Macron continue à vendre des armes aux bouchers d’Arabie saoudite !
Par Stéphane Aubouard – L’Humanité
Malgré des frappes tuant des civils, la France continue de vendre et de livrer des armes à la coalition arabe au Yémen. Le débat public sur la question est pour l’heure bâillonné.
«L’ordre d’arrêt, pour les exportations d’armes autorisées vers l’Arabie saoudite, est prolongé de six mois jusqu’au 30 septembre 2019.»
Publié jeudi soir, ce communiqué du gouvernement allemand a eu l’effet d’une bombe du côté de Londres et de Paris. L’ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes, a aussitôt dégainé, ciblant le caractère «imprévisible de la politique allemande d’exportations d’armes». Les représentants de grands groupes de l’armement hexagonaux n’auraient pas dit mieux.
Des composants cruciaux produits outre-Rhin participent en effet de la fabrication d’armes françaises et britanniques à destination de la coalition arabe au Yémen ; la non-production, ou livraison, des premiers empêche de facto la vente des secondes, synonyme d’un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros !
Certes, on ne sera pas assez naïf pour croire que Berlin a renouvelé le gel de ses ventes d’armes en direction de Riyad pour le seul respect des droits humains afférents au traité sur le commerce des armes (TCA). Une bataille politique entre les sociaux-démocrates, d’un côté, et les chrétiens-démocrates d’Angela Merkel, de l’autre – favorables à la reprise de ces ventes malgré une opinion publique contraire –, reste la principale raison de cette prolongation. Pour rappel, Berlin avait décrété cet embargo une première fois il y a six mois, après l’assassinat de Jamal Khashoggi – journaliste saoudien tué et démembré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018.
Bien que critiquable, l’épisode berlinois montre en revanche que des mécanismes démocratiques perdurent encore en Allemagne concernant les ventes d’armes… et rappelle qu’en France, ce n’est pas tout à fait le cas. Depuis le début la guerre au Yémen, en mars 2015, qui a coûté la vie à plus de 10 000 personnes et affamé 20 millions d’autres, soit 80 % de la population, aucun débat parlementaire digne de ce nom sur le sujet ne s’est imposé dans l’espace public français. À plusieurs reprises, députés et sénateurs communistes ont tenté d’alerter sur le sujet. En juin 2018, le groupe France insoumise avait bien demandé la création d’une commission d’enquête sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. En février 2019, le député non inscrit Sébastien Nadot, ancien LaREM, a déposé une plainte contre la France auprès de la Commission européenne «pour manquement au droit de l’Union européenne». En vain.
Une forme de tabou semble s’être instituée dans les plus hautes sphères de l’État dès lors que l’on veut aborder le sujet de la vente d’armes aux pays de la coalition arabe au Yémen. La présidence de la République comme le gouvernement se cachent derrière le voile opaque de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Une fois par an, ce comité commet un rapport donnant quelques éléments sur la situation. «Mais le fonctionnement de cette institution se heurte à des traditions liées à la nature même de la V e République», dénonçait en mai 2018 dans nos colonnes Benoît Muracciole, président de l’Association sécurité éthique républicaines (Aser), qui vient de déposer pour la première fois dans le pays un recours administratif contre l’État pour ventes d’armes illicites à la coalition arabe. En France, l’épineuse question des ventes d’armes est circonscrite aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères. «Une trentaine de membres des deux départements se réunissent tous les mois sur ces sujets, notamment concernant les pays destinataires qui posent problème. Ils discutent à partir des rapports des services de renseignements et accumulent de l’expertise. Mais, lorsqu’il y a opposition, le premier ministre doit trancher», rappelle le militant. Ce qui n’arrive jamais. La plupart du temps, alors qu’aucun texte ne le stipule, c’est le président de la République en personne qui, in fine, clôt le débat.
Au pays des droits de l’homme, c’est donc Emmanuel Macron, comme ce fut le cas avant lui de François Hollande – grand initiateur de la politique de rapprochement de la France avec l’Arabie saoudite via son super VRP de la Défense, Jean-Yves Le Drian –, d’user ou non de son veto pour telle ou telle transaction.
La France n’est cependant pas seule parmi les puissances occidentales à connaître des problèmes de démocratie dès lors qu’il s’agit de respecter le TCA. Parmi les 87 États qui ont ratifié le traité – dont le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Japon, au contraire des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou encore d’Israël –, bon nombre ne le respectent pas. En cause, le chantage à l’emploi brandi de manière systématique par les gouvernants avec parfois, comme ce fut le cas récemment en Espagne, un calendrier électoral caché.
En septembre 2018, la bonne volonté du jeune gouvernement socialiste espagnol s’est heurtée violemment au mur de la Realpolitik. Après avoir annoncé son refus de livrer 400 bombes à tête chercheuse à l’Arabie saoudite, Madrid recevait, dès le lendemain, une notice de la monarchie wahhabite menaçant d’annuler un autre contrat de 1,8 milliard d’euros pour la construction de cinq corvettes par Navantia en Andalousie. À quelques mois d’élections régionales sur cette terre historiquement socialiste, et avec 6 000 emplois en jeu dans ce contrat, Pedro Sanchez a préféré céder. Un calcul malheureux. Quelques mois plus tard, l’extrême droite entrait dans le gouvernement andalou… Un exemple que les dirigeants de France et d’ailleurs seraient bien inspirés de ne pas suivre à quelques mois d’élections européennes inquiétantes.