Malgré son implication dans le désastre humanitaire au Yémen, l’Arabie saoudite reste hors d’atteinte
Luc Vancauwenberge
Au Yémen, 85.000 enfants de moins de 5 ans sont morts de malnutrition depuis 3,5 ans. C’est même une «estimation prudente» selon l’ONG britannique «Save the children» (Sauvez les enfants). En cause, la guerre d’intervention et le blocus organisés par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite sur le Yémen. La catastrophe va encore s’amplifier si la guerre ne s’arrête pas.
«C’est une crise d’une ampleur que nous n’avions plus vue depuis des décennies, s’exclame Kevin Watkins, le directeur de Save the Children. C’est un pays littéralement au bord de la famine, la vie d’un demi-million d’enfants est en danger immédiat. On doit se concentrer sur cette crise, car c’est la crise humanitaire la plus importante à laquelle la communauté internationale est confrontée en ce moment.» Il n’est pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. Hervé Verhoosel, porte-parole du Programme alimentaire mondial, déclarait récemment que le Yémen représente la «pire crise humanitaire et alimentaire du monde». Il estimait que «18 millions de personnes au Yémen ne savent pas d'où leur repas va provenir».
Déjà en 2017, la Croix-Rouge parlait de la plus grave épidémie de choléra jamais enregistrée avec près d’un million de cas suspectés. Le journal français Le Figaro parlait de 14 millions de civils (sur environ 28 millions d’habitants) en situation de pré-famine.
Pourquoi cette catastrophe ?
Le Yémen se trouve au sud de la péninsule arabique, à la croisée des routes commerciales et stratégiques, une des plus importantes routes du pétrole. C’est aussi le seul pays non monarchique de la péninsule. Or, l’Arabie saoudite se considère comme le gardien de la stabilité dans la péninsule arabique, ne tolère aucun mouvement démocratique et est obsédée à contrer l’influence grandissante de l’Iran dans la région. En 2011, elle était déjà intervenue militairement pour écraser un mouvement démocratique au Bahrein, une autre monarchie pétrolière.
En 2014, les Houtistes, accusés d’être soutenu par l’Iran, s’insurgent contre le pouvoir central au Yémen. Ils s’emparent de la capitale Sanaa. La-dessus, l’Arabie saoudite constitue une coalition avec notamment les Emirats Arabes Unis et l’Egypte, pour «rétablir l’ordre» au Yémen et «contrer l’influence de l’Iran». Cette coalition recourt à des bombardements intensifs des infrastructures du pays avec de nombreuses bavures et s’appuie largement sur des milices locales salafistes. L’Etat yéménite s’effondre. D’après l’ONG Yemen Data project, un tiers des frappes aériennes depuis 2015 ont visé des cibles civiles. Les hôpitaux de MSF ont été touchés cinq fois. Les salaires des soignants n’ont pas été versés depuis août 2016. Et quand l’hôpital est encore ouvert, les blessés et les malades peinent à y aller, faute de voiture et, surtout, d’argent pour payer l’essence, ou même le bus.
Cette guerre coûte 15 milliards de dollars chaque année à l’Arabie saoudite. Elle ne devait durer que quelques semaines. Depuis juin, les forces progouvernementales et leurs alliés tentent de s’emparer du port de Hodeida, sous contrôle des Houthistes, par où passe 70% des importations alimentaires du pays. Cette attaque s’est intensifiée en novembre avec des bombardements massifs faisant au moins 592 morts jusqu'ici (460 rebelles, 125 loyalistes et 7 civils). David Beasley, directeur exécutif du programme alimentaire mondial de l'ONU, s’est rendu sur place pour lancer un cri d’alarme: "Nous soutenons 8 millions de personnes et il semble que nous devrons bientôt passer à 12 millions. Je suis ici, dans ce port, pour envoyer un message clair. Il nous faut à tout prix protéger cet endroit et s'assurer qu'il fonctionne à plein régime, sinon des personnes mourront".
Complicité occidentale
L’ONU tentera une nouvelle fois début décembre de mettre le gouvernement officiel et les dirigeants Houthistes autour de la table pour mettre fin à cette guerre meurtrière. Cette tentative est soutenue officiellement notamment par les Etats-Unis. Mais jusqu’à présent les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France ont attisé cette guerre en apportant leur soutien technique à l’Arabie saoudite : satellites de reconnaissance, photographies aériennes, conseillers militaires, ravitaillements en vol... Ces pays ont également empêché la mise sur pied d’une commission d’enquête indépendante dans le cadre de l’ONU avant d’en mettre une sur pied en 2017, qui… ne fonctionne pas. Tant qu’ils peuvent vendre leurs armes meurtrières, aucun crime ne les empêche de dormir.
Source : www.ptb.be