Ben Salmane aux yeux de ses officiers: «cet enfant nous tracasse!»
Par Ali Murad
Mohammed ben Salmane a consacré une petite partie de son dernier discours télévisé pour parler de l'agression contre les Yéménites. Le ministre saoudien de la Défense a réaffirmé que les forces de l'alliance contrôlaient près de 85% du territoire du Yémen, falsifiant ainsi la réalité sur le terrain ... et bien sûr, il existe beaucoup d'informations dont personne ne parle ni officiellement ni dans les médias.
Dix jours avant l’intervention médiatique du second prince héritier au trône Mohamad Ben Salmane, le roi Salmane avait ordonné «une prime de deux mois de salaire aux soldats participant à la guerre contre le Yémen, et aux employés des ministères de l'Intérieur, de la Défense, de la Garde nationale et des renseignements», comme l’avait déclaré l'agence de presse officielle «SPA». Cette décision a coïncidé avec des nominations et des mutations au sein du royaume renforçant le pouvoir du prince bin Salman et préparant le terrain pour sa succession au trône.
Mais la prime offerte aux officiers et aux soldats n’est pas la première. Salman avait offert un salaire supplémentaire à chaque militaire fin Août dernier, en plus d’un bonus, fin Avril 2015. Pourquoi le roi saoudien et son fils prodiguent toutes ces primes aux soldats, s’ils peuvent -comme ils le prétendent- achever la bataille rapidement, sachant que les forces armées impliquées dans l'agression n'ont atteint aucun des objectifs souhaités depuis plus de deux ans?
Nombreux sont ceux qui voient ces primes et ces bonus comme une mesure d'urgence prise par Bin Salman pour dissimuler les grands problèmes au sein du secteur militaire saoudien. Il cherche à couvrir l’accumulation des problèmes par le paiement, des salaires supplémentaires et des primes pour apaiser la colère des militaires et masquer l'échec. Mais d’autres facettes de la crise commencent à se dévoiler.
Selon l’officier Abdul Wahid bin Abdul Mohsen Al-Harbi, dissident de l'armée saoudienne, «les soldats saoudiens ont perdu le moral quatre mois après le début de l'agression sur le Yémen». Al-Harbi s’est dirigé en Allemagne au début de cette année, selon lui il occupait le poste de secrétaire du chef «de la gestion des forces armées» le général Ali bin Saad Al Mari, au ministère de la Défense saoudienne, et ce dernier était responsable de la gestion des affaires des membres des forces armées et a essayé, depuis son bureau de publier des rapports expliquant les difficultés rencontrées par le personnel militaire du ministère de la défense.
De son poste, Al-Harbi a pu accéder à des informations sensibles qui arrivaient au bureau du général Al Mari. Il a ajouté « la situation des soldats au Yémen s’est empirée après la réduction des salaires. Au cours des trois derniers mois de l'année dernière, sept télégrammes sont arrivées de la frontière sud, où les officiers expliquaient que les soldats avaient perdu le moral». Selon l'officier dissident, Mohammed bin Salman négligeait cette situation.
Une délégation de chefs militaires a rencontré le prince lui disant que l'armée est effondrée moralement, le prince répondit ils n’ont qu’à patienter. Toujours selon Al-Harbi, les soldats commençaient à désobéir aux ordres. La disparition des soldats à la «frontière sud», a obligé les chefs militaires à se renseigner du côté yéménite par des intermédiaires, si les soldats disparus ont été capturés mais les yéménites ont confirmé que ce n’était pas le cas. Après plusieurs recherches ils ont découvert que les soldats quittaient les fronts et fuyaient l'Arabie Saoudite, ou se cachaient dans des zones agricoles chez des proches.
Al-Harbi a affirmé qu'il a pu documenter 62 cas de fuites de soldats au cours des trois mois précédent sa défection, notant que «la police militaire ne se précipitait plus dans la recherche de dissidents». Plusieurs autres formes d’insurrection marquaient l'effondrement de l’armée notamment les cas de désobéissance et de refus du combat qui se répète remarquablement, le commandement militaire a confirmé que «les soldats mettaient le feu à leurs véhicules, mais généralement ils n’étaient pas tenus pour responsables, ou ils éclairaient leurs postes militaires pour qu'ils soient bombardés par les yéménites!».
Al-Harbi avait accès à plusieurs rapports provenant des officiers aux fronts, les rapports confirmaient la mort de 4700 soldats des pays du golfe persique. Ajoutant que «l’administration militaire recevait de nombreuses demandes adressées par les soldats demandant d’être exemptés de leur service militaire sous prétexte de troubles psychologiques». «Le nombre de demandes a augmenté au point que plus de 2000 militaires ont été envoyés dans les hôpitaux psychiatriques, cela a incité l'état-major à rejeter toutes les nouvelles demandes exigeant une psychothérapie», a-t-il ajouté.
L’officier dissident a révélé que Mohammed ben Salmane se trouvait rarement dans son bureau au ministère de la Défense, «il préfère suivre les affaires économiques, les prix du pétrole et de l'investissement, confiant les fonctions au sein du ministère de la défense et de l'état-major à Mohammed Al-Cheikh (successeur de Fahd Al-Issa).»
Al-Harbi a noté que la majorité des officiers de haut rang étaient en colère face à l’indifférence de ben Salmane vis-à-vis du ministère, ils n'apprécient guère recevoir des ordres en provenance du Bureau de la Défense portant la signature du chef du bureau.
À ce niveau, Al-Harbi a raconté un incident dont il a été témoin dans le bureau d’un colonel au ministère. Ce dernier qui recevait une lettre du bureau du ministre, a dit «Donnez-moi cette lettre pour voir qu’est-ce qu’il nous veut cet enfant!». Ayant servi comme secrétaire privé à plusieurs généraux et officiers au sein du ministère de la Défense, il a noté que l'entêtement de bin Salman qui refuse d'admettre la défaite, même après avoir ramené ses forces armées au front ainsi que des mercenaires du Soudan et d’autres pays, et même après avoir livré des primes et des salaires supplémentaires la victoire n’a pas été atteinte. Il conclut: «Ben Salmane connait très bien les faits, mais il cherche à sortir du bourbier du Yémen tout en préservant une certaine victoire même si elle n’était que médiatique».
Article paru dans le quotidien libanais Al-Akhbar, traduit par l’équipe du site