Retour de Hochstein : pourquoi le Hezbollah ne partage pas l’optimisme officiel
Par OLJ, Scarlett Haddad
Alors que le Liban officiel est suspendu à la visite de l’émissaire américain Amos Hochstein prévue dimanche, considérant qu’elle devrait constituer un pas positif dans le dossier du tracé de la frontière maritime avec «Israël», les milieux proches du Hezbollah restent, eux, circonspects et méfiants. Pour eux, l’optimisme des officiels libanais est injustifié et il ne faudrait donc pas avoir de très grandes attentes au sujet de cette visite qui devrait durer deux jours. Elle devrait, en principe, permettre au Liban de connaître la position israélienne à l’égard de sa dernière proposition consistant à élargir la ligne 23 pour inclure la totalité du champ maritime de Cana dans l’espace maritime libanais, alors que le tracé originel prévoit d’attribuer une partie de cette zone à «Israël». Une proposition qui se résume, en d’autres termes, à dépasser les lignes pour se concentrer sur l’exploitation des ressources gazières et pétrolières dans les champs de Cana pour le Liban et de Karish pour les Israéliens.
Toutefois, dans son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a ajouté une condition qu’il juge utile et concrète pour le Liban. Il a alors estimé qu’il ne suffit pas de délimiter les superficies exploitables pour chaque partie, il faut également lever le veto interdisant aux compagnies étrangères de commencer à travailler dans l’espace maritime du Liban. Nasrallah avait d’ailleurs dit : Si le Liban ne peut pas exploiter ses ressources gazières et pétrolières, les Israéliens ne pourront pas le faire non plus, pas seulement dans le cadre du champ de Karish, mais «au-delà, bien au-delà de ce champ». Il a ainsi repris la formule devenue célèbre pendant la guerre de juillet 2006, lorsqu’il avait annoncé que le Hezbollah comptait bombarder Haïfa, et «au-delà, bien au-delà de cette ville». À travers cette phrase, le chef du Hezbollah a donc voulu imposer une nouvelle équation qui permettrait au Liban de commencer effectivement à prospecter puis à forer et à extraire ses ressources pétrolières et gazières. Il a misé sur le fait que les Américains et les Européens ont un besoin urgent du gaz et du pétrole contenus dans les eaux du bassin méditerranéen et, en même temps, sur le fait que les Israéliens ont hâte de les leur vendre, alors que les premières extractions du champ de Karish devraient se faire en septembre. C’est pour cette raison qu’il a considéré cette échéance comme une date butoir : soit d’ici à septembre les compagnies étrangères pourront entamer au large des côtes libanaises les travaux de prospection, soit les Israéliens ne pourront pas exploiter les ressources du champ de Karish.
Selon les milieux proches du Hezbollah, Nasrallah a joué ainsi à quitte ou double et il n’écarte pas la possibilité d’une guerre. En effet, si son équation est rejetée, le Hezbollah devra lancer une attaque pour empêcher l’exploitation par les Israéliens des ressources du champ de Karish, ou d’un autre. D’ailleurs, au large des côtes de Gaza, les différentes factions palestiniennes sont en train de suivre l’exemple du Hezbollah, et la situation pourrait rapidement dégénérer en confrontation généralisée. Selon les milieux proches du Hezbollah, Nasrallah a pesé le pour et le contre, et au cours des semaines qui ont précédé son discours du 13 juillet, il a multiplié les réunions pour étudier toutes les hypothèses. Selon ces milieux, il est apparu que ni les Américains, ni les Européens et encore moins les Israéliens ne veulent d’une guerre. C’est pourquoi cela pourrait être le bon moment pour que le Liban améliore ses conditions. D’ailleurs, c’est après ce discours que la visite de Hochstein à Beyrouth a été annoncée.
Les milieux proches du Hezbollah ne sont toutefois pas convaincus de l’imminence d’un accord. Ils pensent plutôt que les Américains chercheront à gagner du temps jusqu’en septembre en faisant des promesses trompeuses et vagues aux responsables libanais pour noyer le poisson et permettre aux Israéliens de commencer à extraire le gaz de Karish alors que le Liban est encore plongé dans ses contradictions et dans des formalités sans fin. Comme c’est notamment le cas au sujet de l’acheminement vers le Liban du gaz égyptien et de l’électricité jordanienne, promis depuis bientôt un an. Cette conviction chez les milieux proches du Hezbollah est basée sur le fait que, selon eux, depuis octobre 2019, le plan américain est de pousser les Libanais à se révolter contre la formation chiite. Mais en raison du lien étroit existant entre le Hezbollah et son environnement populaire – qui s’articule sur plusieurs éléments dont la dimension religieuse, les aides sociales et la résistance proprement dite –, le plan prévoyait selon eux de laisser les Libanais souffrir à petit feu, pour les pousser au désespoir et au dégoût, au lieu de frapper un grand coup en une fois, ce qui pourrait provoquer une réaction violente et une révolte. Depuis trois ans, toujours selon les milieux proches du Hezbollah, un véritable travail de sape a été accompli pour détruire le moral des Libanais, tout en leur donnant, de temps en temps, un souffle d’espoir pour qu’ils soient encore plus déçus ensuite. Or, toujours dans cette logique, si les Libanais et les Israéliens aboutissent à un accord sur la délimitation de la frontière maritime, cela ouvrirait pour le Liban de nouvelles perspectives économiques qui balayeraient d’un seul coup tout le travail accompli au cours des trois dernières années. Les autorités américaines sont-elles disposées à modifier leur plan pour détruire (ce qu’ils décrivent comme) «l’influence» du Hezbollah au Liban ? Ce dernier a de sérieux doutes sur cette question.