gouvernement, derrière ces deux formations se profilent l’ombre des Etats-Unis et de leur sous-traitant saoudien. Des milieux politiques et des sources diplomatiques croient déceler de plus en plus de signes montrant que Washington ne considère plus la stabilité du Liban comme une constante de sa politique. «S’en est fini du parapluie international qui protégeait le pays toutes ces années», affirme-t-on dans ces milieux.
Après l’échec de l’option militaire pour arracher au Liban son atout fort, la Résistance, les Etats-Unis ne voient plus d’autres moyens que de provoquer un effondrement économique et monétaire. En plongeant le pays dans le chaos, Washington pense qu’il lui sera plus facile de faire passer son plan d’implantation des Palestiniens, comme l’a révélé la semaine dernière le ministre «israélien» des Transports, Yisrael Katz.
Faire échouer le mandat du président Aoun
Une source politique libanaise estime que la stratégie américaine consiste à faire échouer coûte que coûte le mandat du président Aoun, qui est un farouche opposant à l’implantation des Palestiniens et un solide soutien à la Résistance. Cette stratégie passe par la non-formation d’un gouvernement, une tâche dont l’exécution a été confiée à l’Arabie saoudite, qui s’est employée à rassembler les débris du 14-Mars, séparés depuis des années par de profondes divergences. Dans ce contexte, Washington et Riyad œuvrent sur trois scénarios:
-Neutraliser les résultats des élections législatives (qui a vu la victoire du 8-Mars et du CPL) en formant un gouvernement conforme aux rapports de force de la Chambre précédente, au sein de laquelle le 14-Mars disposait d’une majorité. La résistance du président Aoun à toutes les pressions et aux intimidations a fait échouer cette option.
-Reporter sine die la formation du gouvernement et intensifier, dans le même temps, la campagne d’intimidation pour provoquer un vent de panique au sein de la population sur un prochain effondrement économique et monétaire.
-Former un gouvernement de la majorité, sans le 14-Mars, pour faire assumer au président, au CPL et à leurs alliés, la responsabilité de la gestion du pays en période de crise. Pour réussir cette option, il faudra pousser M. Saad Hariri vers la sortie. A ce stade, le Premier ministre désigné reste attaché à «l’entente» avec le chef de l’Etat.
Les sources citées précédemment n’excluent pas non plus une déstabilisation sécuritaire accompagnant les pressions économiques et monétaires. Elles estiment que le démantèlement, en quelques semaines de deux cellules terroristes de Daech n’est pas anodin, alors que pendant de longs mois cette organisation était restée inactive.
Si la déstabilisation du Liban pourrait servir, à ce stade, les plans américains, elle serait très nuisible pour l’Europe. Car le désordre et le chaos, avec comme corollaire l’affaiblissement de l’Etat, pourraient provoquer une vague d’exode de réfugiés syriens et palestiniens vers le Vieux Continent, un phénomène encore plus grave que celui des années 2016-2017, ? partir de la Turquie.
Cela prouve que Washington ne prend pas en considération les intérêts les plus urgents de ses plus proches alliés. Encore faut-ils que ceux-ci les défendent eux-mêmes, au lieu de s’aligner aveuglément sur l’Oncle Sam, qui n’a de cesse de les humilier.
Source : French.alahednews