Au Yémen, toute une génération d’enfants ne connaît que la guerre: leur état psychologique en danger
Par AlAhed avec MEE
Pour de nombreux enfants nés depuis 2015, les combats font partie du quotidien. Les psychologues craignent un impact sur le long terme.
Le bruit des bombardements dans la ville de Ta’izz plonge d’innombrables Yéménites – enfants, femmes et hommes – dans l’anxiété, mais peu de choses empêcheront Hassan de jouer dans sa cour.
Hassan, 6 ans, est né peu après le début de l’offensive militaire lancée par l’Arabie saoudite contre le Yémen. Depuis mars 2015, les combats sont une constante dans sa ville, Ta’izz, et une toile de fond persistante dans la vie du jeune garçon.
«Les bombardements ne me font pas peur. Ils sont loin, sur le front, pas ici», affirme-t-il à Middle East Eye.
Son père, Ahmed al-Rabouei, voit une différence entre Hassan et les membres plus âgés de sa fratrie.
«J’ai cinq enfants, dont trois sont plus âgés qu’Hassan, mais les bruits des bombardements et des frappes aériennes les terrifient. Quand ils entendent les bombardements, ils se réfugient auprès de moi ou de leur mère», témoigne-t-il. «Hassan est différent. Il continue de jouer même quand il entend le bruit des bombardements. Au contraire, il sort pour voir où [l’obus] est tombé.»
Six ans plus tard, la guerre a fait plus de 230 000 morts, provoqué des épidémies et poussé le Yémen au bord de la famine, une situation que les Nations unies décrivent comme la pire crise humanitaire au monde.
Dans le même temps, l’effet du conflit sur les jeunes enfants est devenu une conséquence cachée, sous-estimée et incomprise de la guerre.
Hassan, qui entrera à l’école dans quelques mois, rêve de devenir un combattant quand il sera grand, comme beaucoup de ses amis.
«Mon jeu préféré, c’est faire la guerre avec des fausses armes. Je bats tous mes amis dans le quartier», confie Hassan.
Enseignant dans le gouvernorat de Ta’izz, Samir Saeed Othman estime que cette très jeune génération sera différente des précédentes dans la mesure où la guerre façonne l’attitude et la personnalité des enfants.
«Les enfants sur les lignes de front vivent sous la menace des bombardements, des frappes aériennes, des combats ou des mines, ils vivent dans un climat de terreur. Je les entends toujours parler des différents types d’armes et de la menace des mines», indique-t-il.
«Nous ne voyons pas toujours l’impact de la guerre sur leur visage, mais leurs mots et leur culture le trahissent indéniablement et cela représente indéniablement un danger pour eux.»
Samir Saeed Othman connaît des enfants qui ont perdu des amis sous leurs yeux, notamment à cause des mines.
«Les enfants sur les lignes de front jouent avec les restes d’explosifs, et parfois ils tuent leurs amis en manipulant ces restes. Ils ne sont pas conscients du danger que représentent ces objets. Les enfants vivant sur les anciennes lignes de front qui marchent sur des mines qui les tuent et font d’autres victimes sont nombreux.»
Selon l’enseignant, ces enfants ont besoin d’un soutien psychologique mais les familles n’ont pas les moyens de payer ce type de soutien.
Troubles du sommeil et cauchemars
Ahmed al-Rabouei, caissier dans une supérette de Ta’izz, est heureux que son fils Hassan soit «courageux», mais s’inquiète davantage pour ses enfants plus âgés, qui souffrent de troubles du sommeil et font des cauchemars à cause des combats.
«Hassan est né un mois après le début de la guerre au Yémen et il s’y est adapté, mais les plus âgés avaient l’habitude de vivre dans un environnement paisible. Je les emmenais au parc, au zoo et en pique-nique, alors maintenant, ils ont peur des bombardements», explique-t-il à MEE.
«Des milliers d’enfants vivent près des lignes de front et tous ne souffrent pas de traumatismes psychologiques. Mais la plupart des parents ne peuvent pas emmener leurs enfants chez un psychologue.»
La perception d’Ahmed al-Rabouei est loin d’être un cas isolé. Si de nombreux parents yéménites louent le «courage» de leurs enfants face à un conflit incessant, Nuha al-Baidhani, psychologue à Ta’izz, rappelle que ce comportement chez les enfants est un symptôme des effets de la guerre.
«La réaction au bruit des bombardements est différente d’un enfant à l’autre», résume-t-elle à MEE. «Certains ont peur des bombardements. Lorsque les obus tombent, on peut voir la terreur dans leurs yeux. D’autres sont agressifs. En travaillant avec différentes organisations, j’ai constaté que cette violence se retrouvait dans leur vie quotidienne et dans leurs jeux», ajoute-t-elle.
«Nous avons essayé de leur donner des jouets qui créent un environnement pacifique, mais ils préfèrent la violence, et cela ne fait que refléter la culture de la communauté», estime-t-elle.
En 2020, l’ONG internationale Save the Children a signalé dans une enquête que les années de conflit au Yémen avaient eu un impact dévastateur sur la santé mentale de toute une génération d’enfants et poussé certains au bord de la dépression.
Nuha al-Baidhani souligne le manque de compréhension des traumatismes de la part des adultes, qui souffrent eux-mêmes des conséquences du conflit.
«Certains adultes qui vivent sur les lignes de front souffrent de traumatismes psychologiques», poursuit-elle. «Mais les parents font parfois l’erreur d’interpréter les réactions des enfants comme des signes faisant d’eux des enfants “courageux” ou non.»
Si l’on ne s’attaque pas aux traumatismes subis par les enfants et à leur l’agressivité, cela risque d’avoir des répercussions sur leur vie adulte, prévient la psychologue.
«Cette génération a été privée de tout – d’une éducation de qualité, de traitements, et même de bons jouets», déplore Nuha al-Baidhani.
Pour Samir Saeed Othman, les enfants issus de la «génération de la guerre» ne sont pas «courageux» : ils forment plutôt «une génération désorientée par la guerre».
«Quand un enfant d’une zone sûre arrive à Ta’izz et entend des bombardements, il a peur», affirme l’enseignant. «Cela signifie que cet enfant est normal. Ceux qui ne ressentent pas [la peur] sont ceux qui ont été affectés par la guerre.»