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Yémen: le retrait émirati pourrait offrir une échappatoire à MBS

Yémen: le retrait émirati pourrait offrir une échappatoire à MBS
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Par Middle East Eye

Il fut une époque – et pour le prince héritier et souverain de facto d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), elle doit désormais paraître lointaine – où une guerre contre le mouvement Ansarullah du Yémen semblait être une très bonne idée.

Une victoire rapide, tirant parti de la supériorité incontestée dans les airs de l’Arabie saoudite dans le nord et de celle des forces terrestres alliées émiraties dans le sud, lui aurait permis de polir sa réputation de jeune prince guerrier façonnée dans le moule de son grand-père Ibn Saoud, le fondateur du royaume d’Arabie saoudite moderne.

Elle aurait renforcé sa prétention à être le chef émergent des États arabes.

Une guerre d’usure

Plus de quatre ans après, la folie de cette pulsion malheureuse explose à la vue de tous : près de 100 000 morts et de nombreux autres blessés, des millions de personnes confrontées à l’insécurité alimentaire, à des maladies habituellement évitables et à la famine, des infrastructures essentielles détruites dans l’un des pays les plus pauvres du monde.

La guerre au Yémen est entrée dans une impasse. Elle s’est transformée en une guerre d’usure entre de nombreuses factions, une guerre dans laquelle MBS s’est engagé avec son pays sans savoir quelle allait être sa stratégie de sortie.

Ce n’est pas un problème que rencontre son homologue et compagnon d’armes Mohammed ben Zayed (MBZ), le prince héritier d’Abou Dabi.

En effet, les Émirats arabes unis, un ensemble de sept émirats du Golfe dont Abou Dabi est le plus fort et le plus puissant, auraient commencé à retirer leurs forces.

MBZ peut le faire puisque dans une large mesure, les Émirats arabes unis ont accompli à peu près tous leurs objectifs au Yémen.

Une stratégie claire

Contrairement à MBS, le prince héritier d’Abou Dabi avait une stratégie claire qu’il a pratiquement appliquée à la perfection. Elle visait à assurer la sécurité de la ville portuaire cruciale d’Aden dans le sud du pays, à revendiquer l’île vitale de Socotra, dans le golfe d’Aden, et à faire cause commune avec les forces sécessionnistes du sud en vue de scinder le Yémen en deux pays distincts, comme avant 1990. Un Yémen du Sud renaissant serait dans les faits un État client des Émirats arabes unis.

Ce n’était pas une stratégie en solitaire. Socotra, qui est ressortie presque indemne des terribles dommages causés ailleurs au Yémen, se situe au carrefour entre la péninsule Arabique et l’Asie. Les Émirats arabes unis entretiennent déjà des relations commerciales étroites avec l’Inde et souhaitent accroître leurs ventes d’énergie sur les marchés en croissance du sous-continent.

Aden, lui-même un joyau portuaire très prisé, se trouve à proximité de Bab-el-Mandeb, l’étroit goulot maritime situé entre le Yémen et la Corne de l’Afrique, où les Émiratis s’emploient à construire des ports maritimes et des bases militaires au Somaliland, au Puntland et en Érythrée.

Ces ports et ces bases revêtent une certaine importance, qu’il s’agisse de renforcer la présence des Émirats arabes unis dans la région ou de créer du poids militaire pour protéger Bab-el-Mandeb, traversé chaque jour par près de cinq millions de barils de pétrole.

En outre, l’ONU a négocié un cessez-le-feu en décembre dernier autour du port de Hodeida bordant la mer Rouge, contrôlé par les rebelles mais assiégé par les forces de la coalition ; bien que fragile, il tient toujours alors même que de nouvelles attaques d'Ansarullah comme des forces de la coalition continuent de se produire ailleurs. Le cessez-le-feu fournit aux Émiratis une couverture suffisante pour justifier la réduction de leur présence militaire.

Ils ont également à leur actif la reprise à "al-Qaïda" en 2016 de la ville portuaire de Moukalla, à l’est d’Aden, leur permettant de prouver qu’ils ont fait leur part dans la guerre contre le terrorisme, de gagner le respect des États-Unis et d’affiner leur références en tant que «petite Sparte», la distinction élogieuse que leur accordent les généraux du Pentagone, ceux-là mêmes qui, en privé, tiennent l’armée saoudienne en piètre estime.

La vulnérabilité de l’Arabie saoudite

Pendant ce temps, MBS est pris dans un bourbier. Ansarullah est un adversaire habile et impitoyable et s’est bien enraciné dans la capitale Sanaa et dans leur fief, dans le nord du pays. Ils ont exploité la vulnérabilité de l’Arabie saoudite face aux attaques de missiles et de drones, notamment lors d’une frappe contre l’aéroport de la ville d’Abha, dans le sud de l’Arabie saoudite, la troisième d’une série d’attaques qui a fait un mort et plusieurs dizaines de blessés.

Ansarullah a déclaré qu’il pouvait frapper n’importe quel aéroport en Arabie saoudite ; alors que les Saoudiens vantent leur bouclier antimissile de pointe, la facilité relative avec laquelle il est percé laisse au contraire augurer de graves lacunes dans la manière selon laquelle il est déployé.

En outre, ce sont les Saoudiens qui ont été la cible de condamnations mondiales pour leur conduite dans la guerre, alors que les Émiratis ont globalement échappé à l’opprobre, même s’ils sont accusés de nombreuses violations des droits de l’homme dans le théâtre d’opérations sous leur autorité, dans le sud du pays.

Mettre fin à cette guerre sauvage

Le retrait émirati devrait constituer un signal d’alarme à Riyad. Lorsqu’un compagnon d’armes décide que ça suffit, il est temps de penser à ce que l’on fait encore exactement dans la danse. Les Saoudiens affirment – avec raison – que chaque fois qu’ils font pression en faveur de pourparlers, Ansarullah donne son accord et se retirent ensuite. Ils soutiennent que c’est Ansarullah qui prolonge la guerre.

C’est peut-être le cas, mais le seul moyen pour MBS de sortir son pays du bourbier est de prendre la route du règlement politique.

Ce ne sont pas les bombes qui pousseront Ansarullah à s’asseoir à la table des négociations. Cela signifie, selon moi, qu’il faut un arrêt unilatéral de la campagne aérienne, avec un calendrier serré et une pression extérieure pour amener Ansarullah à la table, cette fois-ci pour qu’il y reste. 

Cela aura le mérite de montrer les Saoudiens sous un jour favorable, ce qu’ils seront peut-être disposés à comprendre à mesure que les condamnations se multiplient, en particulier aux États-Unis, où les deux chambres du Congrès ont adopté des projets de loi visant à mettre fin au soutien militaire apporté à la guerre.

Certes, un tel pas n’est qu’un démarrage très modeste de l’effort visant à mettre fin à une guerre sauvage et compliquée qui, autrement, se poursuivra sans qu’on puisse en entrevoir la fin.

Mais la décision de MBZ de retirer stratégiquement ses propres troupes n’est peut-être que l’ouverture dont Mohammed ben Salmane a besoin. Pour le bien du peuple yéménite, espérons qu’il fasse ce pas.

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