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Une présidentielle à court terme règle les problèmes du pouvoir, pas ceux de l’Algérie

Une présidentielle à court terme règle les problèmes du pouvoir, pas ceux de l’Algérie
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Par Middle East Eye

Qu’Abdelaziz Bouteflika soit déposé par l’article 102 de la Constitution, qu’il démissionne ou qu’il reste, l’Algérie se dirige vers une présidentielle qui pourrait disloquer la contestation.

Les formules de sortie de crise foisonnent. Des plus élaborées aux plus farfelues, elles proposent des mécanismes parfois sophistiqués, le plus souvent primaires, dans le but affiché de permettre au pays de traverser la crise actuelle. La parole, libérée avec les marches hebdomadaires depuis le 22 février, se laisse entraîner par la vague d’euphorie qui submerge le pays.

Deux questions constituent la matrice des solutions proposées pour sortir de la crise : faut-il sortir de la Constitution, ou contraire tenter de revenir à l’ordre constitutionnel, aussi précaire soit-il ?

Quelle que soit la décision prise par le Conseil constitutionnel ou par le cercle présidentiel, rappelons que l’idée de transition a été formellement proposée par le président Abdelaziz Bouteflika lui-même, dans sa lettre du 11 mars. Passant outre la Constitution, il a annulé la présidentielle prévue dans moins d’un mois, dissous la commission de surveillance des élections, ignoré l’avis du Conseil constitutionnel, et il s’est offert le droit de prolonger son quatrième mandat.

Résultat pratique de ce processus : la Constitution a été abrogée de facto. Et trois ans après avoir amendé la Constitution pour la troisième fois durant son règne, Abdelaziz Bouteflika a superbement ignoré ce texte pour se maintenir au pouvoir.

Malgré cela, les auteurs de ces propositions de sortie de crise font preuve d’une naïveté incroyable en s’enfermant le plus souvent dans un juridisme et un formalisme tatillons. Aveuglement ou mauvais diagnostic ?

D’autres, en bâtissant leur feuille de route, considèrent le problème comme résolu, et déroulent leur solution. Ils raisonnent comme si le président Bouteflika était parti, comme si l’armée n’était plus au cœur du pouvoir, comme s’il suffisait d’exprimer un vœu pour qu’il se réalise. On trouve ainsi des propositions prévoyant par exemple la dissolution des deux chambres du Parlement, une attribution d’un rôle précis à l’armée, la nomination d’un « gouvernement de compétences », etc.

Si toutes ces décisions pouvaient être prises avec la facilité avec laquelle on tape la formule sur un clavier, pourquoi l’Algérie serait-elle plongée dans une crise aussi grave ?

Erreur de diagnostic

Dans le même ordre d’idées, on attribue à des partis, à des personnalités, à des institutions, des rôles qu’ils joueraient de manière disciplinée, sans jamais protester ni remettre quoi que ce soit en cause. Si tel était le cas, à quoi servirait l’activité politique ?

Ces propositions découlent en fait d’une lecture technique de la crise. Or, celle-ci est fondamentalement politique. La solution dépend donc de décisions politiques. Universitaires, spécialistes et intellectuels peuvent apporter leur expertise, leurs compétences ou leur exigence éthique et morale, mais la sortie de crise ne relève pas d’eux.

Ce sont les forces qui s’affrontent dans le cadre d’un rapport politique incertain qui doivent faire des choix, comme dans tout conflit : poursuivre l’affrontement jusqu’à changer le rapport de forces, ou négocier pour aller à des compromis raisonnables.

Il s’agit dès lors de savoir qui sont les acteurs qui s’affrontent, et quels sont les enjeux. De manière schématique, il y a quatre grands acteurs dans cette crise, deux au sein du pouvoir, deux dans l’opposition.

Au sein du pouvoir, le premier cercle, autour du président Abdelaziz Bouteflika, veut le maintenir au pouvoir du chef de l’État pour au moins une année. Le second groupe, agissant par les réseaux sans apparaître public, tente d’accélérer le départ du président Bouteflika. Ces deux groupes s’affrontent sur une seule question : régler la question du pouvoir.

Hors pouvoir, deux autres blocs cohabitent. Le premier, composé de l’opposition structurée et de personnalités, a publié une feuille de route pour la sortie de crise. L’impuissance de ce bloc à influer sur le cours des choses, et son attitude ambiguë, l’a largement discrédité.

De plus, il est désormais supplanté par le dernier arrivé sur la scène politique : la rue. Depuis le 22 février, et chaque vendredi, des manifestations de plus en plus imposantes se poursuivent, bousculant l’ordre établi, forçant le président Bouteflika à démettre le Premier ministre Ahmed Ouyahia, et à revoir de fond en comble l’agenda politique initial.

Initialement, la rue voulait s’opposer au cinquième mandat du président Bouteflika, ressenti comme une profonde humiliation par une large partie de l’opinion. Face au succès de la première marche, une seconde revendication s’est greffée : demande de « dégagisme » du personnel politique en place, puis changement du système.

Cette évolution a brouillé les alliances. Refuser le cinquième mandat pouvait offrir des alliés au sein de l’opposition mais aussi à l’intérieur du pouvoir. Mais demander un changement de système pose problème. Les groupes à l’intérieur du pouvoir favorables au départ du chef de l’État ne peuvent envisager cette hypothèse. Ils risquent donc de s’appuyer sur la rue pour pousser le président Bouteflika vers la sortie, puis neutraliser la contestation.

Par ailleurs, nombre de candidats de l’opposition formelle aspirent à accéder à la présidence grâce à un coup de pouce de l’armée. Ils soutiennent du bout des lèvres la contestation, mais préfèrent un départ rapide du président Bouteflika pour lui succéder. Le changement des règles du jeu ne leur convient pas, d’autant plus qu’ils considèrent une possible accession au pouvoir à portée de main.

Une partie à quatre joueurs

C’est donc une partie à quatre joueurs qui est engagée, avec des enjeux précis.

- Une élection présidentielle à court terme règlerait les problèmes du pouvoir, mais pas ceux du pays. L’Algérie aurait un nouveau président, plus ou moins bien élu, mais il est impossible qu’il accède à la présidence contre la volonté de l’appareil militaire et sécuritaire. Un nouveau consensus sera élaboré autour de lui, sans changement de règles du jeu.

- Une élection présidentielle à court terme annule toute possibilité de régler les problèmes du pays. Un nouveau président élu dans ces conditions sera pris dans un engrenage de réorganisation du pouvoir, et ne pourra dégager un cap pour mener les réformes nécessaires.

- Une élection présidentielle à court terme risque de disloquer la contestation sans rien résoudre. Le consensus pour le changement de système volera en éclats dès l’annonce de la présidentielle, avec les querelles et la surenchère traditionnelles, qui occulteront les problèmes de fond. Une fois élu, le nouveau président, même avec beaucoup de bonne volonté, ne pourra s’attaquer aux grands chantiers. Il sera pris par les urgences, en raison du déficit de gestion et du tsunami qui a détruit les institutions.

Pire encore : une élection présidentielle donnera au pays le sentiment d’avoir remporté une immense victoire en éliminant le président Bouteflika. Le nouveau pouvoir pourra surfer sur ce sentiment pour assoir sa domination, sans engager de réformes et sans utiliser la formidable énergie qui a émergé à la faveur de la contestation.

S’engager dans une transition n’est guère plus productif. Les partenaires feront semblant de jouer le jeu, mais chacun essaiera de consolider ses positions, tout en consacrant l’essentiel de son énergie à la course au pouvoir qu’il sait proche. Il est impossible de construire un projet durable dans une période de transition de courte, et même de moyenne durée.

Il restait au pays une autre solution : admettre la réalité telle qu’elle est, constater que le pays n’a virtuellement plus d’institutions, ni de valeurs éthiques et morales. Saluer l’émergence de la contestation avec ce qu’elle véhicule comme valeurs positives (engagement, discipline, mobilisation, souci de construire), pour bâtir sur la durée un consensus national autour d’un édifice institutionnel et moral. Se donner le temps pour débattre, avancer ensemble, mettre en place des balises, indépendamment d’un échéancier électoral qui a mené le pays à l’absurde.

Il appartenait évidemment au pouvoir de s’engager dans cette voie, en prenant des mesures hardies, courageuses, en mesure d’entraîner l’adhésion de forces au sein du pouvoir et une large partie de la rue et de l’opposition structurée. Le pouvoir ne l’a pas fait. Il en assumera l’échec.

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