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Pourquoi le foot nous rend-il si heureux (ou malheureux)?

Pourquoi le foot nous rend-il si heureux (ou malheureux)?
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Qu'on trouve cela fabuleux ou idiot n'y change rien: peu d'autres événements suscitent une telle euphorie collective que la Coupe du monde de football. En face, ceux qui haïssent ce sport affichent un rejet tout aussi hors-norme. Un phénomène qui s'explique par les caractéristiques du foot et notre besoin d'effusion partagée.

Pourquoi le foot nous rend-il si heureux (ou malheureux)?

«Je fais ce métier pour ces moments de bonheur», a affirmé Didier Deschamps après la victoire de l'équipe de France en huitièmes de finale de Coupe du monde, samedi dernier. Le bonheur, la liesse, c'est également là-dessus que titrent nombre de sites et journaux à chaque victoire française. Et de façon générale, il suffit de marcher dans la rue un jour de match des Bleus (ou pas) pour entendre, à chaque but, les cris symptomatiques de cette joie footballistique. Ainsi cette année, comme lors des précédentes éditions du Mondial, le constat semble le même: le foot nous rend démentiellement heureux.

Certes, ceux que la vue du gazon ou les cris délirants des fans insupportent s'agaceront d'une telle affirmation. Eux, la Coupe du monde et son bulldozer télévisuel et publicitaire les rendent malheureux. Mais qu'on soit pro ou anti-crampons, un phénomène reste indéniable: peu - voire pas - d'autres événements sont à même de rassembler une telle masse de personnes dans une ferveur collective. «Il n'y a pas d'égal», résume Christian Bromberger, professeur émérite d'anthropologie à l'université d'Aix-Marseille et auteur de plusieurs ouvrages sur le foot. «La Coupe du monde, c'est presque quelque chose où l'on se confronte à l'humanité entière, puisque tous les pays connaissent et pratiquent ce sport.»

«On a gagné!»: un combat national sans armes

Là-dessus, tous les passionnés du sujet s'accordent: l'une des raisons d'un tel engouement pour les Coupes du monde, c'est l'identification aux couleurs nationales. «Les compétitions où chacun a à perdre et à gagner ne sont plus très courantes», explicite Gilles Vervisch, enseignant de philosophie et auteur de De la tête aux pieds, Philosophie du football. Or, la volonté de s'identifier à une nation subsiste. «À l'échelle du pays, le domaine politique, par exemple, est un des lieux où l'on peut s'enthousiasmer collectivement. Mais c'est toujours une partie de la population contre une autre. Il n'y a jamais d'union nationale.»

Dans le foot, en revanche, comme dans le sport en général, l'enjeu est suffisamment important tout en étant limité pour rassembler largement. «La Coupe du monde permet d'avoir le sentiment d'appartenir à un ensemble. C'est ce qu'on entend dans “On a gagné!”: l'identification à un pays, aux couleurs nationales.» On retrouve ainsi «l'idée d'un combat cathartique», autrement dit, qui permet de ressentir des émotions passionnelles pour mieux les évacuer, car «il vaut mieux se battre sur un terrain de foot qu'avec des armes.»

«L'universalité du foot puise dans sa simplicité»

L'envie de communion nationale se conçoit. Mais pourquoi le foot est-il le seul sport à drainer une telle foule? Ses règles simples et la facilité d'y jouer presque n'importe où sont souvent évoquées. Paul Dietschy, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Franche-Comté et auteur d'une Histoire du football, y ajoute la grande facilité d'identification qu'il implique. «Une équipe de foot peut mêler tous les formats physiques», à la différence d'autres sports comme le basket ou le rugby. «C'est aussi un sport dans lequel il y a un bon équilibre entre l'usage du corps représenté comme viril et l'habileté technique», ce qui en fait «un sport universel».

Pourquoi le foot nous rend-il si heureux (ou malheureux)?

«L'universalité du foot puise dans sa simplicité», confirme Christian Bromberger, qui voit d'ailleurs dans le terrain de foot un parfait miroir de l'existence. «En 90 minutes, on peut ressentir toutes les émotions qu'on peut expérimenter dans le temps long d'une vie: la joie, la colère, l'injustice, la déception...»

«Le foot remue des choses qui sont graves dans la vraie vie»

Pourtant, là encore, ce phénomène semble insensé, presque effrayant: comment expliquer de telles émotions pour un résultat finalement factice, puisqu'il n'implique rien de concret dans le quotidien? «La vie aussi est assez factice», sourit l'anthropologue.

Chance, entraide, injustice: le match de foot «remue ainsi des choses qui sont peut-être factices sur le terrain, mais qui sont graves lorsqu'elles existent dans la vraie vie». Il est d'ailleurs souvent comparé à une tragédie grecque, puisqu'un seul but peut renverser toutes les émotions. À ce titre, les séances de tirs au but n'ont pas d'égal pour susciter tension et angoisse chez les spectateurs, y compris ceux qui n'auraient rien suivi au reste du match.

«Ça ne sert à rien, c'est vrai, mais cela n'empêche pas de ressentir des émotions qu'on vit peu par ailleurs. Tout ce qui nous plaît dans la vie n'a pas forcément à être utile», complète Gilles Vervisch. C'est une «pièce de théâtre, avec une unité de temps et de lieu, dans laquelle on rejoue les grands mythes», analyse encore Paul Dietschy.

Le sport le plus médiatique

Affrontement modéré, facilité d'accès, identification aisée et émotions dignes d'une tragédie: autant de caractéristiques du foot, donc, que peu de domaines partagent. Mais qui ne seraient rien sans un dernier élément: une médiatisation là encore sans égal. «Ce phénomène massif est lié à la popularité du foot, l'un des rares sports à être à la fois très pratiqué et très médiatisé», précise le philosophe Gilles Vervisch. «Quand on gagne une grosse compétition de foot, on sait que le reste du monde va en entendre parler.»

Le constat s'illustre de façon plus éloquente encore de l'autre côté de l'Atlantique. «Pour beaucoup de pays d'Amérique du Sud, assez jeunes, le foot a été un lieu de construction de l'idée nationale très fort», souligne Paul Dietschy. Le ballon rond a parfois permis d'unifier, au moins en apparence, des populations issues d'origines diverses. «La joie ou le désarroi collectifs y sont plus forts, car l'équipe nationale y représente les fractures de la nation et de son histoire.»

La même émotion au même moment

Reste un phénomène obscur: qu'on s'agite entre fans dans les tribunes d'un stade, passe encore ; mais comment expliquer les incantations et fureurs devant la télévision, même en pleine solitude? «En réalité, dans ce phénomène télévisé, on n'est pas seul», tempère Christian Bromberger. Pour lui, l'écran est un moyen de s'intégrer dans la ferveur unanime d'un match. «On n'est pas seul à éprouver quelque chose. Et ce sentiment est encore renforcé par le fait que l'on en parle après avec d'autres. L'émotion se vit dans l'instant mais se revit dans les discussions.»

Source: Le Figaro

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