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L’entretien du sayyed Nasrallah à l’occasion du 40ème anniversaire du Hezbollah

L’entretien du sayyed Nasrallah à l’occasion du 40ème anniversaire du Hezbollah
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Ghassan ben Jeddo: «Israël» s’est fatiguée en essayant de panser ses blessures lors de son retrait humiliant en 2000. Elle a finalement reconnu sa défaite lorsque sayyed Nasrallah a déclaré qu’elle est plus fragile que la toile d’araignée. Cette phrase est devenue un slogan central pour le monde de la résistance, grave dans l’histoire. Il ne s’agissait pas d’un mot prononcé en passant. La guerre de juillet 2006 en a été la preuve et la bataille de Seif al Qods en a été une nouvelle confirmation.

Le Hezbollah en tant que résistance s’est lancé il y a 40 ans avec des moyens minimaux mais avec une foi maximale. Il s’est nourri d’une jeune génération révolutionnaire animée d’un esprit combatif déterminé malgré un appui politique faible, mais avec un grand courage sur le terrain. Il a tout affronté, l’occupation, mais aussi les trahisons, les agents internes, avec une foi immense.

Au-delà, bien au-delà de «Haïfa» est devenue une équation qui est entrée dans l’histoire, avec ses objectifs, sa formule et son époque. Aujourd’hui, au-delà, bien au-delà de Karish a fait du Hezbollah un acteur efficace et une force de dissuasion régionale. Ces formules sont devenues une littérature politique stratégique et peut être une culture. C’est en tout cas ce que nous espérons.

La résistance s’occupe maintenant de la mer après les victoires sur terre. A quand le souci de l’air? Il se peut que la résistance l’ait atteint  sans le dire. «Israël» sera alors atteinte d’une phobie de l’après sol, mer et air…

Après la politique interne et ses pièges, après ses réalisations sur le terrain, la résistance a instauré une réalité culturelle de l’après Victoire, en chassant le terrorisme et ceux qui le défendent. «Israël» est l’allié des régimes de la normalisation et du suivisme, elle assure une couverture aux takfiristes, mais elle pourrait se retrouver impuissante face à la résistance dans les batailles entre les guerres et dans sa guerre psychologique et médiatique systématique généreusement financée par les ignorants en matière de stratégie.

Après 40 ans, quelles sont les priorités du Hezbollah? Quelle est sa stratégie après 40 ans? Il ne s’agit pas de deviner, mais de préciser les objectifs qui touchent à l’identité, à l’avenir et à la légalité...

Le Hezbollah résistant respire la Palestine et Jérusalem. Pour lui, Jérusalem est une idéologie avant d’être une responsabilité. Quels sont les plans  après les chambres d’opérations communes  et quels sont les choix stratégiques?

Le Hezbollah a donné à ses alliés un appui et une confiance concrète quels sont donc les défis après 40 ans et que pense t- il au sujet de l’après environnement et de ses alliances régionales et internationales?

A la quarantième année, des questions se posent sur la dissuasion, sur le Liban, sur la politique, sur la pensée, l’identité, la Palestine, les organisations, la Syrie, les Arabes, l’Iran, la Russie, la région, le monde, l’horizon, ceux qui sont partis, les symboles… Dans cet entretien, il y a aussi des questions sur le présent et sur l’après, après 40 ans…

Sayyed Hassan, merci pour ces 40 années et merci de nous accorder du temps pour tenter de prévoir la période qui va au-delà, bien au-delà des 40 ans...

Sayyed Nasrallah : Vous êtes le bienvenu

Ghassan ben Jeddo : Nous allons évoquer 5 axes, la résistance et la dissuasion, le Liban : pensée, politique, identité et différence, le Hezbollah, la Palestine, l’Iran et la Syrie, le Hezbollah, le monde arabe, la région et le monde et enfin, sayyed Nasrallah, le Hezbollah en tant que formation et l’avenir.

Je commence directement par la dissuasion car nous sommes concernés par cette équation au-delà, bien au-delà de Karish. Le Hezbollah a été lancé comme une force de résistance armée à la suite de l’invasion israélienne en 1982. Quelle est donc la conception du Hezbollah sur le plan de la dissuasion et au cours des dernières décennies, quelles sont les principales étapes au cours desquelles le Hezbollah a prouvé que la dissuasion à l’égard de l’ennemi est réalisée ?

Sayyed Nasrallah : Bismillah al rahmane al rahim. Au début, je veux dire à partir de 1982, il n’y avait pas de dissuasion réelle à l’égard de l’ennemi pour l’empêcher d’envahir le Liban. Avant l’invasion, il n’y avait pas non plus une dissuasion qui empêchait l’ennemi de lancer des attaques répétées contre le Liban. De 1948 à 1982, date de la grande invasion, il y a eu ainsi des attaques répétées de la part des Israéliens. Dans la région frontalière, l’ennemi entrait dans les localités, tuait, faisait sauter les maisons, réalisait des massacres (les massacres chez nous remontent à 1948 et à 1949), enlevait les gens, y compris les agents des FSI. Avant 1982, il a même lancé des raids aériens contre la capitale Beyrouth, sur ses immeubles, partout. En toute simplicité, le Liban était un espace ouvert, sur le plan terrestre, maritime et aérien. Le pic a eu lieu en 1982, lorsque l’ennemi a lancé sa grande invasion et il a voulu faire entrer le Liban dans l’ère israélienne, comme cela a été dit à l’époque.

Je crois que la dissuasion a commencé dans les années 1984-1985, lorsque l’ennemi a été contraint de se retirer d’une partie des territoires qu’il avait occupés. Vous vous souvenez que vers 1985, il s’était retiré de la capitale et de ses environs, du Mont-Liban, de Saïda, de Tyr, de Nabatiyé, de la Békaa Ouest et de Rachaya. Ce retrait a eu lieu suite à un grand nombre d’opérations qualitatives, des opérations magnifiques, des opérations de martyrs impressionnantes qui ont été réalisées par des résistants appartenant à divers partis et groupes qui se sont rassemblés autour de l’idée de la résistance. L’ennemi s’est ainsi replié vers la bande frontalière et il s’est caché derrière les montagnes qui surplombent toute la région. Il s’est caché et il s’est comporté avec la bande frontalière comme s’il s’agissait d’une ceinture de sécurité, destinée à empêcher les résistants libanais et palestiniens d’entrer à l’intérieur de la Palestine occupée. C’est là que la dissuasion a commencé, lorsque l’ennemi israélien a pris conscience de son incapacité à entrer dans une terre libanaise et à y rester. Il a ainsi renoncé à l’essence de l’idée de l’occupation. C’est le premier résultat et la première dissuasion.

Ghassan ben Jeddo : Une dissuasion commune entre le Hezbollah et la résistance

Sayyed Nasrallah : C’est certes la réalisation de tous les résistants et pas seulement celle du Hezbollah.  Tous les mouvements de résistants qui ont réalisé des opérations suicides, des Libanais et des Palestiniens y ont participé et des opérations ont été exécutées dans l’ensemble du territoire occupé. Je ne vais pas entrer dans les noms, pour ne pas en oublier certains, mais grâce à Dieu, le nombre d’opérations était satisfaisant ainsi que les groupes qui les ont réalisées, dont le Hezbollah.

La seconde étape de la dissuasion a commencé lorsque l’ennemi israélien a essayé, après 1985 en riposte aux opérations des groupes de la résistance, d’avancer vers des villages et il y rencontrait une opposition farouche de la part des résistants. A partir de là, le paysage  dont j’ai parlé dans mon dernier discours, concernant le ministre israélien de la guerre, a changé. L’époque où il pouvait venir à Tyr, Saïda et Beyrouth est finie. Il ne peut plus entrer dans nos localités frontières facilement. Entre 1985 et 2000, il y a eu des oppositions farouches des résistants et des combats acharnés. Je peux citer l’expérience de Maydoun. Une vingtaine de résistants, dont la plupart sont tombés en martyrs, face à deux ou trois unités des troupes d’élite israéliennes. Cela aussi c’est de la dissuasion et cela a montré à l’occupant qu’il ne peut plus avancer vers de nouvelles localités et de nouvelles régions sur le territoire libanais.

Nous sommes ensuite arrivés à 1993. A mon avis, c’est la troisième étape lorsque l’entente de juillet qui était alors orale est devenue un «gentleman agreement». Car auparavant, l’ennemi ripostait aux opérations de la résistance qui visaient ses positions avancées ou qui se déroulaient en profondeur dans la bande frontalière occupée, en bombardant les villages et les localités. Nous nous souvenons encore de ce que faisaient les positions israéliennes, celles de l’armée d’Antoine Lahad et des positions des agents qui bombardaient les villages en première ligne et même les villes, comme Saïda et Nabatiyé. Jusqu’à présent, je ne peux oublier les images des enfants décapités à cause des bombardements des hommes d’Antoine Lahad à Saïda et à Nabatiyé. Nous avions donc besoin de l’empêcher de viser les villages et les localités où il y a des civils, alors qu’il les bombardait en riposte aux opérations de la résistance qui visaient des positions militaires, non les colonies de peuplement.

Cela a commencé en 1992, comme vous l’avez dit dans vos émissions, lors de l’enterrement du sayyed des martyrs de la résistance islamique, sayyed Abbas Moussawi, son épouse sayyida Oum Yasser et leur fils Hussein. Nous étions à l’enterrement à Nabi Chit et il y a eu une confrontation à Kafra et Yater. Elle était très violente. L’ennemi s’est mis à bombarder les villages et les localités comme d’habitude. Mais c’était la première fois que la résistance islamique bombardait avec des katiouchas les colonies de peuplement, en riposte aux bombardements des villages et localités libanaises. Cela s’est développé de 1992 à juillet 1993 et nous avons abouti à un accord qui disait que pour éviter que les colonies de peuplement soient bombardées avec des katiouchas, il faut que l’ennemi cesse de bombarder des cibles civiles au Liban. Le résultat était bon. Entre 1993 et 1996, il y a eu une forte dissuasion, avec quelques violations.

En 1996, à cause des attaques contre les civils, il y a eu une confrontation que l’ennemi a appelée «Les Raisins de la Colère». Nous autres, nous l’avons appelée «L’attaque d’avril 1996» qui s’est terminée par «Les arrangements d’avril» qui a confirmé par écrit l’entente de juillet 1993. Un comité de surveillance de ces arrangements a été créé. Cela a continué ainsi jusqu’en 2000. C’est pourquoi je dis toujours que «Les Arrangements d’avril» ont jeté les fondements de la victoire de 2000.

A partir de 2000, il y a eu plusieurs titres pour la dissuasion. Un d’eux consistait à dire que l’ennemi ne peut plus faire des invasions comme il le faisait par le passé.  Deuxièmement, il ne peut plus avancer à l’intérieur des villages et confrontations sans se heurter à une opposition farouche. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas avancer. Pendant la guerre de juillet 2006, il est entré dans le village de Maroun el Rass, mais après des combats forcenés. Troisièmement, il ne peut plus bombarder des cibles civiles, sans recevoir une riposte contre les colonies de peuplement et contre des cibles similaires dans le Nord de la Palestine occupée. Cela a continué jusqu’à la guerre de juillet 2006.  Là ce qui s’est passé est clair.

Ghassan ben Jeddo : Vous considérez cette guerre comme une dissuasion ?

Sayyed Nasrallah : Certainement. Le résultat de la guerre de juillet est que l’ennemi a compris que toute confrontation avec la résistance au Liban est grande et dangereuse. Les capacités de la résistance sont devenues plus importantes qu’une confrontation dans la bande frontalière ou avec les colonies sur une profondeur de 20 ou même 40 kms. Elle s’étend désormais au Nord et au centre. L’ennemi a bien compris les capacités de la résistance, lorsque nous avons parlé de «Haïfa et bien au-delà de Haïfa». Cela signifiait le centre, et au-delà, bien au-delà de Haïfa, cela signifie «Tel Aviv» et plus loin encore. C’est cela l’au-delà, bien au-delà à l’époque. La guerre de juillet a donc instauré une nouvelle équation. Et cela de juillet 2006 à aujourd’hui en 2022.

Ghassan ben Jeddo : Entre 2006 et 2022, il n’y a pas eu de nouvelles équations de dissuasion ?

Sayyed Nasrallah : Il y a une dissuasion efficace, puisqu’il n’y a pas eu le moindre bombardement aérien. Il y a eu un seul raid il y a quelques années sur un point frontalier confus entre le Liban et la Syrie. Malgré cela, nous avons riposté dans les fermes de Chebaa, car il s’agissait d’une position militaire. Si vous vous en souvenez, l’ennemi a lancé deux raids aériens sur la région et nous avons bombardé en riposte des positions israéliennes dans les fermes de Chebaa.

Depuis 2006 à aujourd’hui, l’ennemi israélien fait très attention à toute action qu’il peut lancer contre le Liban, car il sait qu’il y aura une riposte. C’est cela la dissuasion. C’est pourquoi il a recours à des opérations sécuritaires, qui ne laissent pas de traces, c’est-à-dire qu’elles ne laissent pas d’indice précis. De la sorte, si le Hezbollah veut riposter on peut lui dire : comment pouvez-vous être sûrs que c’est l’ennemi qui a accompli cette opération ? C’est la dissuasion qui a lieu jusqu’à aujourd’hui.

Depuis 2006 jusqu’à aujourd’hui, le Liban est protégé contre toute agression israélienne. Il n’ y a pour s’en convaincre qu’à regarder ce qui se passait avant 2000. Exception faite de 2006, tout le monde sait que le Liban bénéficie d’une certaine sécurité et que l’ennemi n’ose pas mener la moindre agression, ni des raids aériens ou autres attaques militaires. Quelle en est l’explication ?  L’ennemi reconnaît qu’il y a un équilibre de la dissuasion. Nous n’avons pas besoin que les rancuniers et les envieux le reconnaissent.

Ghassan ben Jeddo : En 2007 et 2008, vous avez menacé pour la première fois de frapper l’aéroport «Ben Gourion» si l’aéroport Rafic Hariri est bombardé etc. N’est-ce pas une équation de dissuasion ?

Sayyed Nasrallah : Si. C’est une confirmation de l’équation de juillet qui avait dit : nous avons les capacités de dissuasion et nous riposterons, même s’il s’agit d’une guerre. Après cela, nous allons vers les détails ; nous mettrons en avant certains aspects qui servent cette équation.

Ghassan ben Jeddo : Mais ne s’agit –il pas d’une grande équation ?

Sayyed Nasrallah : Certainement. Lorsque nous disons : si vous imposez un blocus aux côtes libanaises, nous frapperons les bateaux qui viennent vers les côtes palestiniennes, nous entrons ainsi dans les détails de la grande équation dont les bases ont été établies pendant la guerre de juillet.

Ghassan ben Jeddo : Avant d’entrer dans le dossier de Karish, dites-moi comment avez-vous trouvé cette formule extraordinaire : «Israël» est plus fragile qu’une toile d’araignée ?

Sayyed Nasrallah : Elle n’a pas été lancée par hasard ni improvisée. J’ai oublié si je l’avais écrite ou non. En général, je note des grandes lignes et j’invite toujours les orateurs à respecter les gens et à préparer leurs discours. Je considère ainsi que celui qui se lance dans des discours improvisés ne respecte pas son auditoire. En général, je prépare donc mes discours et je note les grandes lignes. Dans certains sujets délicats, j’écris un texte entier, un paragraphe. Dans le cas de la toile d’araignée, j’en avais parlé dans certaines rencontres internes lorsque nous discutions de la situation israélienne interne. Je proposais de profiter de ce qui avait été dit dans la religion sur le fait que les maisons les plus fragiles sont celles des toiles d’araignées. J’expliquais qu’«Israël» est comme une toile d’araignée, pour plusieurs raisons que j’exposais. Mais je n’avais pas utilisé cette formule dans un discours avant celui de Bint Jbeil. Nous étions face à une victoire historique, une réalité nouvelle, une victoire inattendue dans le monde arabe. Personne ne l’avait prévue et n’y croyait. Personne ne croyait qu’Ehud Barak se retirerait du Liban et tiendrait sa promesse de quitter le Liban en juillet. Certes, il lui a été imposé de partir en mai. C’est pourquoi j’ai eu l’idée en prononçant le discours que c’était sans doute le bon moment pour utiliser cette expression. Pour moi, c’est Dieu qui m’a inspiré cette idée.

GBJ : Certainement. Maintenant, au sujet de Karish et d’au-delà, bien au-delà de Karish, vous avez insisté sur le fait qu’il s’agit d’une équation réelle, non de la guerre psychologique. Qu’entendez-vous par au-delà, bien-au-delà de Karish ? Je vous le demande pour que les Libanais, les Arabes et les Israéliens comprennent jusqu’où vous pouvez arriver ?

SN : Aujourd’hui, ce dont il est question c’est Karish. Certains de nos amis au Liban parlent de Qana, Karish contre Qana. Moi, dans mon discours, j’ai voulu dire que la question est bien plus importante, parce qu’il se peut, même si c’est écarté, mais c’est possible : les Américains et les Israéliens viennent dire, nous allons geler l’extraction du pétrole et du gaz de Karish et ce sera fini. Le Liban aura obtenu une victoire morale en disant qu’il a empêché l’extraction du gaz et du pétrole de Karish. Mais qu’aurons-nous obtenu ? Rien, juste une victoire morale, sans plus. Or, nous parlons aujourd’hui d’une opportunité historique en or. Le hasard a voulu que les Américains mènent la guerre en Ukraine, en utilisant les Européens et les Ukrainiens. Aujourd’hui,  une partie de cette bataille consiste à assurer une solution de rechange au gaz et au pétrole russes pour l’Europe. L’hiver arrive tôt en Europe et ils doivent s’y préparer. Ils ont donc urgemment besoin d’assurer du gaz et du pétrole de rechange. Lorsque Biden est venu dans la région, il y a eu des analyses au Liban et dans le monde arabe sur sa détermination à former un OTAN arabe, une coalition militaire contre l’Iran etc. Nous autres, nous pensions qu’il n’en était rien, mais nous voulions rester prudents. Ces analystes parlent en réalité en fonction de leurs souhaits. Ils n’ont pas d’information et ne lisent pas les réalités politiques.

En tout état de cause, Biden est venu dans la région pour le gaz et le pétrole. Mais il est apparu que le manque de ces matières ne peut pas être assuré par l’Arabie, les Emirats et d’autres. C’est pourquoi il a été demandé aux Israéliens d’accélérer l’exploitation de Karish. Il y a quelques semaines, il y a eu un accord entre les Israéliens, les Egyptiens et les Européens pour exporter le gaz israélien. Les Etats-Unis veulent du pétrole et du gaz pour l’Europe. Pour «Israël», c’est l’occasion rêvée de vendre des quantités aussi énormes. L’autre point que je n’ai pas évoqué dans mon discours et qui reste de l’analyse, c’est que les Etats-Unis et Biden estiment que la priorité est actuellement à la confrontation avec entre l’Ukraine et la Russie. Biden ne veut donc pas d’une nouvelle guerre dans la région. C’est pourquoi il veut prolonger la trêve au Yémen. Il a vendu aux Palestiniens du vent en leur disant qu’il a arrêté la bataille de Seif al Qods en imposant à Netanyahu un cessez-le feu... Tout cela nous pousse à estimer qu’il ne veut pas d’une guerre dans la région. Pendant sa visite dans la région, le ton utilisé avec l’Iran n’était pas guerrier. En tout cas, nous analysons les éléments. Et nous estimons ainsi qu’il y a deux opportunités : la première est le besoin américain, européen et israélien d’extraire le gaz et le pétrole pour assurer le rechange au gaz et pétrole russes. La seconde est que toutes ces parties ne veulent pas d’une guerre qui puisse entraîner une grande explosion dans la région. Ce sont donc deux opportunités qui peuvent permettre au Liban d’obtenir ses droits. C’est ce que nous appelons une occasion historique et une chance en or. Les Américains et les Israéliens peuvent toutefois nous faire perdre cette occasion en disant que les Israéliens suspendent l’extraction de Karish. Nous autres, nous ne voulons pas la perdre. C’est pourquoi j’ai dit dans mon dernier discours que le sujet n’est pas Karish et Qana. Le sujet c’est tous les champs de pétrole et de gaz le long des côtes palestiniennes, qui sont pillés par les Israéliens. Car il s’agit là de la description précise. Nous parlons donc de tous les champs de pétrole et de gaz le long des côtes palestiniennes  occupées en contrepartie des droits du Liban dans la délimitation des frontières et l’exploitation du pétrole et du gaz. Il ne s’agit donc plus de Qana contre Karish.

Pourquoi je veux confirmer cette opportunité ? Depuis qu’il est apparu qu’il y a du gaz et du pétrole dans la Méditerranée, il a commencé à être question de l’extraire au large du Liban, de la Palestine, de l’Egypte, de Chypre, de Grèce, de Turquie etc. Nous devons donc délimiter les frontières maritimes. Qui peut le faire ou être le médiateur ? Les Etats-Unis sont entrés en tant que médiateurs. Le Liban négocie depuis ce moment, alors qu’«Israël» prospecte, extrait et exploite. Voyez donc les failles chez nous au Liban. Même certains politiciens et personnalités des médias, je les ai écoutés ces derniers temps, ont un manque d’informations. Parfois, ils ne font pas d’efforts pour collecter les informations et améliorer leurs connaissances. On nous parle ainsi du bateau de prospection, alors que les Israéliens ont achevé cela depuis long. Ils ont prospecté à Karish, foré et extrait et ils ont désormais de nombreux puits prêts. Le bateau en question est venu pour extraire. Les Israéliens en sont donc à la phase finale.

L’ennemi israélien a prospecté, foré et il est prêt à extraire, alors que le Liban en est encore à essayer de savoir où se situent ses limites maritimes. Les Etats-Unis, les Israéliens et l’Occident ont empêché toutes les compagnies qui ont pris des contrats au Liban de prospecter, de forer et d’extraire bref de prendre la moindre initiative dans ce sens avant la délimitation des frontières maritimes. Autrement dit, cela peut prendre 10 ou 20 ans encore... Il s’agissait bien sûr de pression sur l’Etat libanais pour qu’il accepte la Ligne Hoff et la proposition israélienne pour le tracé des frontières.

Aujourd’hui, nous sommes face à une chance pour que l’Etat libanais obtienne ce qu’il veut. Nous parlons de l’Etat car ce n’est pas ce que veut le Hezbollah. Nous n’avons rien à voir ni de près ni de loin avec la délimitation des frontières. L’Etat se trouve donc face à une chance d’obtenir maintenant ce qu’il veut. Le moment peut passer et la chance être perdue. Quelle est donc l’équation dont nous parlons ? Les frontières et tous les blocs relevant du Liban, nous devons pouvoir les exploiter et les compagnies interdites et menacées de sanctions doivent pouvoir entamer leur travail en contrepartie de l’extraction du gaz et du pétrole de Karish, et d’au-delà bien au-delà de Karish, ce qui signifie tous les autres champs. Je ne vais pas les citer car lorsque j’ai demandé la liste avant le discours, j’ai vu qu’elle était longue, mais les noms des champs sont connus. 

GBJ : Tous les champs israéliens sont donc menacés ?

SN : Tous les champs sont menacés. Les frères ont certes fait des classifications et toutes les informations sont en leur possession au sujet des lieux précis, des champs qui ont commencé à produire, d’autres sont encore en voie d’aménagement, d’autres sont gelés pour l’instant car les Israéliens ont leurs priorités. Les frères ont donc toutes les informations et nous avons les moyens. Je n’exagère pas. Il ne s’agit pas de propos nouveaux pour qu’on vienne dire que nous menaçons maintenant. Non il s’agit de propos anciens. En d’autres termes, il n’y a pas une cible israélienne en mer ou sur terre que les missiles précis de la résistance ne peuvent pas atteindre.

GBJ : Dois-je comprendre que tous les champs, même ceux qui sont gelés et ceux qui produisent sont menacés ?

SN : Tous sont menacés.

GBJ : S’agit-il de simples menaces ou bien il se pourrait que vous passiez à l’acte ?

SN : Cette question, c’est-à-dire tout ce qui est lié à Karish et au-delà, bien au-delà de Karish est tributaire d’une décision de l’ennemi. Comment il va se comporter, lui, et derrière lui les Etats-Unis, car ce sujet n’est pas une décision purement israélienne. Il s’agit d’une décision israélienne, américaine et européenne. Comment vont-ils se comporter ? Nous ne parlons pas ici de libérer les eaux palestiniennes. Nous ne disons pas qu’il s’agit de pétrole et de gaz israéliens et nous ne demandons pas qu’il soit restitué au peuple palestinien. L’Etat libanais parle de délimiter les frontières maritimes avec la Palestine occupée, il parle des droits du Liban. Il ne s’agit donc pas du droit du Hezbollah. C’est l’Etat qui a précisé ce qu’il veut, indépendamment  du fait de savoir si nous sommes d’accord ou non, Nous n’intervenons pas dans ce sujet. L’Etat libanais a présente ses demandes au médiateur américain. Il a fait une grande concession qui est connue dans le pays.

GBJ : Quelle est-elle ?

SN : Lorsqu’ils ont parlé de la ligne 23 et plus. C’est connu dans le pays. En pratique, le Liban officiel a présenté une offre que l’ennemi ne devrait pas refuser, les Américains non plus. Aujourd’hui, on suppose que les responsables libanais attendent la réponse à cette offre. A la lumière de cette réponse israélienne, la position sera décidée, mais la balle n’est pas actuellement dans le camp libanais. Le Liban est l’agressé, il est interdit d’extraire son pétrole et son gaz, même dans les secteurs qui font partie de ses droits reconnus et indiscutables, et qui ne sont pas conséquent pas controversés.

GBJ : Si «Israël» accepte, ainsi que les Etats-Unis la proposition libanaise et commence à extraire son pétrole et son gaz de là-bas, le gaz et le pétrole de la Palestine occupée, vous n’avez aucun problème avec cela ? Ils vous donnent les frontières et commencent l’extraction ?

SN : Non pas seulement les frontières. Il s’agit des frontières que veut l’Etat libanais, ce que l’Etat accepte et réclame, nous n’avons rien à voir avec cela. Il faut donc qu’ils acceptent les frontières réclamées par l’Etat libanais d’abord et ensuite qu’ils lèvent le véto sur les compagnies  internationales, Total la française, les compagnies italiennes et russes, bref le consortium qui est empêché de travailler dans les eaux libanaises. Si l’interdiction est levée, ces compagnies, selon l’Etat libanais, seront prêtes à travailler. A ce moment-là, nous considèrerons que le dossier a été traité.

GBJ : Il n’y a donc pas d’heure H.... jusqu’à ce moment pour les Israéliens

SN : Pour nous, le délai est ouvert jusqu’en septembre ; Pourquoi ? Il ne s’agit pas de spéculations. Les Israéliens ont eux-mêmes déclaré qu’ils commenceront à extraire le gaz et le pétrole de Karish en septembre. S’ils le font et que le Liban n’a pas encore obtenu ses droits, il y  aura un problème.

GBJ : Que ferons-nous ?

SN : Nous verrons à ce moment-là. Vais-je dire maintenant ce que nous allons faire ?

GBJ : Pourriez-vous réellement bombarder des plateformes pétrolières  israéliennes?

SN : Nous avons fixé un objectif, tout ce qui permet de l’atteindre, nous le ferons sans hésiter.

GBJ : Supposons que le Liban obtienne la ligne qu’il réclame et qu’«Israël» en contrepartie commence l’exploitation, alors qu’en même temps, le processus est retardé au Liban, même si les compagnies sont autorisées à venir, que fera-t-on ?

SN : Ce sujet restera suivi de près. Nous n’accepterons pas que les Libanais soient dupés et pris pour des imbéciles.

GBJ : Qui va surveiller, le Hezbollah ou le gouvernement ?

SN : Nos informations seront des informations officielles, c’est-à-dire qu’elles seront récoltées par des responsables officiels. Nous savons qu’il y a des tentatives d’atermoiement et en même temps du sérieux... cela devrait apparaître au cours des premières semaines.

GBJ : Que ferez-vous à ce moment-là ?

SN : Nous considèrerons que les Etats-Unis et «Israël» trompent le Liban et nous sommes un pays qui n’accepte pas d’être dupé. Nous recommencerons à réclamer notre droit, à menacer et à agir aussi.

GBJ : Le Hezbollah prendra des initiatives indépendamment de la position du gouvernement ?

SN : On nous fait entrer dans la problématique de la décision de l’Etat. Mais si l’Etat était en mesure de prendre une décision à un moment donné, on n’aurait pas eu besoin de la résistance pour qu’elle le fasse à sa place. Selon la composition de l’Etat libanais, de 1948 à aujourd’hui, on ne parle pas de la guerre civile en 1975 et 1976, l’Etat libanais, jusqu’à aujourd’hui est incapable de prendre la décision adéquate pour protéger le Liban, son peuple, sa terre, son ciel, ses eaux et son eau, ses ressources et ses richesses. C’est pourquoi la résistance est obligée de prendre cette décision.

GBJ : Pour être précis, quel est votre objectif réel ? Que le Liban puisse extraire le gaz et le pétrole pour le peuple ou bien il est stratégique et consiste à empêcher «Israël» d’extraire le pétrole et le gaz ?

SN : Notre objectif est le premier. La seconde voie vise à servir le premier objectif. Si aujourd’hui, les Américains disent : ce que veut l’Etat libanais et ce pourquoi il a négocié, il l’a obtenu, Total et les autres ont été informées qu’elles peuvent entreprendre les travaux – on dit actuellement que des parties européennes et des compagnies ont annoncé aux responsables libanais qu’après la délimitation des frontières, il n’y aura pas de problème, ce qui est plausible, car cette démarche était interdite pour faire pression sur le Liban afin qu’il fasse de mauvaises concessions dans le tracé des frontières maritimes. En d’autres termes, ils disaient : nous vous interdisons d’extraire le gaz et le pétrole pour que vous acceptiez le tracé des frontières voulu par les Américains et les Israéliens. Donc, notre objectif n’est pas de créer un problème, ni au Liban, ni dans le monde arabe, n’en déplaise à ceux qui disent que le Hezbollah a pris cette position pour servir le dossier du nucléaire iranien.

GBJ : On dit plus que cela, que vous faites partie de la guerre américano-russo-ukrainienne...

SN : Notre objectif est que le Liban obtienne un tracé des frontières maritimes qui lui convienne et qu’il obtienne aussi le droit d’extraire le pétrole et le gaz. Ceux qui ne nous croient pas qu’ils suivent le menteur jusqu’au bout, comme on dit au Liban. Que les Américains et les Israéliens acceptent le tracé et les revendications réclamés par l’Etat libanais, qu’ils lèvent le véto sur les compagnies et que l’on voit ensuite si nous sommes sincères ou non. Notre objectif est que le Liban puisse exploiter son gaz et son pétrole, car c’est la seule voie de salut. C’est la fin de la ligne.

GBJ : En toute franchise et amitié, cette décision et cette équation que certains considèrent comme dangereuses, sont-elles les vôtres ou bien vous les avez coordonnées régionalement et internationalement, plus précisément avec l’allié iranien et l’ami russe ?

SN : Pas du tout. Nous n’avons rien coordonné. Certains ne le croient pas, mais nous n’avons fait aucune coordination ni avec les frères syriens ni avec les frères iraniens. Je suis catégorique. Lorsque j’ai dit cela dans mon discours, ni dans le fond ni dans la forme aucun des frères iraniens n’était au courant. Même à l’intérieur libanais, ce sujet a été discuté uniquement au commandement du Hezbollah. Nous n’en avons ni consulté ni même informé auparavant nos alliés et nos amis, pour ne pas les coincer. Je veux dire par là que ce n’est pas par manque de confiance en eux. Nous ne voulions pas qu’ils se sentent coincés et nous avons préféré assumer seuls la responsabilité de cette décision.

GBJ : Donc, ni la Syrie, ni l’Iran, ni la Russie...

SN : Avec la Russie nous n’avons pas l’habitude de le faire. Vous pourriez me dire avec les Syriens, je vous dirais c’est possible, avec les Iraniens aussi, car en définitive cela a des répercussions sur toute la région. Mais dans ce cas précis, nous étions très clairs et très sérieux. Pour nous, il n’y a pas d’autre choix pour le Liban.

GBJ : Avec mes respects pour toutes les compagnies et pour leur travail, celles-ci qu’elles soient américaines et européennes et bien qu’elles soient commerciales, elles restent dépendantes des décisions politiques. Preuve en est lorsqu’elles ont commencé dans un lieu précis au Liban puis elles se sont arrêtées, parce que la décision est tombée. Dans ce cas, le Hezbollah pourrait-il pousser des compagnies amies, et pas seulement américaines et européennes, iraniennes, russes ou chinoises à se présenter ?

SN : Le problème n’est pas chez nous à ce sujet. Il est chez le gouvernement libanais. C’est d’ailleurs une ineptie que de dire que le Hezbollah contrôle le gouvernement et la décision de l’Etat libanais. C’est une des plus idiotes affirmations libanaises. Il y a quelques jours, M. Gebrane Bassil m’a adressé des propos à la télévision et je vais lui répondre de la même façon, parce que je n’ai pas eu le temps de le faire. Il a dit : si le sayyed parle avec les Iraniens pour nous amener du fuel pour les centrales électriques cela nous permettra d’avoir 10 heures de courant par jour etc. Je lui dis maintenant : je suis prêt à le faire. Mais que le gouvernement libanais dise qu’il est prêt à accepter ce fuel. Je dis cela pour éviter que le fuel arrive et reste au large des côtes libanaises, sans que le gouvernement n’ose le recevoir et accepter le don. Imaginez qu’il n’ose pas faire cela, ce gouvernement que nous sommes accusés de contrôler. L’histoire du mazout, tout le monde la connaît. Tout le monde sait que le jour où nous avons amené du mazout d’Iran, certains ont menacé de démissionner, sous prétexte qu’ils ne peuvent pas protéger le mazout amené d’Iran. C’est vrai qu’il n’était pas gratuit, mais nous l’avions amené à bas prix pour le vendre moins cher que celui qui était sur le marché. Nous avons donc été obligés de recourir aux autorités syriennes qui ont accepté que nous utilisions le port de Banias. Nous les en remercions. Le fuel est arrivé à Banias et ensuite il a été transporté en contrebande au Liban. Le fuel ne peut pas être amené de la même façon, car, en définitive, il arrivera au ministère de l’Energie. Il n’ira pas au peuple libanais.

Aujourd’hui, certaines compagnies russes, iraniennes ou des pays de l’Est pourraient être prêtes, mais malheureusement, il n’y a pas suffisamment de courage politique au Liban, en raison de la crainte des sanctions américaines sur les personnes et les familles.

GBJ : Mais aujourd’hui, comment le gouvernement pourrait-il refuser votre offre ? Si vous, avec votre allié le CPL, le ministère de l’Energie est sous son contrôle, et avec votre allié Amal et d’autres, vous ne pouvez pas prendre une telle décision, qui est le gouvernement ? Le Président du Conseil ?

SN : Le président du Conseil et d’autres...

GBJ : Mais au sein du gouvernement, ils sont minoritaires, si le président de la République, le CPL, le Hezbollah, Amal et les Maradas acceptent, qui restera-t-il ?

SN : Il y a des problèmes dans tout le pays. Evitons d’en ouvrir un nouveau. Mais je m’engage en direct à la télévision que si l’Etat libanais m’informe officiellement qu’il accepte la proposition iranienne du don de fuel, le Hezbollah avec ses amitiés et ses relations avec l’Iran  est prêt à amener la quantité nécessaire en guise de don à l’Etat libanais. Qu’ils acceptent seulement.

GBJ : M. Gebrane Bassil a trouvé une occasion pour s’activer dans ce cadre.

Revenons à votre dernier discours. Vous avez dit que la résistance a envoyé les 3 drones pour qu’«Israël» les attaque. Je ne suis pas un expert militaire, mais certains ont dit qu’ils n’ont pas compris comment le Hezbollah a envoyé des drones pour que l’ennemi les intercepte. Quel est le but ?

SN : Nous avons un genre de drones qui peuvent accompli leur mission sans que l’ennemi puisse les intercepter. Je voudrais dévoiler pour la première fois le fait que nos drones ont survolé à plusieurs reprises la région de la Galilée et le nord de la Palestine occupée. Ils l’ont fait des dizaines de fois au cours des dernières années et ils n’ont jamais été interceptés. Il y a quelques jours, l’ennemi a été heureux d’avoir détruit un drone utilisé dans les mariages mais tous les autres drones n’ont pas été découverts.

GBJ : Ils n’ont pas été découverts ou l’ennemi n’a pas voulu les détruire ?

SN : Il ne les a pas découverts. Bien sûr que s’il les avait découverts il les aurait détruits. Il y a eu une discussion entre les frères et moi au sujet de la nature des drones que nous comptions envoyer. Les drones qui accomplissent leur mission sans être interceptés visent à collecter les informations. Or nous considérons avoir suffisamment d’informations. Les autres peuvent récolter des informations et les envoyer avant d’être interceptés... Nous avons donc choisi d’envoyer la seconde sorte.

GBJ : Avez-vous obtenu des informations ?

SN : C’est un détail. Mais pourquoi voulions-nous que l’ennemi les intercepte ? Car si les drones reviennent sans avoir été interceptés, l’effet ne sera pas le même. Certains pourront même alors dire : qu’est-ce qui prouve que vous avez réellement envoyé des drones ?  Car il y a un débat au Liban et certains disent que ce que dit la résistance c’est juste de la publicité, et en réalité, elle n’osera rien faire. Les Israéliens misent sur cette logique. Car les Américains et les Israéliens ont des conseillers au Liban qui leur mentent et qui ont de fausses estimations. Par exemple, lorsqu’on dit que le Hezbollah est coincé et la situation du pays est difficile par conséquent, il ne peut pas se lancer dans une aventure de ce genre. C’est donc le premier objectif. Le second est que nous voulons que ce soit l’Israélien qui tire. Nous aurions pu lancer des missiles dans le ciel ou dans la mer, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons poussé l’Israélien à tirer de l’air et de la mer.

GBJ : Il est donc tombé dans le piège ?

SN : C’est normal qu’il tombe dans le piège. Il faudra lui conseiller de ne pas intercepter les drones lorsque nous en enverrons la prochaine fois. En pratique, il a sorti son armée de l’air. Les F16 et les F35 n’ont pu détruire qu’un seul drone. Il a dû recourir à sa flotte navale et il a utilisé des missiles mer-air Barak pour détruire le second drone. Le troisième n’a pas été intercepté. Nous avons envoyé un petit drone qui va jusqu’au bout et lorsque son gaz se termine il tombe dans la mer. Donc le troisième drone, l’ennemi l’a perdu. Au final, ils ont fait chuter deux drones un par l’armée de l’air et un par un missile mer-air. L’objectif était donc cette compagnie, dont le titre est grec mais il est apparu qu’elle est possédée par des Israéliens. Il faut préciser qu’il ne s’agit donc pas d’un navire grec, mais israélien qui utilise comme titre une compagnie grecque. Tous ceux-là ont compris qu’ils se trouvent dans une zone qui n’est pas sûre, susceptible d’être la cible d’une attaque militaire à tout moment. Preuve en est, les drones, les armes anti-aériennes, les missiles Barak... C’est cela le message.

GBJ : Aviez-vous envoyé auparavant des drones pour inspecter le champ de Karish ?

SN : Nous n’en avons pas besoin pour l’instant.

GBJ : Alors comment savez-vous ce qui se passe ? Avez-vous les données ?

SN : Nous avons des moyens qui nous permettent de tout savoir concernant ce bateau, les mouvements des forces navales dans la région. Certes, lorsque nous envoyons un drone, nous avons encore plus d’informations ou alors nous confirmons encore plus celles que nous avons. Et si nous avons besoin de le faire, nous enverrons des drones. Il n’y a aucun problème à cela.

GBJ : Derrière vous, il y a une aile du missile qui avait atteint le bateau Saer en 2006...

SN : Je ne sais pas si cette aile peut apparaître dans la caméra. Les frères l’ont amenée exprès.

GBJ : Les cameramen essayeront de la prendre. Peut-on considérer aujourd’hui que le Hezbollah est devenu une force navale militaire sérieuse ?

SN : Dire cela est peut-être exagéré. Tout comme lorsqu’on dit que le Hezbollah est une force régionale. Je dirais plutôt qu’il est une force ayant une influence régionale. Je n’aime pas les exagérations parfois. Nous avons une capacité navale suffisante pour réaliser la dissuasion voulue et suffisante pour atteindre les objectifs requis. Rien de plus. A vous d’imaginer le reste.

GBJ : Cette force est-elle uniquement défensive ?

SN : Non, elle est aussi offensive. Lorsque nous parlons de dissuasion et d’atteinte des objectifs, cela signifie une force offensive et défensive.

GBJ : Vous avez donc une capacité navale dissuasive qui peut attaquer et défendre jusqu’aux limites extrêmes de la Palestine occupée ?

SN : Il ne s’agit pas d’une force traditionnelle classique. En définitive, nous sommes une résistance. Dans toutes nos forces, nous n’adoptons pas les formes classiques...

GBJ : Je ne parle bien sûr pas des bateaux. Mais vous avez cette capacité ?

SN : Laissez-moi utiliser cette façon de le dire: Avons-nous les moyens de faire de la dissuasion, de frapper des cibles dans les eaux de la Palestine occupée, n’importe où dans ces eaux ? Oui.

GBJ : N’importe où dans les eaux de la Palestine occupée ou bien au-delà, bien au-delà ?

SN : Aujourd’hui vous insistez beaucoup sur au-delà et bien au-delà. Finalement c’est l’étendue au large des côtes de la Palestine occupée ...

GBJ : Quel est le secret qui a permis au Hezbollah en tant que résistance d’avoir tous ces moyens et ces capacités de dissuasion terrestre et maritime ? Et avez-vous une force de dissuasion aérienne ?

SN : Concernant nos capacités aériennes, nous ne dévoilons pas nos cartes. Après l’envoi de drones au-dessus de la banlieue sud, tout le monde se souvient de cet épisode, nous avons pris la décision de commencer une confrontation par les drones, à un certain niveau. Nous possédions auparavant les moyens de faire face aux drones, mais nous les avions pas utilisés, nous avions reporté l’utilisation de ces moyens pour d’autres occasions, notamment s’il y a une guerre. Mais l’ampleur des violations israéliennes aériennes, certes beaucoup se taisent sur ces violations, bien que les Israéliens aient survolé le ministère des AE, le ministère de la Défense et d’autres endroits officiels... L’armée libanaise a enregistré des dizaines de milliers de violations de la résolution 1701 (je dis cela parce que l’ennemi parle beaucoup de la 1701), il y a donc des violations israéliennes aériennes multiples, par le biais de drones. Mais cette opération contre la banlieue sud n’était plus consacrée à la collecte d’informations, il s’agissait de tuer, de faire sauter, de détruire et de cibler. A partir de ce moment, nous avons pris la décision d’utiliser cette capacité dont nous disposions, ou en tout cas une partie de cette capacité. Nous parlerons pas de l’autre partie. Qu’elle existe ou non c’est une autre affaire. Dans un cadre précis, nous sommes donc en mesure de faire face aux drones. Nous avons commencé à le faire en pratique. C’est pourquoi je peux aujourd’hui vous donner des exemples, dans la Békaa. Nous travaillons dans des circonstances très difficiles. Les rampes de missiles qui visent les drones doivent être cachées de l’ennemi bien sûr, mais aussi de l’ami et même au sein du Hezbollah. Il faut les dissimuler même à la résistance. C’est dire que nous travaillons dans des circonstances sécuritaires très difficiles. Dans la Békaa par exemple, les drones survolaient en permanence. Aujourd’hui, ils ne survolent plus pendant trois ou 4 mois. Certes, ils cherchent des solutions de rechange pour recueillir des informations dans la Békaa. Même les drones qui survolent la Békaa à une altitude élevée ne viennent plus que rarement, tous les 3 ou 4 mois. Au Sud, ils survolent aussi beaucoup moins. Les habitants du sud peuvent en témoigner. De plus, auparavant, ces drones venaient du Nord de la Palestine occupée en survolant la terre. Maintenant, ils tournent au-dessus de la mer et piquent ensuite vers la localité du Sud qu’ils visent. Même au-dessus de la banlieue sud et de Beyrouth, les survols ne sont plus aussi fréquents que par le passé. Bien qu’ils sachent  qu’au-dessus de Beyrouth et de la banlieue sud, il y a un problème à utiliser des défenses aériennes d’une façon non coordonnée car il y a l’aéroport et les avions civils. Les «Israéliens» le savent ce n’est donc pas un secret. Donc, la réduction des survols au sud et dans la Békaa est plus significative, car dans ces régions, nous avons les coudées plus franches.

Nous avons dû dévoiler cela. Mais nous ne sommes pas disposés à en dire plus. Pourquoi le ferions-nous ?  Si cela apparaît plus tard, on saure que ces capacités existent. Sinon, c’est qu’elles n’existent pas.

GBJ : Lorsque vous avez déclaré, dans votre dernier discours, qu’il est possible de se diriger vers une guerre, votre public et tous les partisans de la résistance au Liban et en dehors du Liban ont sans doute confiance dans les capacités et les moyens du Hezbollah. Mais il y a aussi un camp qui est inquiet, non seulement parce que vous détenez l’initiative sans revenir au gouvernement, nous avons dépassé ce point, mais ce camp est aussi inquiet de la possibilité qu’«Israël» soit violente, destructrice et frappe tout le Liban. Que pouvez-vous dire pour rassurer les Libanais et les autres, au sujet du fait que lorsque le Hezbollah prend l’initiative, il a les moyens de frapper l’occupant israélien et de protéger le Liban ?

SN : Pour ne pas entrer dans les détails, il me suffit de dire au peuple libanais qu’il doit avoir confiance parce qu’il a une résistance qui a la force et les moyens humains, militaires et matériels pour tenir bon et pousser Israël à plier face à la volonté du Liban. Je leur dis : soyez confiants que comme dans toutes les expériences passées, le Liban ne sera pas vaincu.  Ensuite, il n’est pas dit qu’une guerre va éclater, il se peut que les questions en suspens soient réglées. Personne ne se dirige vers une guerre parce qu’il aime cela.  Nous avons toujours dit que nous ne cherchons pas la guerre. Nous ne la voulons pas, mais si elle a lieu, nous sommes prêts et nous en serons les héros. Aujourd’hui, nous disons que nous empêcherons l’extraction du gaz et du pétrole israéliens si le Liban est interdit d’extraire les siens, même si cela doit entraîner vers une guerre. Nous irons à ce moment vers la guerre. Mais la décision de la guerre est entre les mains d’«Israël», pas entre les nôtres. Il faut faire la précision. Nous n’avons pas pris la décision de la guerre. Nous avons dit : nous empêcherons l’ennemi... Donc ce que nous ferons dépendra du comportement de l’ennemi. Par conséquent, si la situation se dirige vers la guerre, je demande aux Libanais d’avoir confiance en Dieu, leur Dieu à tous et qu’ils aient confiance dans cette résistance qui parviendra à imposer à l’ennemi la volonté du Liban.

GBJ : Pouvons-nous dire que le Liban, ou le Hezbollah, sera seul ?

SN : Nous n’avons pas discuté ce point avec qui que ce soit. Nous ne demandons des engagements à personne et nous n’en avons pas pris. Mais la situation, en ce qui nous concerne et en ce qui concerne ce qui se passe à l’intérieur de la Palestine occupée est ouverte. Supposons qu’une guerre éclate entre le Liban et l’ennemi israélien, on ne sait pas si elle restera limitée à ces deux parties. Peut-elle se développer en guerre au niveau de la région ? D’autres forces entreront-elles dans la bataille ? C’est une possibilité envisagée avec force.

GBJ : Nous avons fini avec le premier axe et j’estime que nous avons obtenu des réponses suffisantes. Cet axe a été long mais il est très important et je vous remercie pour votre franchise...

Deuxième axe

GBJ : Dans cet axe, je voudrais évoquer le Liban, la pensée, la politique et l’identité. Je suis désolé de poser cette question, mais je dois le faire : Que représente pour vous le Liban ? Certains vous accusent d’être dans une certaine mesure une colonie iranienne. Certes vous détenez la nationalité libanaise, mais votre idéologie, votre pensée, votre discours, votre façon de vous habiller, vos chants, vos mouvements, votre culture... Rien n’indique que vous êtes Libanais, à part votre langage parlé et votre nationalité...

SN : Ils disent cela, mais pas vous.

GBJ : Vous ne ressemblez à personne, vous ne ressemblez pas à leur culture. Nous ne sommes plus ici face à des confessions et des religions différentes, ce qui pourrait être une richesse pour le Liban. Vous êtes différents. Même la formule Salam O Mehdi a créé une polémique. Convainquez-nous que vous êtes Libanais.

SN : Il est bon de commenter ce débat qui se déroule au Liban. Chaque fois que ce sujet était posé, nous nous demandions, mes frères et moi : quels sont les critères ?  Il ne s’agit pas d’une question d’humeur. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un Libanais qui a un média (et avec les réseaux sociaux c’est encore plus facile) et il décide soudain de classer les Libanais. Selon l’humeur, chacun peut dire ce qu’il veut. Il peut classer le monde entier. Dans ce contexte, il n’ y a plus de logique. Si cette classification se base sur la logique, dites-nous quels sont les critères adoptés par les Libanais, par l’Etat et par les groupes pour dire que ce groupe est Libanais ou non. Quels sont les critères ? Au Liban, personne ne pousse le débat vers ce point.  Personne ne dit que le critère du nationalisme est le point suivant d’une façon scientifique et objective. Si nous restons au stade de l’humeur, du ciblage politique et médiatique et de la déformation, je pourrai parler avec vous jusqu’au matin et cela ne changera rien, car l’autre camp a pris sa décision à ce sujet.

GBJ : Qui est l’autre camp ? Je préfère l’appeler le camp différent.

SN : Je continue. Si le débat est rationnel et objectif, nous pourrons voir quels sont les critères adoptés dans le monde sur le plan humain. Par exemple, lorsque le Liban actuel a été créé, en 1920, le Grand Liban et il a regroupé Beyrouth, le Mont-Liban, Jabal Amel ( qui ne s’appelait pas  le Sud), la Békaa, Tripoli (qui ne s’appelait pas le Nord Liban), le Akkar, Denniyé etc, les gens qui vivaient là depuis des années, leurs pères, leurs grands-pères et leurs ancêtres ont été classés Libanais. Cela s’applique à nous aussi et sur la plupart des Libanais. Parmi ceux qui nous accusent de ne pas être Libanais, certains ont malheureusement des grands pères qui viennent d’Egypte et d’ailleurs, d’Europe ou de tel lieu. Permettez-moi de le dire franchement, car la question ne concerne pas seulement le Hezbollah, certains parlent des chiites en général. Les chiites sont présents au Liban depuis 1400 ans, car les chiites au Liban considèrent que «la chiisation» a commencé au Liban après que toute la région se soit islamisée, à cause de Abi Zarr Al Ghafari à l’époque du troisième calife Osman ben Affane. Ils sont donc là depuis 1400 ans.

Voulez-vous que nous évoquions dans les détails, les tribus et les familles, ainsi que les groupes libanais et qu’on voit quand ils sont arrivés au Liban et qui est par conséquent là depuis plus longtemps ? Les chiites disent même plus que ça. Ils affirment être au Liban depuis avant 1400 ans, lorsque la tribu Amila est arrivée du Yémen... Nous sommes donc là depuis plus de 1400 ans, cela sur le plan de la présence historique. Deuxièmement, lorsque ce pays a été formé de ces communautés et que son nom est devenu le Liban, comment peut-on dire que tel est plus Libanais que tel autre ? Sur quelle base ? Ça, sur le plan de la profondeur historique.

Noua arrivons maintenant à l’engagement à assurer les intérêts du pays. C’est un des critères du nationalisme. J’en ai déjà parlé dans le passé. Nous étions à la conférence du dialogue en 2006. Quelqu’un nous a dit : Vous servez les intérêts de l’Iran. J’en ai parlé dans plusieurs discours et j’en parle de nouveau. Je le dis à toutes les télévisions et à tous les médias presse écrite, sites électroniques : amenez-moi un seul témoin qui nous raconterait, un seul fait qui montre que le Hezbollah a agi dans l’intérêt de l’Iran. Je vous demande un seul témoin et un seul fait qui montrerait qu’en 40 ans, nous avons fait telle chose dans l’intérêt de l’Iran. Tous les chefs de file et les responsables étaient présents et aucun d’eux n’a pu me donner un seul témoignage et un seul fait qui prouverait cela, même celui qui nous a lancé l’accusation. Si le critère du nationalisme est de défendre et de protéger le pays, de verser son sang pour le pays et de dépenser de l’argent, de veiller et de se fatiguer, de suer pour son pays, je ne vais pas dire que nous avons donné plus que les autres. Je vais être modeste, même si certains n’aiment pas cette modestie chez mois. Nous avons payé du sang pour protéger notre pays, nous avons libéré notre pays. Sans ces sacrifices, à l’ère israélienne, les israéliens auraient avalé ce pays. Sans eux, le Liban aurait été avalé et je le dis à ceux qui nous accusent de ne pas être Libanais. Je ne vais pas être offensif. Je vais être défensif car le climat général du pays ne le supporte pas plus. Je ne vais pas dire : venez doucement vers nous car nous allons vous donner des certificats. Je ne veux pas parler ainsi. Je me contente de me défendre.

Ils viennent vous dire : la culture est importée. Ceux qui disent cela sont soit ignares, soit ils le font sciemment car j’ai dit qu’ils sont des adversaires et ils veulent ouvrir la guerre. S’ils sont ignares, c’est qu’ils ne connaissent pas l’Histoire, l’Histoire du Liban et de son peuple qui remonte à 1400 ans, chrétiens et musulmans. Si notre culture est musulmane cela signifie-t-elle qu’elle est importée ? Les musulmans appartiennent à diverses confessions. Nous sommes chiites depuis 1400 ans, voici notre culture, nos Livres, nos ulémas, nos grands. Nos spécialistes, nos penseurs et nos ulémas libanais ont écrit des ouvrages qui sont enseignés dans les écoles religieuses de Najaf et de Qom, et dans toutes les haouzats du Monde, au Pakistan, et en Afghanistan, tous les étudiants dans les écoles religieuses apprennent le contenu de ces ouvrages. Je pourrais citer de nombreux ouvrages qui sont des références et qui sont écrits  par des Libanais. Le premier martyr est de Jezzine, il remonte à l’an 800 de l’Hégire. Le second martyr est de Jbah et il remonte à l’an 900 de l’Hégire. Les ouvrages des ulémas libanais sont enseignés dans toutes les écoles religieuses du monde. Cette culture est la nôtre et c’est nous qui l’avons exportée. Certains viennent dire : vous l’avez amenée d’Iran. A ceux-là je voudrais rappeler que l’imam Khamenei s’est rendu une fois dans la région de Ahwaz et il a déclaré que deux régions dans le monde ont eu un impact sur la culture qui est arrivée en Iran, il y a des centaines d’années, Al Ahwaz et Jabal Amel... Et avec cela on vient nous dire que nous importons notre culture d’Iran...

Lorsque nous arrivons au sujet de l’imam Mehdi, les chiites du Liban y croient depuis 1400 ans. Comment peut-on dire que nous avons amené ce sujet d’Iran, d’Irak ou d’ailleurs ? Avec toutes les explications que je vous donne, je vous dis que ce sont des ignares. C’est comme l’histoire du hijab. Pourtant depuis cent ans, il y avait des femmes au Liban et ailleurs qui se couvraient de la tête aux pieds. J’ai vu il y a quelques jours, un documentaire sur Londres et Paris à l’époque où, les femmes se couvraient de la tête aux pieds. Ils sont ignares.

Lorsqu’on discute avec nous de notre culture, nous disons que ce pays est multiculturel et il est aussi à idéologie multiples, il est aussi multi religieux et c’est sa particularité. La particularité du Liban est sa diversité et il était pour cette raison un refuge pour tous ceux qui ont peur. Parlons un peu d’histoire.  Ceux qui avaient peur  à cause de leur idéologie, de leur religion, de leur culture, de leurs traditions sont venus au Liban. Le Liban nous a tous réunis et nous devenus un seul peuple, une seule patrie et nous avons bâti nos divergences sur le respect de l’autre, de son idéologie, de sa culture, de ses habitudes. Aujourd’hui, tout cela est renié.

Pour toutes ces raisons, nous n’acceptons pas, et là je n’attaque pas, je défends, que l’on vienne nous dire : on doute de votre libanité, de votre nationalisme, votre culture est importée. Non, notre culture est authentique. C’est nous qui avons travaillé pour répandre notre culture dans le monde. D’ailleurs, une des injustices au Liban, c’est que beaucoup au sein du peuple libanais, ne connaissent pas ces grands penseurs dont l’influence s’étend jusqu’au Pakistan, jusqu’en Inde, jusqu’en Afrique, et en Azerbaïdjan. Mais au Liban, on ne les connaît pas. Pourquoi ? Parce qu’ils ne figurent pas dans les livres officiels d’histoire...

 

GBJ : Mais pourquoi avez-vous estimé que c’est la communauté chiite qui était visée, non le public du Hezbollah ?

SN : En raison du langage utilisé. Par exemple lorsqu’il y a eu une polémique au sujet du «Salam O Mehdi», pourquoi maintenant alors que nous croyons en Lui et nous nous adressons à Lui depuis 1400 ans. Qu’y a-t-il de nouveau pour en faire une polémique ? De même, pourquoi cette protestation aujourd’hui, au sujet des femmes en noir et des pleurs et des séances de condoléances à l’occasion de Achoura, alors que c’est une tradition respectée depuis des dizaines d’années ? C’est clair qu’il y a un ciblage…

GBJ : De la communauté chiite ou du Hezbollah ?

SN : Le ciblage est plus large que le Hezbollah. Il y a un ciblage contre tous ceux qui appuient la résistance, mais les chiites en premier lieu car ils constituent l’environnement populaire direct de la résistance.

Regardez par exemple certains sites de certains partis libanais. Parce que nous menaçons d’amener du pétrole et du gaz pour tout le peuple libanais et pour tout l’Etat libanais, des menaces sont adressées aux gens de la banlieue sud et du sud pour leur dire qu’ils vont payer le prix. C’est une incitation claire contre notre environnement direct qui appuie principalement la résistance. Il y a en a un autre plus général qui regroupe des gens de toutes les confessions… Mais là on veut s’adresser à notre environnement direct. Par exemple, pendant la guerre de juillet, quelles sont les régions qui ont été bombardées ? Dans la banlieue sud, les bombardements étaient très intenses. Il n’y avait pas d’eau, ni d’électricité, il y avait des destructions et du danger…

GBJ : Aujourd’hui, nous sommes dans la banlieue sud ?

SN : Bien sûr ! Vous traversez la rue, la rue de la cité sportive et c’est un autre monde. A l’Est et à l’Ouest, pendant la guerre de juillet, il y avait un autre monde. Même chose au Sud et dans la Békaa. Donc, il s’agit de viser l’environnement populaire direct de la résistance C’est cet environnement qui verse le sang avec la résistance et qui paye avec elle et consent des sacrifices. Il faut donc l’affronter et l’effriter, faire pression pour déformer l’image de la résistance, dans les questions de la vie quotidienne, dans la situation financière, économique et en même temps, il s’agit de faire pression sur tout le peuple libanais. Ça c’est une partie du sujet. Il y en a une autre qui s’appelle «Salam O Mehdi». Pourquoi cette expression les a provoqués ? J’en ai parlé dans le cadre d’une rencontre interne. En général, les fuites qui sont faites sur ces rencontres ne sont pas très précises et certains médias bâtissent des théories sur ces fuites. Cette expression, les jeunes et la foule qui a participé aux meetings électoraux, tout cela était un message fort à tous ceux qui visent cet environnement pour leur dire : en dépit de toutes vos pressions, nous appuyons la résistance et vous ne parviendrez pas à nous éloigner d’elle. Ce message a aussi été adressé par les nouvelles générations sur lesquelles ceux qui visent l’environnement de la résistance misaient. Monsieur Ghassan, il y avait un grand pari en Iran, en Palestine, au Liban et dans toute la région, sur les nouvelles générations. Malgré cela, les jeunes, en tout cas, notre génération et celle de nos enfants quoiqu’ils fassent resteront avec la résistance, avec la dignité, contre la présence d’«Israël». Maintenant, il y a les réseaux sociaux qui appellent au laxisme, qui détruisent les familles, la maison… Ces réseaux forment des générations qui ne s’intéressent plus à une cause, à la foi, à la culture, aux symboles sacrés, ni Al Qods, ni la mosquée Al Aqsa signifient rien pour elles, ni l’Eglise de la Nativité. Donc maintenant, le travail se fait là et le pari est là. Et voilà que malgré tour ce travail accompli, à un moment précis, les jeunes sont venus participer à ces rencontres, les enfants sont venus avec leurs parents, faisant parfois un trajet de 4 heures et restant sous le soleil pour suivre la cérémonie… Cette génération fait peur ? Oui certainement elle fait peur à «Israël». C’est pourquoi les Israéliens ont commenté cela car ils voient les choses en profondeur, non pas comme certains chez nous qui sont superficiels. Ceux qui regardent les choses en profondeur ont raison de s’inquiéter. «Salam O Mehdi» ou «Salam Farmandeh» en persan ont suscité la peur parce que les nouvelles générations sur lesquelles ils misaient les ont désespérés. Toutes les chaînes satellites ont parlé de «Salam Farmandeh», comme si c’était une nouvelle bataille, un nouvel enjeu. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient convaincus qu’après tout ce qui s’est passé, les nouvelles générations ne s’intéresseraient plus ni à l’imam Mehdi, ni à l’imam Khomeiny, ni à l’islam, ni à la révolution, ni à la République islamique, ni aux opprimés. La même chose a eu lieu chez nous. C’est pourquoi «Salam O Mehdi» a eu un tel impact et c’est un message fort d’attachement à la résistance et aux valeurs. Pourquoi maintenant ? A propos, Monsieur Ghassan, je voudrais signaler que c’est la première fois qu’il y a des chants en hommage à l’imam Mehdi. Ce n’est pas la première fois que les jeunes scouts s’adressent à l’imam Mehdi, mais ce chant à ce moment précis, avec cette musique et ce contenu, ont constitué ce message …

GBJ : Il s’est répandu aux quatre coins du monde. On a vu cela en Afrique.

SN : Je voudrais encore ajouter une chose. A ceux qui disent que nous ne leur ressemblons pas, savent-ils à quoi ils ressemblent eux, pour pouvoir préciser à qui ils ressemblent ? D’ailleurs se ressemblent-ils entre eux ? Qu’ils se mettent donc d’accord sur une image pour qu’on puisse décider qui ressemble à qui…

GBJ : Il existe une culture arabe ouverte et imprégnée de culture occidentale civilisée et qui prône l’ouverture…

SN : Monsieur Ghassan, la seconde erreur est que quelqu’un vienne dire : je suis l’image du Liban et à partir de là, il définit qui lui ressemble ou non. Qui lui a dit qu’il incarne l’image du Liban ?  Parlons d’histoire et de présent… Cette logique n’apporte rien. J’ai pris un peu de temps pour répondre car finalement, c’est un climat qui existe dans le pays.

GBJ : C’est vrai. Au contraire, c’est bien que vous en parliez. Mais en toute franchise, il y a un troisième point que nous entendons dans des milieux diplomatiques occidentaux. Ils disent que ce qu’ils ont vu n’est pas seulement un aspect culturel et social, ils considèrent qu’il y a un aspect militaire et comme vous aviez dit il y a quelque temps que vous disposez de 100 000 combattants, êtes-vous donc en train de préparer 100 000 autres ?

SN : Leur problème n’est pas avec les 100 000 combattants, mais avec cette culture, celle de la résistance. Qu’est-ce qui est demandé dans la région ? La culture de la normalisation qui est à l’opposé de la culture de la résistance. Il y a trois possibilités : la normalisation, la résistance ou rester à l’écart, mais cette attitude ne peut pas durer. Les Américains, les Israéliens et d’autres veulent répandre la culture de la normalisation. Je dirais pourvu qu’ils n’arrêtent pas de le faire. Car selon un sondage effectué par une compagnie américaine en Arabie, aux Emirats et à Bahreïn, en dépit de tous les moyens déployés, des médias, des armées électroniques, de la destruction des valeurs et des croyances sacrées, de la violation des lignes rouges, combien, dans ces pays appuient la normalisation et combien la refusent ?

GBJ : Plus de deux tiers la refusent.

SN : C’est un point très important. C’est pourquoi, à mon avis, le problème est avec la culture de la résistance et non pas dans le fait que ceux-là sont des combattants. Ils peuvent être des médecins, des ingénieurs, des professeurs d’université, mais cette culture ne renonce pas à ses valeurs et à ses croyances sacrées, elle ne renonce pas à sa terre, à sa dignité et refuse l’occupation. Cela évidemment les énerve et les provoque.

GBJ : Entre parenthèses sayyed, vu que vous êtes un grand uléma, dites-moi l’imam Al Mehdi est aussi attendu chez les sunnites, n’est-ce pas ?

SN : L’idée de l’imam Al Mehdi est une idée musulmane qui rassemble les musulmans. Le conflit porte sur le fait que certains disent qu’il est né et qu’il est le fils de l’imam Al Hassan Al Mehdi, ibn Al Hassan Al Askari, alors que d’autres disent qu’il naîtra 30 ou 40 ans avant son apparition.

GBJ : Exactement, donc, l’idée de l‘imam Al Mehdi existe chez tous les musulmans.

SN : De même, dans la culture islamique chiite et sunnite, lorsqu’on parle de l’imam Al Mehdi, on parle aussi de Jésus Christ pour les chrétiens. Jésus reviendra dans ce monde et l’imam Al Mehdi apparaîtra ensemble, ils réaliseront la justice, la paix, la compassion et l’amour dans ce monde, après l’injustice, l’oppression, la tyrannie, la violence etc.

GBJ : Il s’agit d’une conviction chez tous les musulmans. Je ne veux pas lier les faits. Mais il y a actuellement une campagne contre vous à cause de l’affaire dite de Mgr Moussa Al Hajj. Il est revenu de la Palestine occupée via Naqoura, ramenant avec lui près d’un demi-million de dollars. La justice militaire et la Sûreté générale ont agi, mais il y a une campagne contre le Hezbollah. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas compris quelle est la position du Hezbollah. L’autre jour à Dimane, des slogans contre le Hezbollah ont été lancés, aujourd’hui, un ancien Président du Conseil, qui n’est pas lié à cheikh Saad Hariri a critiqué le Hezbollah. Quelle est donc votre position ? Etes-vous derrière  les mesures prises contre Mgr Al Hajj ?

SN : Tout cela est bâti sur une fausse base qui est aussi injuste. On ne peut pas supposer et dire que les services de sécurité libanais travaillent sous les ordres du Hezbollah. C’est faux. C’est un mensonge et une diffamation pour nous et pour les services, tous les services, qu’il s’agisse des SR de l’armée, de la Sûreté générale, des SR des FSI ou de la Sûreté de l’Etat. Imaginez un peu que l’armée libanaise travaille sous les ordres du Hezbollah ! Au Liban, aujourd’hui, il existe des lois. Dès qu’il y a collaboration ou soupçon de collaboration avec «Israël», les services réagissent. Il y a quelques temps, les SR des FSI et ceux de l’armée ont arrêté plusieurs personnes soupçonnées d’avoir des relations avec «Israël». Est-ce à dire que le directeur des FSI et le chef des SR des FSI (Al Maaloumat) ont agi sur base d’instructions du Hezbollah ? Nous ne savions pas ni dans ce cas ni dans l’autre. Nous avons su par les médias. Si je le dis, ils ne le croient pas. C’est pourquoi nous avons préféré nous taire.

GBJ : Réellement vous n’étiez pas au courant ?

SN : La Sûreté générale fait son travail et elle est présente à tous les points de passage frontaliers. Le directeur de la Sûreté est notre ami. C’est connu qu’il y a entre nous de l’amitié et de la confiance comme c’est d’ailleurs le cas avec d’autres services de sécurité. Il fait donc son travail. Il s’agit d’une institution reconnue par l’Etat libanais, il obtient une autorisation judiciaire et il agit. Il a d’ailleurs précisé tout cela. Il a déclaré avoir reçu une note judiciaire. L’évêque est arrivé à Naqoura avec 320 valises. Nous devions les fouiller. Cela a pris de longues heures. Ila donc été retenu pendant 6 ou 7 jours sur la base d’une note judiciaire. Qu’a donc à voir le Hezbollah dans tout cela ?  Il faut cesser de distraire les gens avec les cris et les protestations. Soyons rationnels. Qu’a donc à voir le Hezbollah avec cela ? Nous avons appris l’affaire comme les autres Libanais. Si j’avais su avant cela, je l’aurais dit. Je n’ai peur de personne, sinon de Dieu. Cela fait une heure que nous parlons d’«Israël» et de la guerre. Je sais que cela peut déplaire à une partie des Libanais qui vont nous insulter. Mais peu importe, car nous disons la vérité et nous avons à cœur l’intérêt de notre pays.

Je veux donc dire au peuple libanais et en particulier aux frères chrétiens que certains veulent monter contre nous, soyez sûrs que le Hezbollah n’a rien à voir ni de près ni de loin avec cette affaire. Il n’était pas au courant et il n’a pris aucune décision en ce sens. Rien.

GBJ : Par la suite, vous n’êtes pas intervenus ?

SN : Non, nous ne sommes pas intervenus et nous ne le ferons pas. Il y a la Sûreté générale libanaise, la Justice libanaise. Ce sont ces institutions qui agissent. C’est le premier point.

Ensuite, il est clair que cette affaire est utilisée actuellement pour mobiliser et inciter religieusement et confessionnellement. Quand je vous parle de ciblage contre nous et notre environnement, en voilà un exemple. Vous n’avez rien à voir dans cette affaire ni de près ni de loin, mais on vous attaque jour et nuit, une manifestation se déroule à Bkerké au cours de laquelle on scande que le Hezbollah est terroriste… J’ai souri en voyant cela.

GBJ : Vous n’avez pas protesté ?

SN : Pourquoi le ferai-je ? Certains ont pris leur décision…

GBJ : Je ne parlais pas de ceux qui ont scandé les slogans, mais de ceux qui n’ont pas protesté quand ils ont été scandés dans un lieu religieux

SN : C’est leur problème, qu’ils protestent ou non, c’est leur affaire. Nous n’avons rien à voir avec cela.  Ensuite, les services de sécurité font leur travail, ainsi que la justice. En tout cas, il faut suivre tout cela.

Lors de l’enquête sur l’explosion du port, j’avais dit qu’il y avait des questions pas claires dans l’enquête, un soupçon de politisation alors que l’enquête technique n’avait pas été communiquée aux proches des martyrs. Soit une enquête sérieuse est menée, soit il vaut mieux changer le juge d’instruction. Il y a eu immédiatement un tollé. On nous a accusés d’intervenir dans les affaires de la Justice et de menacer le juge. Aujourd’hui le juge Fadi Akiki a été accusé de traîtrise. Certains réclament qu’il soit jugé ou même condamné à mort, en tout cas expulsé du corps judiciaire. Pourquoi ? Parce qu’il a donné une note à la Sûreté pour fouiller les valises de l’évêque… Nous autres, nous n’avons menacé personne. Nous avons juste demandé au juge de mener une enquête véritable et transparente sans arrière-pensée politique soit qu’un autre soit chargé du dossier ; nous n’avons pas demandé que l’enquête soit stoppée.

Qui est donc en train de frapper les services de sécurité et la Justice ? Ceux qui nous critiquent et s’opposent à nous dans certains dossiers. Ce qui s’est passé au cours des deux derniers jours Mr. Ghassan ne laissera aucune institution de l’Etat debout, ni la justice, ni les services de sécurité, ni un juge, ni un responsable sécuritaire, plus personne n’osera rien faire. Dans peu de temps, les gens pourront entrer en Palestine occupée et en sortir, faisant entrer et sortir des fonds et personne n’a le droit de leur demander des comptes. Ce qui se passe est très dangereux. Mais malgré cela, nous ne voulons pas entrer dans cette bataille et dans cette polémique. Je dis donc à toutes les personnes concernées par ce dossier de la plus importante (et tout le monde sait de qui je parle) à la moins importante que cette façon d’agir et ce processus est dangereux et faux et ne sert pas l’intérêt du pays.

GBJ : Jusqu’à quand se poursuivra cette incitation ? Quel est son objectif ? Veut-on aller vers la partition ? Pendant 20 ans, vous avez dit que le Liban ne sera pas divisé, ni ne se transformera en fédération et celui qui veut le divorce qu’il aille au Canada…

SN : Je répète les mêmes propos. Le Liban ne sera pas partagé et il ne se transformera pas en fédération. Il n’y a pas de possibilité pour cela. Dans le monde de la philosophie, il y a quelque chose qui s’appelle les probabilités. Il n’y a aucune probabilité pour la partition du Liban. Si quelqu’un veut partager le Liban, selon quel critère et sur quelle base peut-il le faire ? Que reste-t-il du Liban s’il est partagé ? Parler de partition, c’est parler de l’élimination d’un peuple, d’une terre, d’une géographie et d’un avenir. Tout cela c’est pour exercer des pressions. Cela n’aboutira pas ni à la partition ni à la fédération. Il s’agit de pressions aux calculs et au plafond connus. L’élection présidentielle arrive et certaines parties veulent améliorer leur position et affaiblir celle des autres. Il y a en perspective la formation d’un nouveau gouvernement et certains veulent améliorer leur position. A mon avis, les gens ne doivent pas avoir peur à ce point. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Il y a eu à plusieurs reprises des développements de ce genre, nous avons entendu des cris et du bruit qui ont parfois duré des semaines, puis tout s’est calmé. C’est la méthode libanaise.

GBJ : Au sujet de la présidence et de la formation du gouvernement, qu’est ce qui passe avant ? Ensuite avez-vous des critères précis pour le futur président ?

SN : Encore une chose sur le sujet du transport de fonds venant de la Palestine occupée vers le Liban : c’est contraire à la loi et à la décision officielle. A ce sujet, il n’y a pas de différence entre le transport de fonds pour des raisons humanitaires ou non. Je voudrais rappeler aux Libanais une décision de l’imam Moussa Sadr. A un moment donné, les Israéliens avaient installé à la frontière sud ce qu’ils avaient appelé «le bon mur». A cette époque, les habitants du Sud étaient pauvres, heureusement leur situation s’est quelque peu améliorée depuis, ils pouvaient donc être tentées de prendre à partir de «ce Bon mur», des médicaments, du pain, de l’argent. Mais l’imam Sadr est venu dire : même si on meurt de faim et même si on risque la mort sans tel ou tel médicament, il vaut mieux mourir plutôt que de prendre quoi que ce soit de «ce mur».

GBJ : Il a donc émis une fatwa.

SN : Bien sûr ! Certes, il n’était pas une autorité religieuse traditionnelle, il ne s’était jamais présenté comme un idéologue, mais lorsqu’il s’exprimait, il donnait la position en harmonie avec la Fatwa de la charia.

Aujourd’hui, au sujet d’«Israël», c’est bien de coopérer et de nous entendre. Mais sur ce sujet, nous ne pouvons pas être coulants. Avec tous mes respects pour le patriarcat, pour les évêques, les hommes de religion, les cheikhs, les muftis et tous ceux qui évoluent dans le domaine religieux, le sujet d’«Israël», et le fait de transporter des fonds à partir de l’intérieur de cette entité est contraire aux lois et aux intérêts du Liban. Je le répète, nous n’avons rien à voir avec ce qui s’est passé, mais notre position est claire. Même l’exception donnée à l’évêque parce qu’il a des ouailles à l’intérieur et qu’il doit s’occuper des affaires de cet évêché, je n’en suis pas convaincu. Pourquoi donner cette exception ? Pourquoi devons-nous ouvrir nos frontières  avec la Palestine occupée du moment que vous dites qu’«Israël» est l’ennemi ? Est-ce à dire que certains de ceux qui disent cela mentent ? Peut-être que leur conviction profonde est totalement différente. Peut-être qu’au fond d’eux ils considèrent «Israël» comme un ami, un allié et un avenir. Si nous sommes sincères, ce dossier devrait être fermé. Il y a une communauté et un évêché dont vous voulez vous occuper ? Soit. L’évêque peut partir de Beyrouth vers Amman et à partir de là se rendre où il veut, entrer en Palestine occupée. Cela ne signifie pas que je suis d’accord qu’il se rende là-bas, mais déjà c’est mieux que de s’y rendre à partir des frontières libanaises, pour ne pas violer la loi, casser la Sûreté générale et la Justice et entraîner le pays dans une vague d’incitation confessionnelle… Tout cela pour que l’évêque puisse entrer et sortir en transportant avec lui 20 valises pour des raisons humanitaires dit-on…. En tout cas quelqu’un a fait un commentaire sur les réseaux sociaux en disant que le mazout iranien constitue une violation de la souveraineté, mais 20 valises bourrées d’argent venant de la Palestine occupée, contrairement à la loi n’est pas une violation de la souveraineté ? Il faut que cette question soit traitée. En tout cas, j’en ai parlé suffisamment pour aujourd’hui.

GB : Je vous ai demandé qui doit venir avant la présidence ou le gouvernement ? Et quels sont vos critères pour le nouveau président ?

SN : Sur le plan du gouvernement, rien n’est clair. En raison des polémiques actuelles, la situation n’est pas claire. Notre position est bien sûr de réclamer la formation d’un gouvernement, même pour un mois, deux ou trois. Que serait-ce alors si ce gouvernement est appelé à rester plus longtemps, dépendamment de l’échéance présidentielle ?

Concernant la présidence, il y a plusieurs approches. L’une d’elles veut que l’on fixe les critères et que l’on choisisse ensuite les personnes qui y répondent. Une autre veut que l’on se dise quels sont les scénarios crédibles et qu’on les examine attentivement. A mon avis, la première approche est une perte de temps. Même ceux qui prônent cette approche savent comment se passent les choses au Liban. On pense à une personne précise et on fixe les critères selon ses propres caractéristiques. L’approche rationnelle est de ne pas avoir en tête un nom précis et de mettre comme critère l’intérêt du Liban. Ensuite, il faut étudier les scénarios possibles. A mon avis, ceux qui définissent les critères ont déjà quelqu’un en tête ou alors veulent écarter telle ou telle autre personnalité.

En ce qui nous concerne, nous ne considérons pas utile de parler de critères. Nous pensons qu’il s’agit d’une perte de temps. Il y a des noms qui sont évoqués. Il y a même une nouvelle expression que je trouve assez drôle «le candidat naturel». Dans aucun autre pays du monde on n’utilise une telle expression ! Mais le pays est le pays des exceptions et des bizarreries ! Vous savez qu’au Liban, le président doit être chrétien et maronite. Autrement dit toutes les personnalités non chrétiennes et non maronites ne peuvent pas être candidates. Maintenant, parmi les personnalités politiques maronites, certaines sont des candidats naturels. Il faut donc discuter de celles-ci tout naturellement.

GBJ : Avez-vous un candidat naturel ?

SN : Ce soir, je ne parlerai pas avec vous de noms précis, naturels ou non. Au Hezbollah, nous n’avons pas encore entamé le débat à ce sujet. Au cours des prochains jours, nous serons très proches du délai constitutionnel pour l’élection présidentielle et le président de la Chambre a déclaré qu’à partir du 1er septembre, il commencera à convoquer à des séances parlementaires électorales. Autrement dit, le mois d’août est celui des discussions et des négociations entre les différentes parties politiques. Nous autres, nous mènerons des concertations à plusieurs niveaux, avec nos alliés et nos amis, en particulier ceux avec lesquels nous pourrions voter de la même façon. Il est certain que nous devrons principalement avec le CPL et avec le Courant des Maradas. Nous mènerons ensuite des discussions avec nos autres alliés et amis et ensuite nous mènerons des discussions internes pour définir le choix que nous adopterons ou pour lequel nous travaillerons. Il serait toutefois bon que je précise certains points.

Premièrement, les médias disent parfois, «les sources du Hezbollah» parlent de tel candidat, appuient telle personne ou proposent tel nom, ou encore posent un véto sur tel candidat. Tout cela est irresponsable. Il n’y a rien qui s’appelle «les sources du Hezbollah». Lorsque nous prenons une décision officielle, un communiqué officiel est publié à cet effet. Ou alors, moi ou d’autres frères responsables au Hezbollah déclarent que «telle est notre position ou notre décision».

Deuxièmement, il y a beaucoup de rumeurs qui circulent à ce sujet. Par exemple, lorsqu’il y a eu une rencontre entre moi, le ministre Bassil et le ministre Frangié. Jusqu’à maintenant, on continue à donner des détails sur ce que nous nous serions dits au cours de cette rencontre. Mais la plupart de ce qui a été dit ou écrit est faux. En tout cas le sujet de la présidentielle ou tout ce qui s’y rapporte n’a pas été évoqué. L’objectif de cette rencontre était de briser les barrages, consacrer la réconciliation et consacrer le fait que les gens recommencent à se retrouver avant les élections législatives. Mais il n’a pas été question de la présidence. Je le dis parce que beaucoup d’analyses et de supputations sont basées sur cette rencontre.

En ce qui nous concerne, nous étions la question avec calme. Certains pour griller certains candidats disent que telle personne est la candidate du Hezbollah. On veut ainsi créer une provocation ou susciter l’irritation  de certains Etats régionaux ou de certaines forces internationales. Il s’agit de les pousser à mettre un véto sur ce candidat. C’est une injustice. Jusqu’à ce moment précis, nous n’avons pas de candidat. D’ailleurs le terme est impropre. Le Hezbollah verra qui sont les candidats «normaux» et pas normaux et il décidera ensuite lequel appuyer. Donc nous sommes dans la position d’appuyer un candidat à la présidence de la République, non d’en présenter un. Je le dis pour être précis.

Nous avons donc encore un peu de temps. Sur la base des contacts et des discussions, nous espérons aboutir à prendre la décision adéquate.

GBJ : J’aurais bien aimé pouvoir continuer sur ce sujet, mais je sais que vous n’en direz pas plus. Nous avons toutefois compris que vous parlez du ministre Bassil et du ministre Frangié et d’autres, mais ces deux pôles restent vos principaux partenaires sur la scène chrétienne

SN : En pratique, lorsque nous parlons de candidats maronites, ils font partie de nos alliés clairs.

GBJ : Avez-vous un véto sur quelqu’un ?

SN : Nous en parlerons ultérieurement inchallah.

GBJ : Je pense que c’est la dernière rencontre avec vous pendant le mandat du président Aoun. Je voudrais donc parler de lui avec vous. Nous ne cherchons pas à évaluer ce mandat qui a rencontré beaucoup d’obstacles, qui a fait quelques réalisations, mais s’est heurté à beaucoup de difficultés. Comment voyez-vous le président Michel Aoun que vous avez appuyé de façon importante ? Pensez-vous que vous avez accompli votre devoir à l’égard du président Aoun et de son mandat ?

SN : Je voudrais commencer par dire que le président au Liban ne gouverne pas. Autrement dit après Taëf, il dispose de prérogatives limitées et précises. Le pouvoir exécutif est entre les mains du Conseil des ministres réuni. Je dis cela parce que des erreurs sont souvent commises à ce sujet lorsqu’il s’agit d’évaluer le mandat du président Aoun. Avant Taëf, c’était le président qui détenait le pouvoir exécutif et il était aidé par le Premier ministre et le cabinet. Taëf a changé cela et depuis Taëf, l’influence du président du Conseil est très importante. Le pouvoir est entre les mains du conseil des ministres. Le président a donc des prérogatives limitées. Celui qui veut évaluer le mandat du président doit le faire à la lumière de ses prérogatives limitées. Je vais donner un petit exemple : le chef de l’Etat peut-il faire sortir un détenu de la prison ? Il ne le peut pas. Le temps où il pouvait faire libérer tous les prisonniers est révolu. A moins de donner des grâces présidentielles, mais celles-ci répondent à des conditions précises. Il ne s’agit pas d’une question ouverte… Le président peut-il démettre, seul, un ministre ou un directeur général ? Non. Tout le monde connaît la position du président à l’égard du gouverneur de la Banque centrale. Mais il ne peut rien faire. Voilà ses prérogatives. Par conséquent, peut-on dire que le président définit les politiques publiques, économiques, médiatiques, éducatives ? Est-il responsable des résultats économiques, financiers, monétaires dans le pays ? Non, il ne s’agit pas de ses responsabilités mais de celles du gouvernement. C’est pourquoi il arrive que les questions, les accusations et les jugements aillent dans la mauvaise direction si on veut dire qui assume principalement la responsabilité de la situation. Il y a donc un système et un régime actuellement en vigueur. Il y a des institutions et des prérogatives distribuées entre les différentes institutions. Le président de la République a une part dans ce régime. On peut lui demander des comptes dans la mesure de cette part qui lui est accordée. Sinon, il faut aller vers la distribution des prérogatives. Par exemple, dans tout ce qui concerne la justice, il faut se diriger vers le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Pourquoi tel dossier n’est pas ouvert ? Pourquoi tel juge agit ainsi… Toutes ces questions doivent être adressées au CSM. Qui se tient derrière le CSM et la Justice ? Cela devient un autre sujet, en dehors du régime. Depuis l’adoption de l’accord de Taëf jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement est responsable des politiques économiques, financières et sociales. Tous ceux qui ont participé à ces gouvernements sont donc responsables ainsi que le Parlement en tant que pouvoir législatif a une part de responsabilité.

GBJ : Vous êtes malgré tout accusés d’avoir paralysé le pays pendant une certaine période pour amener le président Michel Aoun. Mais si ses prérogatives étaient tellement limitées…

SN : L’importance du président de la République réside dans le fait qu’il constitue une garantie. Ce que je viens de dire ne signifie pas qu’il faut tourner le dos à la présidence de la République sous prétexte que ses prérogatives sont limitées et que par conséquent peu importe qui occupe cette fonction. Au contraire, le président de la République peut paralyser le pays et lui faire du tort. Il peut créer des problèmes, bref jouer un rôle négatif très important. Par contre s’il veut jouer un rôle positif ses possibilités sont plus limitées. Nous avons plus peur du rôle négatif qu’il peut jouer.

GBJ : Etrange ! Le président de la République peut faire du tort mais ne peut pas participer à la construction ou construire lui-même faute de prérogatives ?

SN : Une fois un de nos frères qui travaille dans les explosifs, un expert en explosifs, a été arrêté à un barrage. On lui a demandé quel était son travail. Il a répondu : architecte. Ils lui ont demandé : Donc, vous construisez des immeubles ? Il a répondu : Non, je vais les fais tomber… Pour construire un immeuble Monsieur Ghassan, vous avez besoin d’architectes, d’argent, de béton, de fer, d’eau et de temps. Mais pour le faire descendre, il suffit d’un seul homme. La destruction n’exige pas de gros efforts. En général c’est la construction qui en exige.

En tout cas, la remarque à laquelle je voudrais arriver est que le président a des prérogatives limitées. Nos amis et alliés au sein du CPL sont sans doute tombés dans cette confusion, lorsqu’ils ont placé beaucoup d’espoirs dans «le mandat fort» qui va pouvoir faire de grandes choses. Ils ont sans doute mis la barre trop haut, car le président n’a pas les prérogatives nécessaires pour faire de si grandes choses. Donc, si on veut être juste, rationnel et logique, en parlant du mandat du président Michel Aoun, il faut l’évaluer en prenant en considération les prérogatives limitées.

Même chose lorsqu’il s’agit de parler de la prochaine étape. Par exemple, certains avaient dit, avant les élections législatives, que tout serait réglé après leur tenue et que le pays sortirait de la crise. Elles ont eu lieu et tout reste en suspens. Aujourd’hui, les mêmes  répètent la même chose. Ils disent que la solution commence avec l’élection du président. Là aussi, il s’agit d’une prévision fausse. Si nous élisons un président, cela signifiera-t-il que le pays sera désormais sur la voie de la solution ? Non, la solution commence par la formation d’un gouvernement sérieux et responsable avant  l’élection présidentielle et le processus sera complété avec celle-ci. En d’autres termes, si on veut une solution véritable, il faut former un gouvernement, sans attendre l’élection présidentielle. Si celle-ci a lieu, elle n’est pas suffisante pour mettre le pays sur la voie de la solution. Nul ne doit faire des promesses en ce sens aux gens et leur présenter des rêves irréalistes. La solution  est dans la formation d’un gouvernement qui assume les responsabilités.

Après l’élection présidentielle, celui-ci voudra et tel autre ne voudra pas. La plupart des forces politiques  ont déclaré  qu’elles ne veulent pas participer au gouvernement. Pourquoi cette grandeur d’âme ? En, est-ce une d’ailleurs ? Je ne le pense pas. Car ce qui est requis c’est un gouvernement qui porte les poids, qui assume les responsabilités, qui prenne des décisions difficiles. Ils ne veulent pas assumer les responsabilités et ils préfèrent fuir les décisions difficiles. Ils ne veulent pas porter des poids pour sauver leur peuple. Ils participent au gouvernement lorsqu’il y a des fonds à piller et lorsqu’il n’y a pas des poids et des responsabilités. Ils veulent les bienfaits et les privilèges du pouvoir, c’est tout. C’est pourquoi, aujourd’hui, beaucoup disent qu’ils ne veulent pas être au sein du pouvoir et ne veulent pas participer au gouvernement. Pourquoi ? Parce que le pays se dirige vers une situation difficile, quel que soit le gouvernement. Si nous voulons parler sur le plan du régime et du système, la solution est donc dans la formation d’un gouvernement sérieux. L’élection présidentielle vient en second plan. En ce qui concerne le mandat du président Michel Aoun, en toute justice et honnêteté, nous avons fait tout ce que nous pouvions pour être à ses côtés. Je voudrais vous rappeler ce qui s’est passé en novembre 2019, la campagne était immense et elle visait en premier lieu le chef de l’Etat. Sa démission avait été réclamée ainsi que la chute du gouvernement et celle du Parlement. Mais en tête de liste, il y avait le président de la République. Beaucoup ont alors eu peur et se sont tus. N’est-ce pas le Hezbollah quoi s’est tenu en premier face à la colère populaire pour dire qu’il n’acceptera pas que le président tombe ? Nous étions la première force politique du pays qui a adopté cette position, n’est-ce pas ? Nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais les circonstances sont souvent difficiles. Comme par exemple, lors de la formation du gouvernement, lorsque les deux parties, par exemple le Président du Conseil Saad Hariri et le chef de l’Etat nous disent chacun de son côté que nous pouvons faire pression sur l’autre pour faciliter la formation du gouvernement. D’ailleurs, chacun nous fait alors des reproches et considère que nous ne faisons pas assez d’efforts dans ce but. Nous autres, nous parlons, nous faisons une médiation, nous menons des discussions. Si nous atteignons l’objectif, tant mieux, sinon, nous en restons là.

En résumé, je dirais donc que nous avons fait ce que nous avons pu à ses côtés. Il reste encore du temps et nous resterons à ses côtés.

GBJ : Nous ne cherchons pas à évaluer le mandat. Mais pouvez-vous donner un qualificatif au président à la fin de son mandat, sa personne de président ? Je voudrais votre avis objectivement…

SN : Les conditions dans lesquelles le président est arrivé étaient difficiles dans la région, et la crise économique interne commençait à apparaître. Il y a eu aussi les développements à l’intérieur du pays et le ciblage dont il a été victime. Il y avait des fronts qui le visaient et c’est connu dans le pays.

GBJ : Etait-il un président fort en tant que personne ?

SN : Oui, c’est un homme fort qui ne faiblit pas. En 2019, un autre que lui aurait quitté le pays et laissé les gens se débrouiller. Il y a des décisions que seul le président Michel Aoun pouvait prendre, comme celle de trancher la bataille du Jurd, c’est clair. L’armée libanaise était agressée, ses officiers étaient tués et ses soldats enlevés et détenus en otages ainsi que les corps de ses martyrs et ceux des FSI. Il n’y avait pas une décision même d’agir militairement. Il y avait un véto américain contre toute action militaire. Celui qui a décidé de ne pas tenir compte de ce véto était le général Michel Aoun. Les circonstances étaient pourtant particulièrement difficiles, à l’extérieur. Il y avait une guerre dans la région et pourtant la sécurité était stable à l’intérieur libanais. A qui faut-il l’attribuer ? Au mandat, au gouvernement, à l’Etat. Au final, il faut toujours revenir aux prérogatives. Lorsqu’on parle de réalisations, on découvre qu’il y en beaucoup. Oui, c’est un homme fort, comme personnalité, comme solidité, sur le plan de la pensée et de la vision. Il a sa présence. Je pense que s’il s’agissait d’une autre personne que lui, avec tout ce qu’il a subi, son courant serait au bord de l’effondrement dans le cadre des élections législatives.

GBJ : Oui, il y a eu un minimum de pertes et cela a surpris tout le monde... Il nous reste une heure. Je vais essayer de résumer. Nous avons parlé de Karish et d’au-delà de Karish et des champs de gaz. Apparemment, le message est parvenu rapidement à destination. En toute franchise et objectivité, comment voyez-vous l’horizon israélien ?

SN : Je fais partie de ceux qui croient depuis longtemps déjà que l’avenir de cette entité est compromis. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’indices qui montrent cela. C’est pourquoi nous l’appelons «l’entité provisoire». La logique, les règles de l’Histoire et celles divines, les lois qui régissent les sociétés montrent que cette entité n’a pas d’avenir. Sans entrer dans de longs développements, je dirais que ce que nous avancions depuis 10, 20 ou 30 ans, ce qu’avait lancé l’imam Khomeiny en 1979 et 1980 sur l’élimination de l’existence d’«Israël», les dirigeants israéliens le mentionnent eux-mêmes aujourd’hui. Le président du cabinet sortant Bennet parle aujourd’hui de dangers existentiels, les responsables sécuritaires et politiques, des généraux, des penseurs, des professeurs d’université, j’ai vu une interview de l’un d’eux qui venait de publier un livre et l’idée principale était que cette entité  ne peut pas survivre. Un ancien chef du Mossad a révélé qu’ils ont actionné les appareils d’autodestruction. Certes, ils parlent essentiellement de causes internes en premier lieu, mais historiquement, il dit que les conflits internes commencent et le facteur externe intervient et entraîne l’entité.

GBJ : Voyez-vous cette fin proche ?

SN : Oui, je le vois très proche. Les grands leaders et les analystes israéliens se demandent eux-mêmes si l’entité fêtera ou non ses 80 ans. Ce sont eux qui le disent, pas nous. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il y a une série de facteurs qui poussent dans ce sens. D’abord, les facteurs internes, liés à leur culture, à leur éducation, à leur structure et à leur environnement. Dans ce contexte, les choses vont en s’aggravant. C’est clair à travers les prochaines législatives ? Les facteurs internes, tous ensembles, économiques, culturels, éducatifs, religieux ont donc un rôle. Il y a ensuite l’attachement du peuple palestinien à sa terre, sa foi dans sa résistance et sa volonté de tenir bon, en dépit des circonstances difficiles qui se poursuivent depuis plus de 70 ans.

Troisièmement, il y a la force de l’axe de la résistance qui croit dans cette cause.

Quatrièmement, la situation internationale. Nous savons tous que ce qui a préservé cette entité, qui est venue la planter au cœur du monde arabe et au cœur du monde musulman, imposant son existence à des millions et désormais à un milliard et 500 millions de musulmans. Il s’agit d’une grande puissance étrangère. Les transformations internationales ont donc un rôle très important. Viendra un moment où les Européens seront trop occupés par eux-mêmes et cela commence à apparaître. Le système international est en train de devenir multipolaire. Quelles sont les perspectives de la guerre russo-américaine en Ukraine ? Celles des relations entre la Chine et les Etats-Unis ? O% va l’Amérique elle-même ?  Il y a deux jours, j’ai lu un sondage effectué par un centre de recherches aux Etats-Unis qui montrent que 51% des Américains sont convaincus que les Etats-Unis connaîtront une guerre civile au cours des prochaines années. S’il n’y a plus les Etats-Unis, il n’y aura plus d’«Israël». L’image que je vois c’est celle de gens qui font leurs valises et qui s’en vont par les aéroports, les ports ou les frontières terrestres avec la Jordanie et l’Egypte. Cette entité n’a donc pas d’avenir. Vous me demanderez dans 40 ans ? Je ne sais pas. A mon avis moins. Je ne crois pas que nous aurons besoin de 40 autres printemps pour voir ce résultat. Il ne s’agit pas ici de prédictions, non, il s’agit d’une analyse logique une addition de données internes, régionales et internationales.

GBJ : Les peuples égyptien et jordanien ne les laisseront pas faire leurs valises. Ils refusent avec force la normalisation.

SN : Ils iront alors par l’aéroport ou par les ports. Ce qui confirme cette analyse, c’est la question suivante : quel est aujourd’hui le nombre d’Israéliens qui ont une double nationalité ? Combien d’Israéliens disent : s’il y a une guerre, je suis prêt à m’en aller ? Ils ne veulent même pas attendre les résultats de cette guerre pour partir. Qu’est-ce que cela signifie ? Au départ, il y a eu un peuple auquel on a donné une terre et on lui a créé une cause. Il n’est pas porteur de cette cause, preuve en est qu’au début il était question de créer «Israël» en Ouganda ou en Argentine et même en Ukraine. Les Anglais les ont amenés en Palestine, non la Torah. Ils savent très bien que c’est un mensonge. C’est pourquoi ils ne sont pas prêts à faire des sacrifices pour rester sur cette terre, car il s’agit pour eux d’une terre occupée, ils n’ont aucun lien avec elle. C’est pourquoi tous les éléments qui pourraient les pousser à rester sont en train de régresser alors que ceux qui les pousseraient à partir se renforcent jour après jour. Pour moi, c’est très clair.

GBJ : Vous avez parlé de l’axe de la résistance qui peut s’élargir pour devenir l’alliance d’Al Qods si on peut dire. Cette alliance est née après  le soulèvement de l’an dernier à travers Seif al Qods. Dans ce contexte, Yehya Al Sinwar a clairement évoqué l’existence d’une chambre d’opérations commune, à laquelle participe le Hezbollah. Il a aussi parlé des Gardiens de la Révolution et des organisations palestiniennes. Nous savons que la politique du Hezbollah est de rester discrèt sur ces questions. Mais après les propos de Yehya Al Sinwar, que pouvez-vous nous dire sur le rôle du Hezbollah dans la bataille de Seif al Qods ?

SN : La chambre d’opérations commune existait réellement. Lorsqu’il en a été question dans les médias après la fin de cette guerre, des frères au Hezbollah ont estimé que cela pouvait déranger le Hamas ou les frères à Gaza. Il est apparu par la suite que cela ne les dérangeait pas puisqu’ils en ont parlé publiquement et franchement, qu’il s’agisse des chefs militaires ou des chefs politiques.

GBJ : Le Hamas faisait-il partie de cette chambre d’opérations commune ?

SN : Il y avait une coordination directe avec le Hamas et une coordination directe avec le Jihad islamique. Il y avait une chambre d’opérations et un suivi continu toutes les heures, tout au long de la guerre. Ce sujet repose sur deux facteurs : d’abord tout ce qui a trait aux informations. Toutes les informations qui nous parvenaient nous les donnions aux frères et c’était très utile pour eux. Ils ont d’ailleurs misé sur cela.

GBJ : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

SN : Ils n’en ont pas parlé. Je peux dire qu’il y a eu un piège donné...

GBJ : Cela venait du Hezbollah ?

SN : Oui. Les frères leur ont communiqué la donnée et ils ont bâti sur elle pour agir... Le piège a été déjoué. Donc, le premier facteur ce sont les informations et tout ce qui nous parvenait, nous le communiquions, il y avait un suivi excellent de la part des frères, et ensuite le second facteur était de faire des propositions, des idées, des échanges de points de vue, sur la base notamment de notre expérience dans le cadre de la guerre de juillet. C’était donc principalement les deux facteurs. Il n’y a pas eu de notre part, un combat direct. Ce sont eux qui se sont battus.

GBJ : Ces chambres d’opérations communes peuvent-elles s’élargir dans le cadre de l’alliance d’Al Qods ?  Nous ne parlons pas dans ce cadre du Liban et de la Palestine, mais aussi d’autres parties...

SN : Lorsque nous parlons de chambres d’opérations communes, cela signifie que nous sommes sur le terrain. Un échange d’informations, d’idées, une gestion précise, des contacts permanents. Mais si nous allons vers un champ plus large, les contacts existent entre les forces de l’axe de la résistance, les concertations sont permanentes, ainsi que les rencontres. En général on peut dire que tous lisent dans un même livre et chacun bouge selon sa position.

GBJ : Les Gardiens de la Révolution participaient-ils à l’alliance d’Al Qods ?

SN : Oui, les frères du Hamas ont annoncé cela.

GBJ : Je le sais, mais je vous demande à vous

SN : C’est vrai.

GBJ : Au sujet du Hamas, la dernière information porte sur sa décision prise à l’unanimité de revenir à Damas. Jusqu’à présent, nous n’avons pas entendu ce qu’en pense Damas. Avez-vous des données à ce sujet ? Comment les frères au Hamas en sont arrivés à prendre cette décision ? Avez-vous joué un rôle à ce sujet, le Hezbollah en général et vous en particulier ? Ou bien les frères en Iran ? Pouvez-vous nous parler de cela ?

SN : D’abord comment les frères au Hamas en sont arrivés à cette décision, il est préférable qu’ils en parlent eux-mêmes. Je ne peux pas parler à leur place. Mais ce qu’ils disent ouvertement c’est que le Hamas est un mouvement de résistance musulman et palestinien dont la première cause est la Palestine et la libération d’Al Qods ainsi que le fait de sauver le peuple palestinien des affres de l’occupation et du blocus. Leur priorité est donc là. Lorsqu’ils trouvent des alliés ou des amis, ils doivent s’accrocher à eux. S’il y a un jour une faille quelconque, des problèmes dans la relation, il faut les traiter le plus vite possible. C’est la logique qui le dit. Tout le reste est contraire à la logique. Il y a donc un peuple palestinien qui mène une guerre existentielle, une bataille pour la dignité et pour la vie. Aujourd’hui, lorsqu’on dit que Gaza est encerclée depuis 15 ans, il y a des milliers de jeunes palestiniens dans les geôles depuis des décennies, certains depuis 30 ou 40 ans, certains sont condamnés à 400 ans de prison, il y a des femmes et des enfants qui ne voient pas leurs maris et pères pendant des années, cela n’intéresse pas beaucoup de gens. Mais dans le cœur du peuple palestinien, c’est une blessure permanente. Nous pouvons le comprendre car nous avons vécu une situation similaire. Il y a une bataille à Naplouse et une autre à Jénine, mais le monde vit ailleurs. Mais ceux qui vivent tout cela se sentent sous pression. Qui est le plus concerné par tout cela ? Le peuple palestinien et les mouvements de résistance palestiniens. Lorsque ces organisations et ce peuple regardent les régimes arabes, ils les voient ailleurs. Tout le monde sait aujourd’hui que dans le monde arabe, si on appuie la cause palestinienne, je ne dis pas de lui envoyer des armes, mais juste de l’argent pour les orphelins palestiniens, on peut être mis en prison pour appui au terrorisme. Dieu seul sait si une fois en prison on peut en sortir. Cela existe aujourd’hui. Aujourd’hui, la plupart des régimes arabes ne reconnaissent pas  le jihad et font semblant de ne pas voir la résistance ; Ces régimes normalisent leurs relations avec les Israéliens et n’offrent aucune aide aux Palestiniens. Ils interdisent même toute aide qui leur serait destinée. Ils les encerclent. En définitive, ce peuple regarde autour de lui et se demande qui est encore avec lui ?  Aujourd’hui, lorsque les responsables de Gaza, militaires et politiques de la résistance et même les gens ordinaires remercient la République islamique d’Iran, pourquoi le font-ils ? Cela n’a rien à voir avec la chiisation ou la sunnisation. C’est une question purement humanitaire.

Il y a un Etat dans le monde qui continue à appuyer ce peuple, à le soutenir politiquement, médiatiquement, militairement, techniquement, sans réserve. Le peuple palestinien se dit que nul ne se tient à mes côtés à part la République islamique, la Syrie et peut-être quelques autres pays. Il est donc normal que ce peuple les remercie. Il se peut que dans le jeu politique, certains disent qu’ils normalisent la relation avec «Israël» et établissent avec elle des liens stratégiques pour servir le peuple palestinien ! Mais y a-t-il plus insultant pour les peuples arabes et islamiques qu’une telle affirmation ?

En tout cas, nos frères au Hamas, comme tous les frères palestiniens d’ailleurs, sont arrivés au point de considérer que la Syrie est une partie importante de l’axe de la résistance. Si on veut continuer la lutte contre l’ennemi israélien, on ne peut continuer à tourner le dos à la Syrie, indépendamment des remarques, de la position ou des arrières pensées dans la lecture du sujet. Mes frères au Hamas en sont arrivés là. C’est en tout cas ce que j’ai compris de leurs propos et c’est mon analyse. J’ai su que de nombreuses parties à l’étranger discutent de cela avec eux. C’est une décision difficile. Il y a des gens qui ne comprennent pas cette position.  Dans les discussions internes, je leur ai dit qu’ils doivent se préparer à être critiqués dans l’ensemble du monde arabo-musulman... Ils disent qu’ils sont des moudjahidines pour la cause.

GBJ : A l’unanimité ?

SN : D’après ce qui m’a été dit, oui à l’unanimité.  Ils le disent, et pas dans des réunions privées. Ils sont arrivés à ce résultat. Certes, un communiqué peut être publié de temps à autre, car ils doivent préparer leurs bases. Elles le sont peut-être de plus en plus. Mais il y a aussi les discussions avec des amis et des alliés, à l’échelle du monde arabe et islamique. Certes, ils ne veulent pas les convaincre ni chercher à obtenir leur accord, mais simplement leur permettre de comprendre cette position.

Certes, avec les frères à Hamas, nous menions ce débat depuis longtemps. En fin de compte, cet axe doit se rassembler, les gens doivent coopérer. Nous disions, avant et après le problème avec la Syrie, même si cela déplaisait à beaucoup de gens, nous disions donc que ce qu’a donné la Syrie, en particulier le régime syrien, à la cause palestinienne et aux organisations palestiniennes dont le Hamas, nul ne l’a donné... de toute façon, nous disons toujours que ce sujet doit être traité. Aujourd’hui les frères à Hamas sont prêts.

En Syrie, je m’en occupe personnellement. Certes, le Hezbollah aussi. Nous sommes sans doute la partie qui est le plus en mesure de parler avec toutes les parties au sein de l’axe. Nous tenons d’ailleurs à le faire. Il faut unifier les rangs car il est clair vers où se dirige le conflit dans la région. Comme je vous l’ai déjà dit, nous pensons que les choses se dirigent vers le bien inchallah. Autrement dit, ce sont les autres qui sont encerclés, qui ont peur, qui sont inquiets. Nous autres, nous avons une vision optimiste pour l’avenir et même pour l’avenir proche. C’est pourquoi l’unification des rangs est très importante. Au cours des années précédentes, ni le Hamas était prêt ni le commandement syrien et les circonstances n’aidaient pas. Aujourd’hui, la Syrie est ouverte, même sur le plan de la reprise des relations avec les autres pays et régimes arabes. Beaucoup viennent en Syrie et la Syrie veut renouer ces relations ou une grande partie d’entre elles. En définitive, les gens peuvent s’asseoir ensemble, discuter et se faire des reproches, mais ce qui compte c’est la vision de l’avenir.

GBJ : Vous continuez à travailler dans ce sens ?

SN : Bien sûr. Je pense que les probabilités sont bonnes. Il faut un peu de discussions, un peu de temps et nous arriverons à une fin heureuse inchallah.

GBJ : Après l’annonce faite par le Hamas, avez-vous discuté avec le commandement syrien ?

SN : Nous parlons en permanence. Ça va inchallah. Les choses exigent un peu de d’efforts, mais le processus est positif.

GBJ : Puisque nous parlons de votre rôle et de votre médiation dans la région arabe, il nous est parvenu qu’un des problèmes du royaume saoudien avec vous, ce n’est pas votre «hégémonie» ou ce que nous croyons, mais plutôt parce que le royaume voudrait que vous interveniez auprès de sayyed Abdel Malak al Houthi, Ansarallah et Sanaa en général... Est-ce possible et seriez-vous prêt à jouer ce rôle ? Surtout que les choses commencent à se dégager, entre l’Iran et l’Arabie saoudite, j’espère que cela s’ouvrira et qu’il y aura bientôt une rencontre politique et cela est annonciateur d’un retour à des relations meilleures et cela devrait réduire les tensions dans la région...

SN : Les autres le refusent. Ce que propose l’Arabie c’est un cessez-le feu sans levée du blocus et ensuite que les Yéménites entament un dialogue interne. Autrement dit, il s’agit de mener un dialogue à l’ombre du blocus, de la faim, des maladies, des microbes et de la pression quotidienne. Il y a donc là un piège. Les frères au Yémen en ont été conscients. Vous savez  lorsque les affrontements sont en cours, les gens sont au front et payent de leur poche pour se battre. Mais lorsque les affrontements s’arrêtent et qu’il y a un cessez-le feu, tous les problèmes ressurgissent : les gens veulent rentrer dans leurs maisons, ils réclament de l’argent et ils ne payent plus de leur poche. Les réclamations commencent, les maux apparaissent, les blessures aussi. Cela contribue à effriter le front de l’intérieur... Donc ce qui est requis pour le début de la solution, c’est un cessez-le feu, la levée du blocus et le lancement d’un dialogue politique. Aucune de ces trois conditions ne sont négociables. Ils ont alors essayé de recourir aux Iraniens à ce sujet. Ces derniers ont clairement répondu, dans le cadre des négociations de Bagdad, qu’ils ne peuvent rien dire aux Yéménites car leurs revendications sont logiques. Ils ont alors eu recours aux Omanais, aux Nations Unies et à d’autres. C’est pourquoi je vous ai dit que le médiateur intervient pour faire pression sur les deux parties afin qu’elles fassent des concessions. Mais dans le cas des Yéménites, il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une concession. Pour eux, il s’agit d’un mécanisme existentiel, non de privilèges ou de conditions élevées... C’est pourquoi nous ne sommes pas prêts à faire une médiation à ce niveau.

GBJ : Avez-vous un problème profond avec l’Arabie et les Emirats ? Idéologique ? Vous refusez tout contact et toute relation avec eux ?

SN : Non. En fait, nos relations ne sont pas basées sur une idéologie ou une religion. Il s’agit de relations politiques liées à des facteurs stratégiques et politiques. Nous prenons en compte l’intérêt de notre pays, l’intérêt de notre résistance etc. Nous ne bâtissons pas notre position, qu’elle soit négative ou positive, sur une base idéologique ou religieuse. Je vous donne un exemple. Avec l’Arabie, nous avions de bonnes relations jusqu’en 2005 et même après. Nos frères se rendaient à l’ambassade saoudienne. J’ai même rencontré des ambassadeurs saoudiens et autres. Tout cela avant le Yémen.

GBJ : En secret ?

SN : Non publiquement. Cela figure dans les médias et dans les archives. Nous avons même parfois tenu de longues rencontres cordiales et détendues. Jusqu’au Yémen. Je me souviens de la première fois que j’ai rencontré un ambassadeur saoudien. Je devais être secrétaire général du Hezbollah depuis un ou deux ans. Je ne me souviens plus de son nom. Mais il s’agissait d’un homme certain âge. Il était dans les dernières années de sa mission et il était aimable et aimait plaisanter. C’était avant la chute de l’URSS. J’avais dit à mon interlocuteur qu’il y a dans le monde deux grandes puissances, les Etats-Unis et l’Union soviétique. Il m’a dit : non sayyed, il y en a une troisième. Je croyais qu’il parlait sérieusement et je lui ai demandé : Quelle est-elle ? Il m’a répondu : le Qatar... Autrement dans notre première rencontre il n’a pas pu s’empêcher de parler du Qatar... et de plaisanter amicalement.

Les relations étaient aisées bien que, depuis le début, nous avions un avis sur le comportement du régime saoudien à l’égard de son peuple et en particulier des habitants de la région Est. Il nous arrivait même de profiter de nos relations avec eux pour tenter de traiter certains problèmes ou certains malentendus ... Notre problème véritable a commencé au Yémen, lors de la guerre contre ce pays.

GBJ : Restera-t-il lié à la situation au Yémen ?

SN : Forcément.

GBJ : Même si les relations avec l’Iran s’améliorent ?

SN : Oui. A ce sujet, il y a une confusion. Certains croient que si l’Iran noue de bonnes relations avec tel Etat, nous sommes obligés d’en faire de même. C’est faux. Nos relations, nos amitiés et nos animosités sont liées à une série de principes et d’intérêts. Ce sont ces principes et ces intérêts que nous prenons en considération. L’Iran est un Etat qui noue des relations diplomatiques, voire des échanges économiques et commerciaux et nous pouvons rester, nous, en situation d’animosité avec l’Arabie à cause du Yémen ou pour d’autres raisons.

GBJ : Mais cette animosité s’arrête à la position...

SN : Oui, il n’y a pas plus que cela. Même les frères au Yémen, c’est-à-dire les opprimés, en dépit de ce qui leur est arrivé et des dommages qu’ils ont subis, que disent-ils ? Arrêtez votre guerre contre nous et contre vous-mêmes, arrêtez votre agression, laissez le peuple yéménite se réconcilier et nous voulons des relations de bon voisinage.

GBJ : Est-ce la même chose avec les Emirats ?

SN : Avec tous les Etats arabes. Nous n’adoptons pas de position idéologique ou religieuse. La question est liée à la politique.

GBJ : On peut donc dire qu’il y a un peu d’optimisme quant à ces relations...

SN : Concernant les Emirats, nous avons une position politique contre la normalisation, quel que soit l’Etat qui cherche à normaliser ses relations avec «Israël». Mais en quoi le Hezbollah a-t-il commis une erreur avec les Emirats ? Dans la guerre contre le Yémen, nous sommes avec le peuple yéménite. C’est vous qui avez agressé ce peuple et par conséquent, nous sommes contre vous. Mais, nous le Hezbollah, qu’avons-nous contre les Emirats ? Rien. Dans ce cas pourquoi toutes ces arrestations qui se déroulent aux Emirats ? Il faut trouver un règlement à cette question. Certes, il y a des médiations de la part de gens de bonne volonté. Mais en toute franchise, ces arrestations visent à faire pression sur le Hezbollah. Tous ceux qui ont été arrêtés aux Emirats et cela continue, n’ont rien à voir avec le Hezbollah, ni avec sa formation. Ils vivent aux Emirats depuis des années. Leurs fonds et leurs biens ont été confisqués. Certains ont été expulsés de façon humiliante et nuisible. Sur quelle base ? Ce sujet doit d’ailleurs être traité par l’Etat libanais et par les amis.

Au final, je voudrais mettre un principe : nous ne prenons pas comme point de départ de nos positions et nos animosités sur les différences idéologiques, religieuses ou confessionnelles. Nos calculs sont stratégiques et politiques.

GBJ : On parle actuellement de la possibilité d’un compromis, d’une réconciliation, voire d’une médiation entre la Syrie et la Turquie d’Erdogan. Selon vos informations, Erdogan est-il réellement prêt à un compromis avec le président Assad et avec Damas ? Ou bien s’agit-il d’une manœuvre pour gagner du temps parce que comme l’en accusent certains, il aurait des ambitions territoriales dans le Nord de la Syrie et voudrait réaliser un changement démographique ?  Il semble que l’Iran travaille sur ce sujet ou essaye de rapprocher les points de vue entre Damas et Ankara...

SN : Jusqu’à présent, les circonstances ne semblent pas propices à un compromis de ce genre.

GBJ : Donc Erdogan poursuit son ancienne politique et il n’est toujours pas convaincu que la Syrie et le président Assad ont gagné ?

SN : Cela ne signifie pas qu’il poursuit la même politique et en même temps, il n’est pas encore prêt à un compromis. Il y a une situation médiane entre ces deux extrêmes. Il sait que les anciennes politiques n’aboutissent pas à un résultat, mais il continue à miser sur certains éléments dans l’espoir que sa position en soit améliorée lorsque viendra le moment du compromis. Il sait aussi qu’avec tout ce qui a été fait en Syrie, au cours des dernières années, sur les plans militaire et politique, on ne peut pas faire plus. Il ne s’agit pas là seulement de la Turquie, mais de toute la planète qui a mené une guerre universelle contre la Syrie. Des centaines de milliers de combattants ont été amenés des 4 coins du monde, des milliards de dollars ont été dépensés dans ce but, notamment auprès des médias, sans résultat. Tout cela c’est fini. D’après ce que je crois et selon mes analyses, il sait qu’il ne peut plus avancer en Syrie, ni prendre Alep. L’idée de prendre Damas et de prier à la mosquée des Omeyyades ce n’est plus qu’un rêve. La région dans laquelle se trouvent les éléments armés protégés par la Turquie, il essaye de la protéger. Il en parle et il semble que cette question n’est pas encore finie, je parle de Tell Refaat, Menbij, des zones à l’Est de l’Euphrate, il veut chercher à élargir son influence dans certaines parties, mais dans des limites précises. Il viendra ensuite aux négociations. Car qu’est-ce qui est encore en suspens en Syrie ? Un des points au Nord. Erdogan veut donc améliorer sa position dans les négociations à venir.

GBJ : Que négocient-ils ? Que veut Erdogan en Syrie ?  S’il ne veut pas occuper la terre et créer un changement démographique dans le Nord ?

SN : Il y a un débat sur cette question. On ne sait pas ce qu’il veut. Il se peut qu’il veuille occuper la terre et la garder. Mais je ne peux pas l’affirmer. C’est juste mon impression. D’autant que cette question n’est pas propre au parti de la Justice et du Développement. Même certains partis de l’opposition en parlent et en évoquant 2023, ils se rappellent de 1923. Ils disent ainsi vouloir certaines parties de la terre syrienne, ainsi qu’en Irak. La situation est donc plus complexe qu’on ne le croit. Maintenant si on nie l’ambition territoriale peut-on aussi nier la volonté de créer des changements démographiques ? Je ne peux pas la nier. Malgré cela, en toute logique, je peux dire que l’horizon est celui d’un compromis, mais il cherche à avoir de meilleures conditions.

GBJ : Je voudrais maintenant parler de l’Irak. J’ai entendu certains Irakiens dire que le Hezbollah utilise un double langage en Irak. D’une part il est avec l’axe de la résistance et les organisations qui en font parties clairement et en même temps, il appuie d’autres parties comme le Premier ministre Moustafa al Kazimi...

SN : Cette approche n’est pas très précise. Nous parlons de bonnes relations avec tout le monde. Nous n’appuyons pas une partie en particulier et nous ne sommes pas concernés par l’identité du Premier ministre, ou celle des candidats à ce poste. Même si certains nous sondent sur ce sujet, croyez-moi, nous restons en dehors de cela, en raison justement de la complexité de la situation et des conflits entre les parties. Pour résumer notre position en Irak, nous n’y avons pas un projet particulier, en tant que parti. Au final, nous sommes un mouvement de résistance contre l’occupation et un parti libanais. Nous avons des amitiés en Irak, mais pas un projet propre. Nous n’appuyons pas une partie en particulier au détriment des autres.

GBJ : Y compris les organisations de la résistance ?

SN : Oui. Nous avons d’excellentes relations avec les organisations de la résistance en Irak, mais cela ne signifie que nous négligeons nos relations avec d’autres parties avec lesquelles les organisations ont des problèmes. Nous voulons des relations avec toutes les parties et nous avons établi des relations politiques et sociales avec toutes les forces politiques du pays, chez les chiites, chez les sunnites et même chez les Kurdes nous avons des relations variables. Le rôle que le Hezbollah a insisté pour tenir au cours des dernières années, c’est celui de rapprocher les points de vue, de manière à servir les intérêts des Irakiens. Nous n’avons pas un projet ou une personnalité particuliers. Ni une vision particulière. C’est pourquoi nous voulons avoir de bonnes relations avec tous, mais pas au détriment d’une partie ou d’une autre.

GBJ : Une dernière question régionale. Que veut l’Iran dans la région ? On dit que l’Iran appuie la résistance palestinienne. Au début, c’était compréhensible car il s’agissait d’une Révolution islamique. Mais 40 ans plus tard, pourquoi l’Iran continue-t-elle d’appuyer la résistance palestinienne ? Pour augmenter son influence dans la région ?

SN : Si l’Iran voulait augmenter son influence dans la région, elle aurait amélioré ses relations avec les Américains, elle aurait aussi renoncé à la Palestine. Les Américains auraient souhaité cela et l’Iran serait redevenu le gendarme du Golfe.

GBJ : En restant telle quelle, c’est-à-dire avec Wilayet al Fakih ?

SN : Oui. Le problème des Américains n’est pas comment on prie, si on fait le jeûne ou non si on fait le pèlerinage ou non. Ni même dans un discours si on dit Bismillah al rahmane al Rahim ou autre chose. Leur problème est la position par rapport à «Israël»  et le pétrole. Si vous leur donnez ces deux choses, vous pouvez obtenir une grande influence dans la région et vous pourrez faire tout ce que vous voulez. C’est la vérité.

GBJ : L’indépendance de la décision en Iran ne les dérange-t-elle pas ?

SN : En tout cas, lorsque l’Iran abandonnera le peuple palestinien et la Palestine, ainsi que le pétrole, cela signifiera qu’elle renonce à sa religion, à son engagement religieux et à son indépendance. Cela ne peut pas se produire. C’est une hypothèse impossible. En tout cas, la bonne réponse c’est qu’après 40 ans, il y a des gens dans la région qui ne comprennent toujours pas l’Iran. Ils ne peuvent pas assimiler le fait que la position de la République islamique à l’égard de la Palestine, d’Al Qods et du peuple palestinien est au cœur de son engagement religieux, non politique ou purement stratégique. De l’imam Khomeiny qui a jeté les bases de cette position à l’imam Khamenei en passant par tous les responsables et par le peuple iraniens, tous abordent la question sous l’angle du jour du Jugement dernier et ils sont convaincus que Dieu Tout-Puissant leur demandera ce jour-là ce qu’ils ont fait pour la Palestine et pour la mosquée Al Aqsa. Il ne s’agit donc pas de politique, même si peu comprennent cela. Est-il possible que les chefs d’un Etat pensent ainsi ? Oui, c’est la principale caractéristique du régime islamique véritable. La position de l’Iran à l’égard de la Palestine est donc un engagement religieux. L’Iran ne veut pas être louée ou remerciée pour cela. Elle ne demande rien en contrepartie ni au peuple palestinien ni aux peuples arabes et islamiques. Cette position n’est donc pas dictée par la volonté d’augmenter son influence dans la région. Au contraire, cet engagement lui cause beaucoup de problèmes et de conflits dans la région, même concernant le Liban. Justement lorsqu’on parle du Hezbollah, celui-ci prend réellement ses décisions, même si peu le croient. Lorsqu’en 2006, dans le cadre de la réunion de dialogue je leur ai dit : donnez-nous un seul exemple qui montrerait que nous avons agi dans l’intérêt de l’Iran... Au cours des 30 dernières années, depuis que je suis devenu secrétaire général du Hezbollah et que la relation est devenue directe avec la République islamique d’Iran, celle-ci ne m’a rien demandé, jamais, ni au sujet du Liban, ni au sujet de la région. Elle ne m’a jamais rien demandé qui serve ses propres intérêts. Je vous le dis franchement, hajj Qassem m’a dit un jour que «Daech» va prendre le contrôle de l’Irak, le peuple irakien va être égorgé. Nous avons besoin de jeunes pour nous aider. Il a demandé notre aide pas pour l’Iran, mais pour l’Irak. Nul ne peut comprendre cela. Pourquoi ? Parce le monde entier est trop habitué à la relation avec les ambassades, celles-ci donnent des ordres et c’est tout. Nous, nous n’avons ni président, ni ambassadeur, ni ministre qui nous donnent des ordres. C’est pourquoi telle est la position de l’Iran.

Quant à l’influence de l’Iran dans la région et sa vision régionale, elles sont claires. Les frères en Iran disent nous voulons des relations normales et bonnes, des relations de bon voisinage et de coopération avec tous les Etats de la région. Ils le répètent chaque jour. Dites-moi, depuis la naissance de la République islamique en Iran, celle-ci a-t-elle lancé une guerre contre un pays arabe ou musulman ? Au contraire, une guerre a été menée contre elle, à laquelle ont participé plusieurs pays qui ont l’ont aussi financée et malgré cela, à la fin de la guerre, elle a déclaré vouloir de bonnes relations avec tous.

GBJ : Si la position de l’Iran est idéologique et religieuse à l’égard de la cause palestinienne, qu’a-t-elle à voir avec l’Irak, avec la Syrie et avec le Liban ?

SN : Que fait-elle en Irak et en Syrie ? Le crime de l’Iran est que hajj Qassem, les Gardiens de la Révolution et les frères en Iran sont venus en Irak pour aider les Irakiens à empêcher l’extension de «Daech» dans leur pays. «Daech» était à quelques kilomètres de Bagdad et beaucoup de gens avaient fui vers Bassorah. Il y avait un terrible projet pour détruire la région, la contrôler et y créer de grands changements. Les Iraniens sont venus aider leurs amis et leurs alliés.

GBJ : Et la Syrie ? 90% des régimes arabes étaient contre la Syrie et contre Damas, malgré cela, l’Iran est intervenue, allant ainsi à l’encontre de la volonté arabe officielle...

SN : Ceux-là sont les mêmes qui avaient appuyé la guerre de Saddam Hussein contre l’Iran. Que l’Iran se tienne aux côtés de ses amis et qu’elle cherche à les protéger, c’est ce qui est requis normalement. Si elle ne l’avait pas fait, elle aurait dû rendre des comptes à ce sujet.  Mais lorsqu’elle cherche à les protéger, cela ne signifie pas qu’elle les contrôle, complote contre eux ou les occupe. Voilà la Syrie. En dépit de ce que disent certains réseaux sociaux, l’Iran n’intervient pas dans les questions syriennes, ni au niveau de la Constitution, ni à celui de la loi, ni dans la formation du gouvernement, ni au Parlement, ni dans la vie politique, rien ! L’Iran est engagée à aider autant qu’elle le peut la Syrie pour qu’elle puisse tenir bon... Donnez-moi un seul pays au monde qui en aide un autre, sans rien demander en contrepartie. C’est l’Iran en Syrie. En Irak aussi que fait l’Iran ? Elle essayait tout le temps de rapprocher les points de vue, sans jamais imposer ses choix, ni en Syrie, ni en Irak, ni en Palestine. Demandez aux frères palestiniens. Au cours des 30 ou 40 dernières années, où les relations étroites se sont nouées avec l’Iran et où ils ont reçu de l’aide de l’Iran, quand est-ce que la République islamique leur a demandé de prendre position, je dis position et non décision ? Leur a-t-elle donné un ordre ? Jamais !

GBJ : A ses 40 ans, le Hezbollah a-t-il une vision pour l’avenir ? Je sais que ma question n’est pas réaliste, car le Hezbollah se bat en permanence, sur le plan politique, sécuritaire, social, économique... malgré cela, vous avez élaboré un document en 1985 et un autre en 2009, avez-vous une vision pour l’avenir ? Y a-t-il un projet de rajeunir les cadres du Hezbollah ?

SN : Nous sommes encore jeunes Monsieur Ghassan.

GBJ : Je ne parle pas de vous bien sûr !

SN : Mes frères aussi sont encore jeunes. Oserez-vous leur dire qu’ils sont devenus vieux ? Nous avons certes une vision de l’avenir, même proche. Au sujet de la région, je vous ai dit que les choses vont dans le sens de grands changements, inchallah en faveur du peuple palestinien, des Etats et des populations de la région. Bien sûr, nous ne parlons pas de deux ou trois ans. Nous parlons à court et moyen terme. Sur le plan international, il y a certes de grands changements qui se produiront au cours des prochaines années. Cela suppose que la marge d’action des forces indépendantes, des vraies forces souverainistes et de l’axe de la résistance sera plus grande. Les chances augmenteront et les menaces diminueront. C’est pourquoi notre présence auprès des factions de la résistance et du peuple palestinien devrait se renforcer au cours de la prochaine étape.

Sur le plan du Liban, l’élément nouveau est apparu dans le cadre des dernières élections. Notre vision de la situation interne, de l’orientation des développements et de notre participation réelle sont devenues claires au cours des dernières années. Au cours de la prochaine étape, nous devrions être plus présents, plus efficaces, plus sérieux, dans le dossier interne libanais, dont une partie, c’est l’Etat. Au cours des élections, nous avions parlé de l’Etat juste et capable. Nous avons une description précise de cette vision. Il ne s’agit donc pas d’un slogan idéaliste, comme la Cité Idéale. Nous avons des détails précis sur cela.

GBJ : Donc vous comptez vous impliquer plus dans la situation interne ?

SN : Oui, plus que jamais. C’est une responsabilité que nous ne pouvons plus ignorer ou diminuer en raison des conditions libanaises  difficiles, cela indépendamment du nombre de députés du Hezbollah, car sa représentation populaire et les espoirs dont il est porteur ne reflètent pas sa représentation populaire réelle. C’est pourquoi la vision pour la région est de renforcer l’axe de la résistance, de consolider la relation avec les frères palestiniens, ce qui sert ce projet. Sur le plan libanais, nous pensons que nous devons être plus présents sur la scène interne. Nous devons aussi être plus ouverts et ouvrir la voie à plus de coopération interne. Nous ne voulons pas aller vers des conflits internes, ni vers des alignements internes. Nous avons toujours dit que nous ne voulons pas contrôler le Liban, ni le gouverner, ni tenir en mains la décision de l’Etat. Même si cela nous était donné, nous le refuserions. Il ne s’agit pas là de manœuvres mais de propos sérieux. Nous croyons que le Liban peut être géré ; préservé et ses problèmes traités. Il peut même évoluer, consolider son avenir seulement à travers l’entente et la compréhension entre toutes les composantes principales du peuple. Ça c’est la composition de notre pays. Nous devons donc jouer un rôle positif, autant que possible, avec tout le monde au Liban, exception faite des parties qui se comportent avec nous comme si nous étions des ennemis, qui affichent leur hostilité politique, médiatique et sur le terrain à notre égard. Mais cela reste une exception. On voit ainsi dans beaucoup de cas, des attaques violentes qui nous sont adressées et même des attaques, malgré cela, nous ne réagissons pas, ni dans les médias ni en politique. Une manifestation de 1000 personnes a été attaquée. Mais nous ne sommes pas faibles, ni populairement ni militairement, ni médiatiquement ni politiquement. Nous sommes forts aussi grâce à notre vision et à notre foi. Même si nous sommes régulièrement visés, nous ne réagissons pas  parce que nous voulons éviter que les choses se détériorent. Nous préférons garder la porte ouverte à la coopération et à l’entente, à réparer les ponts qui ont été détruits ou ébranlés.  J’ai ainsi répondu à la question sur l’avenir.

Concernant le Hezbollah, j’ai fait une plaisanterie en disant que les vieux chez nous ont entre 50 et 60 ans. Mais en réalité, le parti ne vieillit pas. Au contraire, il est en pleine jeunesse. Il a 40 ans printemps. J’en parlerai dans mon discours à cette occasion. 40 printemps, c’est la jeunesse et la maturité. Mais en tout cas, nous sommes toujours soucieux d’ouvrir la voie aux jeunes. Lorsque nous avons commencé, nous étions un petit groupe, entre 10 et 20, au niveau des responsables. Mais lorsque nous avons commencé à nous étendre horizontalement et verticalement, il a fallu remplir les nouveaux postes de cadres de premier ou de second rang. Car il fallait un plus grand nombre. Ce sont les jeunes qui ont rempli ce besoin. Nous n’avons aucune crise à ce sujet. Aujourd’hui, les jeunes occupent la grande majorité des positions essentielles et influentes au Hezbollah. Mais au niveau du premier rang, ce sont encore les premiers qui tiennent les rênes.

GBJ : Vous êtes tous jeunes. Mais je parle du renouvellement des figures. Dans les

ministres, cela a été fait, mais très peu au Parlement...

SN : Nous renouvelons progressivement. Au Parlement, quand on a un grand bloc et qu’on change tout le monde au bout de 4 ans c’est qu’il y a un grand problème.

GBJ : Je sais que vous n’aimez pas parler de vous. Mais en 30 ans, pouvez-vous nous dire quelles sont les principales réalisations dont vous vous souvenez ou les difficultés que vous avez rencontrées, personnellement en tant que secrétaire général ?

SN : D’abord, je ne m’attribue aucune réalisation. Je suis convaincu que les réalisations du Hezbollah sont d’abord dues à Dieu et deuxièmement, le fruit d’un effort collectif au sein du parti. On ne peut donc pas dire que c’est le fait d’untel ou de tel autre. Je dis toujours aux frères et aux sœurs que ce que nous accomplissons  est le fruit d’efforts collectifs. Seul Dieu, le jour du Jugement dernier nous dira ce qu’a fait chacun de nous et dans quelle proportion. Donc, les réalisations sont attribuées au Hezbollah, avec son public, sans lequel nous n’aurions rien pu faire.

Par exemple, une des principales réalisations, c’est la libération de 2000. Mais nous avons dit que c’est le fruit des actes de tous ceux qui ont participé à la résistance, qui ont fait des opérations, sont tombés en martyrs, ont été blessés, ont été emprisonnés. Il ne s’agit donc pas d’une réalisation que nous avons accomplie seuls. Je pense que ce parcours est béni et certes, le Hezbollah a joué un rôle essentiel dans la grande réalisation de 2000.

De même, une des réalisations c’est d’avoir assuré la sécurité et la stabilité à nos gens, notamment au Sud et à tout le Liban en général.

Le fait que nous nous soyons tenus aux côtés de la résistance palestinienne, et en particulier  l’intifada des martyrs d’Al Aqsa qui a été ainsi fondée, c’est aussi une grande réalisation. Vous savez qu’on a voulu que la Palestine soit oubliée et la page tournée. Or à partir de 1993 et jusqu’en 2000 et ce qui s’est passé ensuite, un nouveau processus a commencé et s’est amplifié. La guerre de 2006 est aussi une grande réalisation. La libération des détenus sans avoir à supplier ou quémander est aussi une grande réalisation.

Au cours des dernières années, il y a eu une attaque universelle. Si elle avait réussi, le paysage dans la région serait totalement différent, sur tous les plans, politique, démographique et sécuritaire. Nous étions une partie de ce barrage solide qui a fait face à ce projet et l’a arrêté. C’est aussi une très grande réalisation. Nous parlons ici du Liban, de la Syrie, de l’Irak et de la région.

A l’intérieur, nous estimons faire partie des ceux qui ont contribué à consolider la paix civile et à empêcher le déclenchement d’une guerre civile. C’est une réalisation permanente et continue. Car il y a beaucoup de tentatives de revenir à la guerre civile, même récemment...

GBJ : Il y avait donc réellement une volonté de déclencher une guerre civile ?

SN : Oui. Lorsque le président du Conseil Saad Hariri a été retenu en Arabie et le travail qui a été accompli avec certaines parties politiques au Liban constituaient un push vers la guerre civile. C’est connu, ce n’est pas nouveau.

GBJ : C’est nouveau

SN : Non, c’est connu.

GBJ : Non. Nous avons su que cheikh Saad Hariri a été retenu, mais pour déclencher une guerre civile ? Comment cela ?

SN : Ceux qui géraient le dossier en Arabie avec des forces politiques libanaises poussaient vers le déclenchement d’une guerre civile au Liban.

GBJ : Entre qui et qui ?

SN : Avec des forces connues pour leur relation et leur appui à la résistance.

GBJ : A cause de cheikh Saad Hariri ?

SN : Non, la détention de cheikh Saad Hariri était une partie du plan à l’époque. Je suis étonné de vous entendre dire que c’est nouveau pour vous. Ce n’est pas nouveau pour le Liban. Il en a déjà été question.

GBJ : Il en a été question dans les médias, certes. Mais que le secrétaire général du Hezbollah dise qu’il y avait une réelle volonté de déclencher une guerre civile, c’est nouveau...

SN : Bien sûr, il y a beaucoup d’éléments qui confirment cela, des informations vérifiées. Il y a des gens qui réagissent positivement, d’autres non. Mais Hamdellah, nous avons dépassé ce sujet. Et nous considérons que c’est une réalisation.

Notre présence électorale, aux municipales, les services que nous donnons aux gens, qui sont en réalité nos proches et c’est notre devoir, tout cela c’est aussi des réalisations.

Préserver le Hezbollah pendant 40 ans, malgré toutes les crises traversées, c’est aussi une grande réalisation. En juillet 2006, quel était le projet ?  Eliminer le Hezbollah. Non seulement, nous n’avons pas été éliminés, mais nous sommes devenus une force régionale, comme ils le disent. Personnellement je dirais que nous avons une influence régionale... En tout cas, ce sont là des réalisations.

GBJ : Qui vous manque le plus au cours de ces 30 ou 40 ans ?

SN : Beaucoup me manquent, c’est évident. De plus nous parlons de 40 ans. Mais je dirais qu’en tête viennent les frères martyrs, surtout les chefs parmi eux. En particulier, les chefs avec lesquels nous travaillions ensemble. Nous sommes des compagnons de route. Nous étions des jeunes gens. Nous nous connaissons depuis que nous avions 18 ou 19 ans. Nous avons grandi ensemble et nous avons mené cette vie différente de celle de beaucoup d’autres jeunes. Je veux dire que beaucoup de gens menaient des vies normales : une vie sociale, des sorties etc.. Nos vies ne l’étaient pas. Mes compagnons étaient des jeunes qui ont très tôt porté des responsabilités sur leurs épaules, surtout après l’invasion de 1982 ; Naturellement, sayyed Abbas est toujours présent  dans mon esprit, haj Qassem Souleimani depuis son martyre, haj Imad Moghnié aussi bien sûr, ainsi que sayyed Moustafa Badreddine, haj Hassan Lakkis, un grand groupe. Ils me manquent. Ils me manquent aussi sur le plan affectif car entre certains d’entre eux et moi, il y avait de l’affection et des émotions. Certains sont connus et j’ai peur en citant des noms d’en oublier d’autres. Par exemple, hajj Maarouf, son nom Abou Mohammed al Iqlim, il faisait partie des meilleurs, d’autres sont morts, comme hajj Abou Ali Farhat, qui faisait partie des grands chefs de la résistance. Il y en a beaucoup, des cadres, des frères, des ulémas, ils sont toujours présents dans nos mémoires et dans nos cœurs. Dieu Tout- Puissant prend et donne en même temps, c’est ainsi qu’il nous a donnés de nombreux frères résistants, moudjahidines, des chefs et des ulémas qui nous accompagnent dans ce long chemin.

GBJ : Aujourd’hui après 40 ans, à qui souhaitez-vous adresser un message ?

SN : Comme le temps presse, je dois être concis. Je voudrais d’abord remercier Dieu Tout-Puissant pour tout ce qu’il nous a permis de faire. Je voudrais d’ailleurs, dans le cadre des célébrations des 40 ans de la résistance, faire une apparition télévisée uniquement consacrée à l’aspect culturel, spirituel et moral de notre parcours. Au cours de ces 40 ans, notre expérience a confirmé l’importance d’avoir confiance en Dieu et de compter sur Lui. Je peux donner des indices sur cela, des indices qui montrent comment un plus un peuvent faire mille grâce à la volonté de Dieu. Nos victoires ne répondent pas aux règles mathématiques et rationnelles Les résultats dépassent les données et cela, grâce à Dieu. De toute façon, c’est un long sujet.

En plus des remerciements à Dieu, je voudrais m’adresser aux gens. Nous ne leur faisons pas de compliments en les traitant de «gens les plus nobles, les plus généreux et les plus purs». Je parle des gens depuis 1982, depuis le début du parcours du Hezbollah, ils nous ont entourés, protégés, ils ont assumé les responsabilités et ils ont été loyaux et fidèles. Ce sont eux la résistance, ils ne sont pas contentés de la protéger. Tout au long de ces 40 ans, ils ont porté un poids très lourd, qui a augmenté avec le temps tout comme leurs sacrifices sont devenus plus importants. Pourtant, ils sont restés fidèles. Ils ne nous ont jamais déçus, ne nous ont jamais abandonnés et ne nous ont jamais poignardé dans le dos. Ces gens-là nous font penser à ceux qui étaient à Karbala encerclés avec al Hussein, qui s’était d’ailleurs adressé à eux. Ces gens-là comme ceux à Karbala ne nous ont jamais quittés, ni de plein jour, ni en pleine nuit. Ils ont tenu bon, avec nous, ont consenti de nombreux et importants sacrifices et ils ont beaucoup supporté. D’ailleurs, ces pressions économiques à quoi visent-elles ?  Il s’agissait de pousser les gens à dire à la résistance : c’est fini. Nous ne pouvons plus supporter ! Par conséquent, il s’agissait de dire aux Américains : que voulez-vous ? La normalisation des relations avec «Israël» ? Ok, l’implantation des Palestiniens ? Soit, l’intégration des réfugiés syriens au Liban ? Nous sommes prêts ! Nous voulons juste manger.

Mais ces gens ont refusé de plier. Ils ont rejeté l’humiliation et ils sont prêts aux sacrifices. Ecoutez, lorsque j’ai dit, il y a quelques jours  que nous sommes prêts à défendre les droits du Liban même si cela doit nous mener à la guerre, je n’aurais pas pu le faire si je n’avais pas confiance en Dieu d’abord et dans les gens ensuite. Car il est normal que les gens aient peur pour leurs biens, pour leur quotidien, pour leurs familles et leurs vies. Mais lorsqu’il s’agit du droit et de la dignité, de l’avenir du pays, ils ne reculent pas, ne cèdent pas et ne peuvent pas être vaincus.

Dans le cadre de cette rencontre, je voudrais donc adresser un grand merci à tous ces gens. Je ne parle pas d’une communauté en particulier, je parle de tous les gens au Liban et dans la région, qui ont été fidèles et loyaux, fermes et prêts à tous les sacrifices et continuent de l’être.  Ils continuent à avoir de grands espoirs, de grands paris. Je leur dis merci. Nous sommes vos fils, vos frères, nous faisons partie de vous. Nous resterons ensemble à porter ces espoirs et vos rêves ne sont pas irréalisables. Tout ce qui a été dit sur nous au cours des 40 dernières années, que nous sommes fous, irréalistes a montré ses limites. Nous avons montré que nous sommes réalistes et logiques, rationnels et capables, avec tous ces gens nobles, honnêtes et fidèles, avec cette résistance capable, évoluée et qui compte sur Dieu.

Contrairement à ce qui se dit au Liban pour démotiver les gens, je suis convaincu que l’avenir dans la région sera très important, grandiose, solide. Nous sortirons de cette période difficile, si nous nous fixons des objectifs et si nous travaillons jour et nuit, sincèrement pour qu’ils se réalisent. Si nous comptons sur Dieu, nos peuples dans la région ne manquent ni de cerveaux, ni de capacités humaines, ni de moyens matériels. Nous avons besoin de foi, de détermination, de volonté, de sincérité, de loyauté et de confiance dans les gens et bien sûr, de foi en Dieu. Si nous avons cela, nous pouvons construire l’avenir que mérite ce peuple sincère et fidèle.

GBJ : Quelle belle conclusion. Je voudrais résumer le parcours du Hezbollah par un mot : la solidité stratégique. Avec vos derniers mots, je voudrais ajouter : la solidité morale, qui est une chose rare. Que Dieu vous donne longue vie sayyed. Je voudrais que Dieu me donne la vie nécessaire pour mener avec vous l’entretien des 50 printemps. Peut-être si Dieu le veut, nous le réaliserons à Al Qods...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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