Les Panama Papers révèlent un accord d’armement entre «Israël» et les Émirats arabes unis
Par Middle East Eye
Abou Dabi a discrètement signé d’importants contrats avec un homme d’affaires israélien pour se doter de technologies d’espionnage et de surveillance, révèle le quotidien israélien Haaretz.
C’est fortuitement, en épluchant la partie concernant «Israël» des Panama Papers (documents confidentiels issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca détaillant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore), que les journalistes de Haaretz affiliés à l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) ont découvert une énorme transaction d’armes entre un homme d’affaires israélien et les Émirats arabes unis (EAU).
Dans une enquête publiée le 21 août, Haaretz révèle ainsi les dessous d’une affaire complexe. L’homme s’appelle Matanya « Mati » Kochavi. À 57 ans, ce natif de Haïfa a fait fortune dans l’immobilier aux États-Unis lors du boom des années 1990.
En réalité, l’homme est connu dans le milieu de la défense comme un « intégrateur de solutions » et un bon intermédiaire dans les transactions internationales d’armement.
À la tête de nombreuses entreprises domiciliées en «Israël», Suisse, Grande-Bretagne ou à Chypre, Kochavi profite de la paranoïa sécuritaire de l’après-11 septembre 2001 pour proposer des solutions de surveillance et de gardiennage.
L’empire Kochavi
Sa société 4D Security Solutions of South Plainfield décroche l’important marché de surveillance des trois aéroports de New York.
Elle y installe un système électronique de détection d’intrusions sur les dizaines de kilomètres de clôtures qui ceinturent ces infrastructures ultrasensibles.
C’est justement les données d’une des sociétés de l’empire Kochahvi qui ont été divulguées à l’occasion de ces nouvelles révélations sur le petit paradis fiscal des Caraïbes.
Les documents obtenus par Haaretz en 2017 révèlent une transaction d’un montant d’environ 760 millions d’euros dont une partie aurait été versée en espèces. Cette somme implique une des filiales du groupe et des personnalités émiraties.
Montages financiers
Un examen approfondi des correspondances divulguées de la firme juridico-financière Appleby révèle que l’armée des Émirats arabes unis, très impressionnée par les performances des avions de renseignement électroniques israéliens et britanniques, a voulu se doter de ce type de capacités aériennes en prévision d’une guerre contre l’Iran.
La réflexion qui a débuté il y a une dizaine d’années consistait en l’acquisition et en la customisation de deux jets d’affaires civils en appareils d’écoutes et de collecte d’information.
Les documents retrouvés décrivent précisément la structure mise en place pour l’achat et la modernisation de ces appareils. Sur les documents, l’utilisateur final est clairement indiqué : ce sont les forces armées émiraties.
Le montage financier passe par de nombreuses entreprises – c’est la méthode aux EAU – on achète rarement directement aux fournisseurs étrangers.
On attribue d’abord le marché à une entreprise locale appartenant toujours à un proche des familles princières, histoire de bien répartir la rente de l’énorme budget de la défense émiratie qui tourne autour de seize milliards de dollars pour une armée microscopique de 65 000 hommes.
Dans le cas des avions espions, l’armée choisit une entreprise d’Abou Dabi, créée en 2006 et détenue par Abdullah Ahmed Al Balooshi, un proche des services de renseignements.
Son nom : Advanced Integrated Systems (AIS). Sa spécialité : la fourniture des systèmes de sécurité et de surveillance.
Les archives du site internet de cette société indiquent qu’AIS gérait de nombreux projets aux Émirats et à l’international, son chiffre d’affaire avoisinerait le milliard de dollars.
D’emblée, la vérification des documents fait ressortir une facture datée de 2015, d’un montant de 629 millions d’euros pour les deux avions équipés et leur maintenance, soit 80 millions de plus que l’arrangement initial entre l’armée émiratie et AIS datant de 2010.
Un équipement technologique de pointe
On y découvre les aménagements et les équipements qui seront installés sur les deux avions achetés en 2012 nus pour 86 millions d’euros.
Des capteurs et leurs logiciels dédiés à l’interception de signaux électroniques (ELINT) pour 65 millions d’euros, des antennes à longue portée et des logiciels de décryptage pour l’écoute et l’interception de communications (COMINT) pour 80 millions d’euros, un système d’autoprotection des avions pour 42 millions d’euros, deux caméras obliques à longue portée LOROP pour plus de 40 millions d’euros, et la bagatelle de 35 millions d’euros pour le support et la maintenance.
AIS confie le projet d’intégration à l’entreprise suisse AGT International, qui appartient à Mati Koshavi. C’est AGT qui achète les deux appareils (des jets canadiens Bombardier) et les immatricule dans le paradis fiscal de l’île de Man, au large de l’Angleterre, en 2012.
L’entreprise de Koshavi achète les équipements puis confie à son tour le marché de leur intégration à la firme britannique Marshall pour la coquette somme de 100 millions de dollars.
L’entreprise est connue, c’est elle qui avait, dix ans auparavant, préparé les appareils britanniques R1-Sentinel, grands cousins des avions émiratis.
L’obsession de la surveillance
Il y a un an, le premier des deux appareils a pu effectuer ses tests de vol en Grande-Bretagne, le second est encore en construction et devra voler prochainement. Les deux appareils seront livrés probablement en 2020.
En plus de cette transaction, on retrouve l’entreprise de Koshavi dans un domaine des plus sensibles aux EAU.
C’est AGT International qui a fourni des milliers de caméras, de lecteurs de plaques d’immatriculation et toute l’infrastructure informatique pour la gestion de la sécurité urbaine à Abou Dabi et sur l’ensemble des frontières et postes d’entrée aux Émirats.
Toute cette infrastructure est gérée par un système d’intelligence artificiel livré par l’Israélien appelé Wisdom, qui brasse en temps réel des millions de vidéos et d’images prises sur l’ensemble du territoire, sans aucune garantie que ces données ne soient pas aussi sous contrôle d’autres entités que l’État émirati.
Pour rappel, officiellement il n’y a pas de relations diplomatiques entre «Israël» et les Émirats arabes unis. En revanche, ils partagent un ennemi commun, l’Iran.