L’escadron de la mort utilisé par ben Salmane pour faire taire la dissidence
MEE dévoile des informations exclusives sur l’Escadron du Tigre, une équipe d’assassins supervisée par le prince héritier saoudien qui vise les critiques de Ryad en Arabie saoudite comme à l’étranger.
Jamal Khashoggi a été victime de ses assassins. Il n’était pas le premier.
Dans de nouvelles révélations, une source saoudienne connaissant parfaitement les services de renseignement de son pays a informé Middle East Eye de l’existence d’un escadron de la mort opérant sous la direction et la supervision de Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien.
Le Firqat el-Nemr, ou Escadron du Tigre, est bien connu des services de renseignement américains. Il a été créé il y a plus d’un an et regroupe 50 des agents de renseignement et des militaires les mieux qualifiés du royaume.
Le groupe a été recruté dans différentes branches des services de sécurité saoudiens, rassemblant plusieurs domaines d’expertise. Ses membres sont indéfectiblement loyaux envers le jeune prince héritier de Riyad, connu sous le nom de MBS.
Après avoir parlé à une source très bien placée, MEE est en mesure de révéler en exclusivité des informations sur l’Escadron du Tigre. Cette source a indiqué à MEE la composition, les objectifs, les actions et les membres de l’équipe.
Bien que MEE n’ait pas été en mesure de confirmer les informations divulguées, la source a été vérifiée de manière indépendante.
La mission de l’Escadron du Tigre est d’assassiner secrètement des dissidents saoudiens, à l’intérieur du royaume et en terres étrangères, d’une manière qui passe inaperçue des médias, de la communauté internationale et des politiciens, a indiqué la source.
«Ils [les dirigeants saoudiens] sont persuadés que le fait d’arrêter les critiques augmentera la pression qui pèse sur eux, c’est pourquoi ils ont commencé à les assassiner sans faire de bruit», a indiqué notre source.
Les méthodes d’assassinat de l’Escadron du Tigre varient.
Parfois, il se salit les mains, comme avec Khashoggi, qui a été torturé, assassiné et démembré par l’Escadron dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul le 2 octobre.
Cependant, l’unité planifie également des assassinats où la victime est à distance et qui sont censés ressembler à des accidents, tels qu’un accident de voiture ou l’incendie de leur maison. L’Escadron du Tigre a même fait injecter à un dissident des virus mortels alors qu’il s’était rendu à l’hôpital pour un examen de routine, a indiqué la source.
L’Escadron tient son nom du major-général Ahmed al-Assiri, chef adjoint des services de renseignements saoudiens, qui a été limogé par Riyad la semaine dernière à la suite de fortes pressions internationales exercées sur l’Arabie saoudite pour qu’elle agisse après le meurtre de Khashoggi.
«Assiri est connu de ses collègues comme “le tigre du Sud”. Depuis la guerre de la coalition [au Yémen], les médias saoudiens ont également commencé à appeler Assiri “la Bête”, et il aimait ce surnom», selon notre source.
Liens avec le prince héritier
La source a dit ne pas savoir qui donnait des ordres à l’Escadron du Tigre, mais a ajouté qu’Assiri et Saoud al-Qahtani, l’un des plus proches collaborateurs de MBS, qui a également été licencié la semaine dernière, faisait partie de la structure de commandement.
Le jeune prince héritier a choisi cinq des membres les plus loyaux et les plus dignes de confiance de sa garde personnelle pour servir dans l’Escadron du Tigre, d’après la source.
Ils font tous partie des quinze hommes envoyés pour tuer Khashoggi, notamment Maher Abdulaziz Mutrib, Mohammed al-Zahrani et Dhaar al-Harbi, a précisé la source.
Mutrib est un diplomate et major-général qui a été vu voyageant avec MBS plus tôt cette année lors de tournées à Boston, Houston et à l’ONU à New York.
La source l’a décrit comme «la moelle épinière de l’Escadron du Tigre». «Il a été choisi par MBS lui-même, qui dépend de lui et est proche de lui», a déclaré la source.
«Le prince héritier a choisi ses gardes du corps les plus proches dans l’équipe afin de rester en contact direct avec elle et de superviser les assassinats.»
La source a déclaré à MEE que la Turquie avait intercepté quatorze des appels téléphoniques de Mutrib le 2 octobre, le jour de la mort de Khashoggi. Sept d’entre eux ont été passés au bureau du prince héritier.
La source n’a pas précisé si les appels de Mutrib étaient liés au meurtre de Khashoggi, mais a déclaré que, s’ils étaient divulgués, ils seraient «explosifs».
Selon la source, Mutrib et trois autres personnes auraient injecté une drogue mortelle à Khashoggi avant de le démembrer sur une table à l’intérieur du consulat.
MEE croit comprendre que la morphine est la drogue mentionnée par la source. Des enquêteurs turcs ont déclaré à MEE que Khashoggi avait été démembré sur un bureau de l’étude du consul général d’Arabie saoudite.
Le journal Yeni ?afak a également annoncé lundi que Mutrib avait appelé le bureau de MBS. Ce journal, comme d’autres médias turcs proches du gouvernement, a divulgué tous les jours des informations détaillées sur l’enquête sur l’affaire Khashoggi.
Selon Yeni ?afak, Mutrib aurait parlé à Badr al-Asaker, chef du cabinet du prince héritier, à quatre reprises après l’assassinat de Khashoggi.
Tuer avec le VIH
Une des premières opérations secrètes menées par l’Escadron du Tigre à l’intérieur des frontières saoudiennes a été l’assassinat du prince Mansour ben Moukrine, vice-gouverneur de la province d’Asir et fils d’un ancien prince héritier, en novembre dernier.
Opposant connu de MBS, le prince Mansour est décédé lorsque son hélicoptère s’est écrasé près de la frontière saoudienne avec le Yémen. MEE a rapporté à l’époque que le prince tentait de fuir le pays. Il est décédé quelques heures après le lancement, le 4 novembre, d’une purge de grande envergure dans les hautes sphères du royaume.
Des dizaines de princes, des ministres et un magnat milliardaire ont été arrêtés et détenus au Ritz-Carlton de Riyad et les autorités ont imposé une interdiction de vol à tous les avions privés.
Selon la source, Meshal Saad al-Bostani, un membre de l’Escadron du Tigre qui fait partie des quinze Saoudiens soupçonnés du meurtre de Khashoggi, aurait été à l’origine de la mort du prince Mansour.
«Bostani est un lieutenant de la Force aérienne royale saoudienne et il a abattu l’hélicoptère de Mansour avec un missile tiré depuis un autre hélicoptère, a déclaré la source. Mais ils ont maquillé cela en mort naturelle.»
Âgé de 31 ans, Bostani aurait perdu la vie le 18 octobre dans un accident de voiture à Riyad.
«C’est un mensonge. Il a été enfermé dans une prison et sa nourriture a été empoisonnée, a affirmé la source. Bostani détient le secret du meurtre du vice-gouverneur d’Asir et de celui de Khashoggi.»
L’assassinat du président du tribunal de La Mecque, le juge et cheikh Suliman Abdul Rahman al-Thuniyan, dans un hôpital de Riyad le 1er octobre, a été une autre opération secrète interne dirigée par l’Escadron du Tigre.
«Je pense qu’il a été tué par des virus mortels qui lui ont été injectés lors d’un bilan de santé ordinaire. L’escadron savait qu’il avait rendez-vous à l’hôpital et a maquillé cela en mort naturelle», a expliqué la source.
«Le juge [Thuniyan] avait envoyé une lettre à MBS dans laquelle il s’opposait à son programme économique Vision 2030.»
Il a ajouté que l’une des techniques utilisées par l’Escadron du Tigre pour réduire au silence des dissidents ou des opposants du gouvernement consistait à «les tuer avec le VIH ou d’autres types de virus mortels».
MEE n’a pas été en mesure de confirmer quelle sorte de maladie a été à l’origine de la mort de Thuniyan. La source a précisé qu’à sa connaissance, le meurtre de Khashoggi était le premier assassinat perpétré par l’Escadron du Tigre dans un pays étranger. Cependant, il ne s’agissait pas de la première tentative de l’escadron de la mort, a indiqué la source.
«J’ai connaissance d’une autre tentative, qui a consisté à attirer le dissident saoudien Omar Abdulaziz au consulat au Canada et à le tuer, a déclaré la source. Mais Abdulaziz a refusé d’y aller et la mission a échoué. Khashoggi a été la première opération [réussie].» D’autres rapports ont permis de décrire comment Abdulaziz a été ciblé par les Saoudiens à l’aide d’un logiciel espion israélien.
Pour prouver le succès de la mission Khashoggi, les membres de l’Escadron du Tigre ont rapporté les doigts du chroniqueur du Washington Post à Riyad, a ajouté la source. Ils ont été présentés au jeune héritier du trône saoudien.
«MBS a toujours dit qu’il couperait les doigts de tout auteur qui le critiquerait», a indiqué la source.
Source : middleeasteye