«Elle pleure tout le temps»: les survivants des bombardements meurtriers dans une école yéménite sous le choc
Par Middle East Eye
La pause du midi allait retentir lorsque deux bombes se sont abattues à proximité de l’école al-Ra’ai à Sanaa, semant la mort et la destruction sur leur passage
Samia* pleure depuis dimanche midi, lorsque des frappes aériennes présumées être de la coalition saoudienne ont tué cinq de ses camarades de classe à l’école al-Ra’ai dans le quartier de Sawan, à Sanaa.
Samia, 12 ans, était en train d’étudier lorsque deux bombes ont visé le quartier résidentiel où elle habite. Elle a fait part à MEE de sa terreur lorsqu’elle a vu ses amis mourir et d’autres souffrir de graves blessures, tandis que des pans entiers du bâtiment s’effondraient autour d’elle.
Onze civils, élèves compris, ont été tués dans les bombardements, selon des responsables de l’ONU au Yémen.
Si la coalition saoudienne n’a pas revendiqué directement les attaques, la chaîne de télévision saoudienne Al-Arabiya a annoncé dimanche que des frappes aériennes dirigées par les Saoudiens avaient visé un camp militaire situé à proximité d’un quartier résidentiel. Les seules frappes aériennes survenues à Sawan ce dimanche ont été celles qui ont touché les alentours de l’école.
Au lendemain de l’attaque, les habitants de Sawan n’arrivaient pas encore à croire ce qui s’était passé. Plusieurs bâtiments avaient été endommagés, y compris l’école qui a été fermée, mais la vie avait repris son cours normal dans les rues et les marchés à proximité.
Pour Samia et sa famille, la vie n’est plus comme avant. «J’étais chez moi lorsque le premier bombardement s’est produit et que j’ai vu la fumée du bombardement près de l’école», explique Saeed*, le père de Samia, à MEE.
Saeed s’est tout de suite dirigé vers l’école.
«J’ai immédiatement pensé à ma fille et j’ai couru vers l’école. Le bombardement suivant a eu lieu alors que j’étais en chemin. J’ai eu du mal à arriver à l’école parce que beaucoup de gens allaient à la recherche de leurs enfants», raconte-t-il.
«Lorsque j’essayais de rejoindre l’école, j’ai vu des gens amener des élèves morts et blessés et j’essayais de voir si ma fille en faisait partie», ajoute-t-il.
La scène était intense. Les enfants pleuraient, les sirènes des ambulances hurlaient. Finalement, Saeed a vu Samia. «Quelqu’un essayait de la calmer et de calmer ses camarades de classe, mais elle criait», se souvient-il.
Saeed s’est dit soulagé de voir sa fille hors de danger, mais lorsqu’ils sont rentrés à la maison, elle a commencé à revivre le bombardement dans sa tête, encore et encore.
«Ma fille pleure la plupart du temps et n’arrive pas à bien dormir. Elle a vu les cadavres de ses camarades de classe et du sang sur le sol, alors elle en parle tout le temps», rapporte Saeed.
«Les morts et les blessés ne sont pas les seules victimes des bombardements. De nombreux enfants souffrent de traumatismes psychologiques à cause des bombardements et ma fille en fait partie.»
«Nous sommes des civils»
Ibrahim, propriétaire d’une maison partiellement endommagée au cours de l’attaque, déclare que sa petite-fille de 10 ans, Ishraq*, était en train d’étudier à l’école al-Ra’ai lorsque les bombes sont tombées. Elle a été blessée par des éclats d’obus.
«Elle n’a pas été blessée gravement et a eu beaucoup plus de chance que ses camarades de classe», déclare le père.
«Certains enfants ont été tués et d’autres ont été blessés. Le sang des enfants est suffisant pour envoyer un message aux Saoudiens et leur demander d’arrêter la guerre.»
«Nous sommes des civils et nous luttons pour nourrir nos familles, alors pourquoi les frappes aériennes nous ciblent-elles ?», demande Ibrahim. «Nous ne soutenons aucun parti et tout ce dont nous avons besoin est de vivre en paix, mais les frappes aériennes nous ciblent alors que nous n’avons rien fait de mal.»
D’après lui, il n’y a personne pour indemniser les propriétaires des maisons endommagées ou pour fournir des soins à long terme aux blessés après des frappes aériennes comme celle de dimanche.
«Les civils sont les principales victimes de cette guerre car il n’y a personne pour soigner les blessés ni pour dédommager les propriétaires de logements endommagés», soutient-il.
«Puisse Allah se venger des tueurs et sauver les Yéménites dans leur pays.»
Un traumatisme durable
Sayun Fadhel, psychologue qui exerce à Sanaa, explique à MEE que le simple bruit d’un bombardement pourrait suffire à causer un stress post-traumatique à long terme chez les enfants qui ont vécu l’attaque.
«Les bruits sont suffisants pour infliger un traumatisme psychologique aux enfants et lorsque l’enfant voit du sang et les cadavres de ses camarades de classe, c’est un désastre», argumente-t-il.
«Si l’enfant ne reçoit pas les soins et l’aide psychologique adéquats dès maintenant, il risque de subir les conséquences du traumatisme à l’avenir ; c’est le lot des enfants au Yémen.»
Néanmoins, beaucoup de parents des enfants impliqués dans l’attaque de dimanche ne sont pas conscients du traumatisme prolongé que celle-ci peut causer et n’ont pas l’argent pour payer un traitement, qui implique généralement de consulter tout d’abord un psychologue.
«Nous avons à peine de quoi payer notre nourriture», déplore Saeed, le père de Samia. Plus que tout, il affirme souhaiter la paix et le rétablissement de sa fille.
«Je pensais aux études de mes enfants et à leur avenir, mais maintenant, je veux juste voir ma fille comme avant. C’est très dur de la voir pleurer tout le temps.»
*Des pseudonymes ont été utilisés pour protéger l’identité des interlocuteurs.