Comment l’Arabie saoudite tente d’effacer l’histoire du Yémen
Alors que la guerre au Yémen se dirige vers sa quatrième année, son unique résultat tangible à ce jour est la destruction progressive du pays et de ses habitants.
Cette guerre est soi-disant menée pour rétablir le pouvoir du président déchu Abdrabbo Mansour Hadi, qui s’est enfui en Arabie saoudite à la suite de la prise de contrôle de la capitale Sanaa par les Houthis en 2014.
Toutefois, la férocité aveugle de l’assaut de la coalition menée par l’Arabie saoudite contre le Yémen ne peut s’expliquer par ces supposées motivations. Pourquoi était-il nécessaire de ramener le Yémen à l’âge de pierre et de cibler ses civils, s’assurant ainsi de l’incapacité de ce pays à se rétablir avant au moins un siècle ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre l’histoire de la péninsule arabique et la place mineure qu’y occupe l’Arabie saoudite.
Des civilisations florissantes
Dans l’Antiquité, le Yémen fut le foyer de plusieurs civilisations florissantes. Au moins six royaumes se développèrent dans cette région de l’Arabie à partir du XIIe siècle avant J.-C., basés à Ma’in, Qataban, Ausan, Saba, Himyar et dans l’Hadramaout. Le plus célèbre était le royaume sabéen, qui dura onze siècles et fut l’un des plus importants du Proche-Orient.
La légende populaire l’identifie à la reine de Saba, et le royaume de Saba est mentionné dans le Coran. Sa capitale était Marib, où les Sabéens construisirent un gigantesque barrage, merveille d’ingénierie antique, et développèrent un système d’irrigation basé sur des réseaux de canaux donnant vie à une multitude de terres agricoles.
Vers 700 avant J.-C., les Sabéens avaient étendu leur domination sur la plus grande partie de l’Arabie du Sud. La splendide civilisation qu’ils avaient créée était basée sur le commerce d’encens et de myrrhe, au travers de réseaux commerciaux allant jusqu’en Chine, en Inde et au Proche-Orient.
Pour faciliter le commerce, ils construisirent une série de colonies le long de la mer Rouge jusqu’au Proche-Orient et contrôlèrent la sortie de Bab-el-Mandeb sur l’océan Indien et la Corne de l’Afrique. Des vestiges de l’art et de l’architecture sabéens ont été découverts jusqu’au nord de l’Éthiopie.
Avec l’avènement de l’islam, les tribus yéménites jouèrent un rôle majeur dans les conquêtes arabes de l’Égypte, de l’Irak, de la Perse et du Levant. Au XIIIe siècle, le Yémen avait une culture islamique florissante, notamment de nombreuses madrasas et centres d’apprentissage islamique.
Cela entraîna le développement d’une architecture distinctive, unique dans la région et reposant presque entièrement sur des matériaux de construction locaux. La vieille ville de Sanaa, qui date du premier siècle chrétien, en est un excellent exemple.
Chargé d’histoire
Qu’est-ce que l’Arabie du Nord, dont la majeure partie constitue l’Arabie saoudite d’aujourd’hui, avait à offrir de comparable à ces réalisations yéménites légendaires ?
Jusqu’à l’arrivée de l’islam au VIIe siècle, cette partie de l’Arabie était traditionnellement dirigée par des chefs tribaux, pour la plupart isolés et obscurs, et n’aurait donc jamais pu rivaliser avec les royaumes du Yémen. Même après l’islam, les splendeurs de la civilisation islamique ne furent pas créées en Arabie du Nord.
Bien qu’il soit, dans son incarnation actuelle, une construction moderne, le Yémen est chargé d’histoire. L’Arabie saoudite est en revanche une création plus récente – le royaume n’a vu le jour que dans les années 1930 – et les Émirats arabes unis, leur partenaire de guerre dans la coalition, ont été créés plus récemment encore, en 1971.
Rares sont les éléments de leur histoire ou culture profane susceptibles d’arriver à la cheville des civilisations que dévastent leurs bombardements. Inspirée par le wahhabisme, la destruction par la maison des Saoud de bâtiments, tombes et monuments historiques à La Mecque et à Médine a créé un dangereux précédent pour ce qui se passe de nos jours au Yémen.
La guerre a entraîné la misère et la maladie partout dans tout le pays. L’ONU estime que 14 millions de personnes, soit la moitié de la population du Yémen, risquent de mourir de faim. Selon l’UNICEF, 1,8 million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, dont 400 000 de malnutrition aiguë sévère.
Les bombardements ont tué plus de 10 000 personnes, entraîné un besoin d’aide internationale pour 22 millions d’autres – l’essentiel de la population du Yémen – et provoqué la plus importante épidémie de choléra jamais enregistrée. La moitié des installations médicales du pays a été détruite lors d’une campagne de bombardement de la coalition visant les infrastructures civiles, et souvent, les civils eux-mêmes.
Un préjudice irréparable
Si les dégâts matériels causés aux infrastructures yéménites – écoles, hôpitaux, marchés – sont graves, celles-ci pourront toutefois être reconstruites en temps de paix. On ne peut pas en dire autant du dommage irréparable causé à l’architecture historique du Yémen.
L’UNESCO a documenté les effets dévastateurs de la guerre sur la vieille ville de Sanaa, ses mosquées, ses bains et ses maisons en briques d’adobe avec leurs fenêtres distinctives en forme d’arche et leur encadrement en gypse.
La même chose s’est produite pour la vieille ville de Saada, l’ancien barrage de Marib, la ville historique de Baraqish et les irremplaçables tombes antiques de l’Hadramaout. Ces pertes sont permanentes.
En examinant ce degré disproportionné de mort et de destruction, il convient de se demander si le motif réel de la guerre au Yémen, tout comme la raison de l’hostilité viscérale des Saoudiens envers une autre grande civilisation, l’Iran, n’est pas une jalousie profonde vis-à-vis de la grandeur de ce pays et de la place qu’il occupe dans l’histoire de l’humanité.
Si tel est le cas, bombarder le Yémen jusqu’à le rayer de la carte ne supprimera pas son passé glorieux, ni ne donnera à l’Arabie saoudite ce qu’elle n’a jamais eu.
Source : MEE