Omar el-Béchir à Damas : un rôle russe, un feu vert saoudien
La visite surprise du président soudanais à Damas marque la fin de l’isolement arabe de la Syrie et le début du retour de ce pays sur l’échiquier régional.
La visite éclair du président soudanais Omar Hassan el-Béchir, le 16 décembre, à Damas, où il a été chaleureusement accueilli par son homologue syrien Bachar al-Assad, est le premier déplacement d’un dirigeant arabe dans la capitale des Omeyyades depuis la suspension de la Syrie de la Ligue arabe, le 11 novembre 2011.
Cette visite a nécessité de longs mois de préparation et constitue une brèche dans le mur du boycott de l’Etat syrien, par laquelle pourraient s’engouffrer d’autres leaders arabes.
Le journaliste palestinien basé à Londres Abdel Bari Atwan n’exclut pas de voir d’autres dirigeants défiler à Damas dans la période à venir, notamment l’émir du Koweït Sabah al-Ahmad al-Sabah, le souverain hachémite Abdallah II de Jordanie et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.
Des médias et experts du monde arabe affirment que la Russie a joué un rôle central dans l’organisation de cette visite. Moscou et Khartoum entretiennent de bonnes relations sur le plan militaire et coordonnent leurs positions politiques depuis la rencontre, le 23 novembre 2017, entre le président Vladimir Poutine et el-Béchir.
« Nous estimons que ce qui s’est passé avec notre pays, c’est aussi le résultat de la politique américaine et nous avons besoin d’être protégés contre les actes agressifs des États-Unis », avait déclaré le président soudanais depuis la résidence du président russe à Sotchi, sur les bords de la mer Noire.
El-Béchir avait précisé que Khartoum souhaitait renforcer la coopération militaire avec Moscou en vue de « rééquiper ses forces armées ».
Dans un avion russe ?
Walid Charara, journaliste libanais et spécialiste du Moyen-Orient, déclare à Middle East Eye que la nécessité d’un retour de la Syrie dans le concert des pays arabes a été évoquée lors de la rencontre de Sotchi. C’est d’ailleurs dans un avion russe que le chef d’État soudanais se serait rendu à Damas, croit savoir le journal Al-Akhbar, qui précise que le Kremlin a refusé de commenter cette information, orientant les journalistes qui ont posé la question vers le ministère de la Défense.
Tout en étant proche de la Russie, le Soudan fait partie de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite dans la guerre du Yémen. Le contingent militaire qu’il a dépêché dans ce pays est déployé aux premières lignes et a subi de lourdes pertes lors des combats contre le mouvement Ansarullah.
Ce repositionnement opéré par el-Béchir, qui était proche de l’Iran il y a quelques années, lui a permis d’améliorer ses relations avec Riyad mais surtout avec les Émirats arabes unis (EAU), qui lui fournissent une aide financière.
Une source diplomatique arabe à Beyrouth a déclaré à Middle East Eye que la visite d’el-Béchir à Damas avait été coordonnée avec l’Arabie saoudite et les EAU et que le président soudanais était porteur de messages des dirigeants de ces pays du Golfe au chef de l’État syrien.
Toutefois, l’explication qui circule sur les réseaux sociaux, selon laquelle le but de Riyad est de faire mine d’établir un contact avec l’Iran via Damas pour dissuader les États-Unis d’accroître leurs pressions dans le cadre de l’affaire de l’assassinat en Turquie du journaliste Jamal Khashoggi, n’est pas plausible.
« Mohammed ben Salmane n’a ni l’envergure, ni la volonté, ni les marges de manœuvre nécessaires pour prétendre faire chanter Washington, au risque de perdre son protecteur Donald Trump », pense Walid Charara.
Des signaux annonciateurs
Des signaux annonciateurs d’une volonté de rétablissement des relations avec les pays du Golfe et la Syrie étaient apparus depuis plusieurs semaines déjà. Une rencontre inédite, le 30 septembre, entre le chef de la diplomatie bahreïni, Khaled ben Ahmad al-Khalifa, et son homologue syrien, Walid al-Mouallem, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU avait fait couler beaucoup d’encre.
Les analystes y avaient perçu un message de l’Arabie saoudite, étant donné que le petit royaume insulaire, dont la survie dépend presqu’entièrement de Riyad, n’aurait pas osé procéder à une telle initiative sans le feu vert de son protecteur.
Cette rencontre, qualifiée de chaleureuse par les journalistes qui y ont assisté, a été suivie d’informations sur la prochaine réouverture par les EAU de leur ambassade à Damas, fermée dans la foulée de la suspension de la Syrie de la Ligue arabe.
Le Soudan, qui n’a pas emboîté le pas aux pays souhaitant isoler le régime syrien et qui a maintenu ouvert sa représentation à Damas, était donc le candidat idéal pour jouer le rôle de messager.
Ces appels du pied des pires ennemis du pouvoir syrien s’accompagnent aussi d’un changement de ton de la Turquie, dont le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davuto?lu, a déclaré lors d’un forum à Doha, samedi 15 décembre, que le monde devrait envisager de rétablir des liens avec le président Assad « s’il est réélu à l’issue d’élections démocratiques ».
Si la visite d’Omar Hassan el-Béchir en Syrie illustre effectivement la victoire du président Assad, comme le croit Abdel Bari Atwan, il est encore trop tôt pour dire que ses ennemis d’hier vont se précipiter pour reconstruire le pays dévasté, comme l’affirment certains analystes.
Il ne fait toutefois aucun doute qu’une page vient d’être tournée et que le jour ou d’autres dirigeants vont défiler à Damas n’est plus très loin.
Source : middleeasteye